REFONDATION DE L’ÉTAT: Faut-il dissoudre les partis pour assainir la classe politique ?

Si la réduction du nombre de partis politiques et la suppression de leur financement figurent parmi les recommandations des Assises nationales de la refondation (ANR) de décembre 2021 et du Dialogue inter-Maliens (DIM) pour la paix et la réconciliation, il n’a jamais été question de leur dissolution pure et simple. Et cela d’autant plus que la Constitution du 22 juillet consacre le multipartisme dans notre pays. Mais, les consultations des forces vives de la nation des 16 et 17 avril 2025 ont visiblement été initiées pour donner une caution populaire à cette dissolution. Qu’en pensent les acteurs politiques et quelques observateurs majeurs ? Des éléments de réponses dans cet article.

 

«Le premier pas vers un régime totalitaire, c’est souvent la suppression des partis et l’unification forcée du discours politique», rappelle Hannah Arendt, politologue, philosophe et journaliste allemande naturalisée américaine. Et malheureusement, c’est vers ce scénario que notre pays avance si l’on se réfère aux premières recommandations des régions et de la diaspora à l’issue des consultations des forces vives de la nation improvisée par les autorités de la place afin de se dédouaner aux yeux de l’opinion nationale et internationale tout en se donnant les coudées franches.

De simples consultations des «supposées forces vives de la nation» peuvent-elles remettre en question des dispositions constitutionnelles ? C’est la question que beaucoup d’observateurs se posent face à la rumeur gonflante de l’intention des dirigeants de la transition de dissoudre les partis afin de se donner 5 nouvelles années dans la gouvernance du pays. Ce qui n’est pas une chose aisée, d’autant plus que l’existence des partis politiques est une légalité constitutionnelle. Même si certains soutiens des autorités actuelles pensent qu’ils n’ont aucune légitimité populaire. D’ailleurs, quelle est cette institution de la Transition qui a cette légitimité que ne confèrent ni les vidéomen ni les manifestations de rues ?

«La forme républicaine de l’État, la laïcité, le nombre de mandats du président de la République et le multipartisme ne peuvent faire l’objet de révision», stipule l’article 185 de la Constitution du 22 juillet 2023. N’empêche qu’une grande partie des acteurs sont favorables à un encadrement des partis et «non à une réduction arbitraire» voire à la dissolution totale. «Comment les partis politiques pourraient, à la fois, correspondre aux aspirations éclectiques des Maliens et élargir les horizons de leur perception globale et pertinente de la vie publique ?» ! Telle est, selon Yaya Sangaré (Secrétaire général de l’Adéma-Pasj cité par nos confrères de «Info Matin»), la problématique à examiner au moment de cette relecture de la charte des partis. «Je suis pour une régulation encadrée, sinon une réduction arbitraire comme cela se dessine à l’horizon entraînera la fragilisation de notre processus démocratique, un recul des acquis démocratiques du 26 mars 1991. Il pourrait même ouvrir des tensions politiques aux conséquences imprévisibles», a-t-il prévenu.

«Au regard de toutes les campagnes de dénigrement orchestrées et alimentées par des officines de propagande, il incombe donc aux hommes politiques d’unir leurs forces au sein de leurs formations politiques, dont ils feraient des outils aiguisés dans l’art des négociations habiles et de dynamiques alternatives», a préconisé M. Sangaré. Et l’ancien ministre et député d’avertir, «vouloir affaiblir les acteurs et les institutions politiques, c’est ignorer l’évidence que ceux-ci sont incontournables et irremplaçables dans l’animation politique, si tant est que la démocratie signifie un repère pour nous». Pour Amadou Sy, ancien ambassadeur et responsable politique de la Coalition des forces patriotiques (CoFoP), cité par «Info Matin», «la suspension ou la suppression des partis politiques serait un grand recul dans le mode de vie de notre nation».

Un acquis à préserver par respect pour le sacrifice extrême consenti par les Martyrs

 «La rumeur enfle sur une supposée volonté des autorités de dissoudre les partis politiques. Je ne suis pas militant d’un parti, mais je ne crois pas judicieux de dissoudre les partis ni même d’en limiter le nombre», a défendu sur les réseaux sociaux Me Cheick Oumar Konaré en argumentant sa position. Ce brillant avocat a ainsi rappelé que le multipartisme est un acquis démocratique arraché au prix du sang en 1991 et qu’il est consacré par la Constitution qui interdit de le remettre en cause, même au moyen d’une révision constitutionnelle. «Il convient de respecter ce minimum démocratique», a-t-il souhaité. Et de poursuivre, «on ne peut décider de dissoudre les partis sur la base d’assises ou de dialogues animés par des personnalités non élues, qui ne représentent donc pas le peuple».

Tout comme, a poursuivi Me Konaré, «nul ne peut définir une base logique permettant de dissoudre un parti et d’en épargner un autre, car le petit parti d’aujourd’hui est appelé à devenir le grand parti de demain en cas de rejet, par le peuple, de la politique des gouvernants». Il n’a pas non plus manqué de rappeler que «les anciens dirigeants politiques sont critiquables dans leur gestion du pays, mais il s’agit là de fautes personnelles et non d’une faute générale des partis. D’ailleurs, de 1991 à nos jours, les principaux postes gouvernementaux (Primature, ministères des Finances, de l’Administration, des Affaires étrangères ou de la Justice, par exemple) ont le plus souvent été confiés à des non-partisans».

