RÉFORME D’ÉTAT OU TOTALITARISME ? Quand le ministre verse dans le nombrilisme d’État

 

 

« Il n’est tout simplement pas responsable de partir sans réformer ». Ces propos du chef de l’État, lors de sa traditionnelle sortie médiatique du 8 Juin, sont suffisamment évocateurs quant au prix que le pouvoir sortant attache au processus de la réforme de l’État. Et, en plus de lui avoir consacré et taillé sur mesure un portefeuille ministériel autonome au gouvernement de la dernière ligne droite, ce qu’il convient d’appeler  »révolution institutionnelle » fait aussi figure de tâche prioritaire dans la lettre de mission du nouveau Premier Ministre. À ce titre, même amputé de certaines de ses  composantes essentielles (l’AGE entre autres), la réforme institutionnelle n’a rien perdu de son attrait et résiste au vent de toutes les mesures d’allègement du processus électoral, quoiqu’elle en est visiblement le principal maillon faible par ses contraintes et lourdeurs entravant.

Mais, celui qui certainement à le mieux perçu la mesure de cet attachement des hautes autorités au processus de la réforme, c’est sans doute l’actuel patron du département y afférent. Depuis que le processus a déclenché, avec notamment la première version de la CARI, Daba Diawara, président de l’une des formations les moins représentatives sur la scène politique, en profite pour manger son blanc. Mais il le fait au mépris de toute tradition républicaine tant l’opacité est en passe de s’installer comme principe dans la conduite des politiques publiques. Et pour cause, à la différence de la démarche participative et transparente jadis engagée par Alpha Oumar Konaré – lors d’une tentative similaire finalement avorté -, Daba Diawara a vraisemblablement conseillé à son employeur de Koulouba la subtilité qui consiste à imposer une réforme à un peuple en procédant par concertation discrète de ses diverses composantes dont les aspirations son ensuite traduites en propositions.

Les symptômes de cette méthode peu recommandable, tel un mal congénital, continuent d’affecter en tout cas la façon dont l processus a réforme institutionnelle est mené, depuis le remaniement ministériel d’Avril dernier. Le département qui en a désormais la responsabilité, sous la houlette du président de la défunte CARI, en fait en effet un faire-valoir et foule allégrement aux pieds certains précieux héritages ancrés dans nos principes et valeurs républicains : l’implication des composantes socioprofessionnelles les plus concernées et la prise en compte de leurs suggestions dans la conception et l’élaboration  des politiques publiques d’envergure.

Mais visiblement emporté  par une perception paranoïaque de l’affectation du processus de la réforme à un département ministériel, le président du PIDS s’en fait des idées au point d’outrepasser dangereusement les limites des prérogatives afférentes à ses nouvelles fonctions gouvernementales.     

Plusieurs structures et corporations ont fait les frais de sa déviation vis-à-vis de nos traditions républicaines, mais le monde malien de la presse bien plus que les autres, pour avoir reçu la raclée la plus douloureuse de la part du ministre Diawara.     

Tenez : prenant la mesure de l’ampleur de la réforme longtemps annoncée, le département de la beaucoup communication s’est illustré par un sens irréprochable d’anticipation sur les changements inhérents aux mesures envisagées. Il a ainsi réussi l’exploit de convoquer les 3ème journées de la communication au cours desquelles l’ensemble des préoccupations de la corporation, sur la base d’expériences vécues au cours des quinze dernières années, ont été recueillies et exprimées sous forme de recommandations à prendre en charge pour le compte du monde des médias. C’est cette démarche participative qui a précédé le toilettage de l’arsenal législatif sur la presse malienne, une procédure sanctionné notamment par l’élaboration d’un avant-projet de loi pour chacun des sous-secteurs concernés : de la loi sur la presse à celle de la régulation en passant par publicité, le décret afférent à la commission d’attribution de la carte de presse, entre autres.

Pour les besoins de la cause, le département de la communication a mobilisé une impressionnante brochette d’acteurs assez représentatifs de la corporation afin d’incarner au mieux ses attentes, préoccupations et intérêts. Ce n’est pas tout. Avant d’échoir au Conseil des ministres ainsi qu’à la procédure parlementaire, le résultat de cette démarche concertée est également passé par un rigoureux circuit administratif consistant à faire examiner les moutures des textes concernés, respectivement par la réunion interministérielle et le comité de coordination des Secrétaires généraux de département. Mais, l’action gouvernementale s’étant inscrite sur une logique de perpétuelle systématique remise en cause de tout, depuis l’avènement d’un ministère exclusivement consacré à la réforme, il semble désormais peu évident que la presse malienne tire parti de la réforme en cours. Il nous revient, en effet,  que le ministre Daba Diawara est arrivé à ses nouvelles fonctions muni d’un double pour chacun des textes déjà élaborés par la corporation, pour la simple raison qu’il estime que son département détient un monopole total et exclusif sur toutes les lois  concernées par la réforme institutionnelle. C’est en vertu d’une telle prétention totalitariste  que la Loi sur la Publicité a fait l’objet, la semaine dernière, d’un blocage au seuil même de son processus d’adoption par le Conseil des ministres. À cause des réserves émises par Daba Diawara, le texte en question a été retiré de la procédure pour concertations préalables, dit-on, entre le département de la communication et celui de la réforme d’État.

Le même sort attend vraisemblablement les autres textes afférents aux médias car pour chacun d’entre eux le ministre Diawara détient un doublon parallèlement élaboré par ses services, au mépris des principes de continuité et de solidarité qui régissent l’action gouvernementale. Seulement voilà : à la différence des textes qu’il a trouvés dans le circuit, les siens se singularisent par un manque criard de légitimité au regard du caractère unilatéral de leur conception.

Le département de l’Administration Territoriale et des Collectivités Locales n’a pas moins de raisons de s’offusquer de ce qui procède tout simplement d’un nombrilisme d’État. Là également, le ministère en charge de la Réforme fait autant d’ombrage et provoque autant de malaises en s’illustrant par la même détermination à grappiller sur cette prérogative traditionnellement reconnue au dit département : la relecture des textes afférents aux consultations électorales.

Toujours est-il que l’ampleur des intrusions de Daba Diawara demeure beaucoup plus préjudiciable au monde malien de la presse, qui pourrait rater la plus belle occasion de quitter l’infantilisme qu’elle traîne depuis une vingtaine d’années, pour autant que main-basse est faite sur les recommandations issues des récentes Journées de la communication, les  suggestions de toutes les personnes ressources habilitées à parler au nom de la presse, bref, sur la prise en compte des réelles préoccupations exprimées par les composantes les plus représentatives de la corporation.

Conséquence du  mépris royal pour l’approche participative : le texte modificatif de la constitution est en passe de passe d’être soumis au vote populaire avec des propositions inadmissibles comme la restriction du champ de la régulation des médias à la seule audiovisuelle. Ce faisant, Daba Diawara suggère tout simplement de permettre à la presse écrite de se soustraire à la régulation, au motif d’une aptitude à s’autoréguler quand bien même tous les observateurs conviennent qu’elle n’a point atteint la maturité qui lui vaut d’être laissée pour compte de la sorte.

N’Tji Diarra

Aurore 18/07/2011