Le Mali, comme le reste du monde, a célébré la Fête du travail le 1er mai 2021.
Mais, est-ce que cette fête mérite d’être encore célébrée dans notre pays ?
Loin d’être une provocation, cette question découle d’une réalité cruelle dans un pays où gagner son pain à la sueur de son front est assimilé à un manque d’intelligence.
Ceux qui sont intelligents, n’ont pas besoin de travailler puisque savent comment gagner leur vie.
«Quand tu veux vivre comme un roi, il faut accepter de travailler un moment comme un esclave», dit le sage.
Un adage sans doute suranné au Mali où le travail ne sert plus à ennoblir, mais à asservir.
Sur les 20 millions de Maliens, sont-ils combien à croire encore aux vertus du travail ?
Très peu !
A part sans doute nos compatriotes de la diaspora qui triment pour revenir la tête haute au bercail.
Même ceux qui continuent à vouloir vivre honnêtement savent que cet idéal ne peut leur assurer que la survie au plus.
Il est révolu le temps où on était convaincu qu’il fallait travailler pour se forger un destin (si on n’est pas né avec une cuillère en or à la bouche).
Le travail n’est plus ce trésor qu’il faut, creuser, bêcher, fouiller…,
suer pour découvrir.
Les temps ont changé et aujourd’hui ce sont les médiocres qui ont pris le pouvoir faisant de la «médiocratie» la norme de la réussite !
Sinon ceux qui mouillent réellement le maillot dans ce pays sont les plus misérables.
Nos paysans en sont la parfaite illustration.
Après les premières années de l’indépendance, qu’est-ce que les décideurs font réellement pour les appuyer, pour les aider à vivre des fruits de leur dur labeur ?
Que fait-on pour les protéger des prédateurs économiques, pardon des opérateurs économiques ?
Toutes les décisions politiques annoncées dans ce sens (subventions des prix des intrants et des équipements…) ne les atteignent presque jamais parce que détournés de leurs objectifs pour permettre à l’élite intelligente de s’enrichir sans se salir la main.
Pis, c’est à peine s’ils ne sont pas dépouillés de leurs produits par des opérateurs véreux qui les revendent pourtant à des prix d’or aux consommateurs.
Quand on ne va plus au travail pour travailler
Combien de fonctionnaires méritent réellement leurs salaires de nos jours dans ce pays ?
Non seulement, ils sont de plus en plus nombreux à ne plus maîtriser ce pourquoi ils sont payés, mais ils manquent de conscience professionnelle quand ils maîtrisent leur boulot.
En plus du salaire, l’usager doit payer pour la moindre prestation s’il ne veut pas passer des semaines voire des mois pour par exemple obtenir un document qu’on peut généralement délivrer en quelques minutes.
«La notion de travail a disparu depuis que les travailleurs disent : Je vais au travail au lieu de je vais travailler».
Dans nos services et sociétés publics, ceux qui travaillent en âme et conscience sont discriminés par la hiérarchie et stigmatisés par leurs camardes : «Laissez cet idéaliste dans ses illusions.
Il pense qu’il peut construire ce pays à lui seul…Quand il va se réveiller, nous serons loin», dit-on d’eux, généralement dans le dos.
Leurs collègues se méfient d’eux comme de véritables loups dans la bergerie parce qu’ils représentent une sérieuse menace pour leur philosophie de travail qui tourne autour de la courte échelle pour rapidement faire fortune aux dépens du service, de l’entreprise et surtout au mépris de l’honneur et de la dignité.
Quand on recrute aujourd’hui un jeune, aussi dans le public que dans le privé, son ambition n’est plus de chercher à bien maîtriser sa tâche afin de s’illustrer par son professionnalisme et en tirer les dividendes.
Mais, il rêve plus de la réussite sociale qu’il symbolise par une voiture de luxe, une coquette villa et un compte en banque assez garni pour mener la belle vie avec les belles filles et les grandes dames du pays.
Et tous les actes qu’il va poser vont dans le sens de la réalisation de ce rêve même si cela doit se faire aux dépens du service ou de l’entreprise.
C’est pourquoi nous nous heurtons à un problème de relève dans tous les secteurs du pays parce que les jeunes cherchent à s’enrichir et non à avoir la maîtrise professionnelle.
Rien de surprenant dans une société fascinée par la réussite facile où les «zéros sont célébrés en héros», où les cantatrices ne se gênent plus d’entonner le Janjo (chant de bravoure) pour de vulgaires voleurs de deniers publics.
Comment espérer d’un pays où un chômeur sans revenus avérés circulant en V8 et vivant en pacha devient l’idole d’une frange importante de la population souvent prête à tous les sacrifices pour lui ?
On l’élève sans aucun mérite à la dignité des «bénis» de la République !
Quant à ceux qui ont l’opportunité de puiser dans les caisses par les moyens détournés et qui s’y refusent pour leur honneur et leur dignité, ils deviennent les «maudits» de la nation.
L’estime de soi et des autres, la fierté… sacrifiées pour la fortune
On ne doit pas donc être surpris de voir prospérer ce que notre célèbre chroniqueuse (Tétou dit KKS) décrit comme «une médiocrité apparente, visible» qui est «devenue une norme de vie».
Si nous sommes tous convaincus qu’il ne faut plus travailler pour s’enrichir, mais être juste malin et malhonnête pour profiter de toutes les opportunités qui nous sont offertes, qui va alors continuer à mouiller le maillot pour son employeur, pour la patrie ?
C’est pourquoi personne ne prend l’apprentissage au sérieux.
Les jeunes ne cherchent plus à apprendre consciencieusement un métier parce qu’ils voient plutôt les opportunité de faire fortune.
Jadis, le travail était adulé comme un moyen permettant à l’homme de jouer un rôle dans la société ;
de se rendre et se sentir utile aux autres, à la société.
Et quand on était reconnu comme acteur de la vie économique et sociale de sa communauté, de son pays, cela était un grand motif de fierté.
Et cela d’autant plus que cela permettait d’acquérir une «signification aux yeux des autres».
Celui qui travaille peut assumer ses responsabilités en assurant sa survie et celle de sa famille. Et il gagne en estime autour de lui quand le travail est bien fait.
La politique et la mauvaise gouvernance aidant, le travail a perdu toutes ses vertus.
Il est pourtant indispensable aujourd’hui de revenir à ses valeurs si notre volonté est réellement de refonder l’Etat pour favoriser l’avènement d’un Mali nouveau, du Malikura… Aucun pays ne s’est développé en sacrifiant le culte de l’excellence.
Le courage et l’audace politique pour mettre en œuvre une vision, la maîtrise technique et technologique, la détermination de la majorité des citoyens d’être les boulangers de leur vie, la conviction d’être bien rémunéré quand on exécute sa tâche consciencieusement…!
Voilà à notre humble avis les secrets de l’émergence d’un pays comme le nôtre qui a toutes les richesses pour franchir allègrement toutes les phases du développement.
Notre sous-développement est avant tout mental.
Il est lié à notre incapacité à prendre conscience que si le travail libère l’homme, il est aussi la pierre angulaire de toutes les stratégies de développement.
Nous avons aujourd’hui le choix : continuer à dormir la bouche ouverte en attendant que d’hypothétiques fruits mûrs y échouent, ou nous réveiller et nous mettre au travail pour rebâtir cette grande nation héritée de nos ancêtres !
Naby