Dans sa publication, Me Cheick Oumar Konaré a souligné que «la charte des partis prévoit expressément les cas où un parti ou une association peut être dissous et aucun parti n’échappe à ces règles légales». Et pour lui, «dissoudre les partis à la veille d’élections générales conduirait à un immense désordre et apparaîtrait comme une manière de museler le peuple». Au lieu d’une dissolution ou d’une limitation arbitraires des partis, a-t-il préconisé, «il est préférable d’arrêter tout financement public des partis en raison de l’indigence de l’État ; d’élargir la possibilité de dissolution aux partis qui se rendraient coupables de fraudes électorales ou financières ; d’interdire les alliances électorales contre-nature entre partis de la majorité et de l’opposition afin de sauvegarder l’image et la crédibilité des partis ; d’obliger, sous de sévères sanctions financières, les partis à tenir régulièrement leurs assises statutaires et à ne pas recourir à des sponsors étrangers».

 

«Un vrai faux débat» pour amuser la galerie

Pour Dr Fatogoma Togola (homme d’État et homme politique), l’augmentation, la réduction ou la dissolution des partis politiques au Mali est  «un vrai faux débat». Un débat dans lequel il se positionne comme «un cadre malien qui fait toujours sa modeste contribution pour renforcer les compréhensions des uns et des autres». Et d’indiquer que «certains Maliens, dans les émotions et dans les subjectivités, sont réellement en train de toujours incriminer la démocratie et le nombre de partis politiques. Or, les réalités des nations développées ou de celles qui souhaitent se développer et de celles qui sont en retard, sont dans le travail et la gouvernance par l’excellence».

Selon lui, «la démocratie est le système politique le mieux conçu et le mieux élaboré qui puisse permettre la participation, l’inclusivité et la transparence… Elle est le socle de l’application intégrale des devoirs et des droits de l’Homme et du citoyen…». Par contre, quand on veut appliquer la démocratie dans nos nations africaines, a-t-il prévenu, «en dehors de nos valeurs, de nos qualités et de nos vertus, nous n’obtiendrons que l’hybridisme politique et pathologique». De l’indépendance à nos jours, a souligné Dr Togola, «nous pouvons affirmer haut et fort que l’état de la nation et l’insatisfaction de prospérité du peuple malien, ne seront jamais imputables à aucun système politique ou pouvoir militaire ; ni à la dictature et son parti unique, ni à la démocratie avec son nombre élevé de partis politiques, ni aux transitions militaires».

Il les impute à six grands facteurs fondamentaux. Il s’agit de l’insuffisance de ressources humaines de qualité ; de la non d’application des lois, des décrets, des normes et principes, des règles et des procédures ; de l’insuffisance de travail entraînant celle de la production de résultats en qualité et en quantité dans tous les domaines, notamment l’agriculture, l’élevage et la pèche ; à l’absence d’obligation de faire ses devoirs ; l’insuffisance d’une justice équitable à l’extrême et, enfin, celle de la répartition équitable de l’argent du contribuable. Il mise sur la disparition naturelle des chapelles politiques. «Au Mali, plusieurs partis politiques disparaîtront d’eux-mêmes. Tout d’abord par insuffisance de vision et d’idées pour convaincre le peuple malien, ensuite par l’absence d’activités et ou de financement…», a-t-il souligné. Et de rappeler que pour créer et animer un parti politique, «il faut une vision, des idées et des objectifs…».

 

Mettre fin au financement public des partis politiques

«L’État malien ne doit financer aucun parti. Les partis politiques doivent être financés par eux-mêmes, à travers les militants, et par des tiers qui trouvent que leurs visions et leurs idées ainsi que leurs objectifs vont dans le sens de la construction nationale, de la prospérité et le développement de la nation malienne», a souhaité Dr Fatogoma Togola. Et de conclure en rappelant que «le nombre de partis politiques n’a nullement aucun impact négatif dans la vie d’une nation, car il s’agit de travailler pour produire en qualité et en quantité, en plus appliquer utilement et efficacement tous les autres facteurs ci-dessus cités, dans tous les domaines et secteurs… Nous devons nous mettre réellement au travail, rien qu’au travail… Sortons donc des débats qui ne nous feront jamais avancer».

«On peut dissoudre les partis politiques, mais pas les hommes qui font la différence», rappelle un leader politique. Pour de nombreux observateurs, les politiciens ne peuvent que s’en prendre à eux-mêmes puisque c’est leur division qui les a fragilisés au point d’être une proie facile à maîtriser pour les militaires au pouvoir. Ils sont nombreux ainsi à indexer l’ancien Premier ministre Choguel Kokalla Maïga. «Choguel a été utilisé par les militaires pour affaiblir la classe politique. Et il a volontairement joué le jeu parce que non seulement il avait des comptes à régler avec le Mouvement démocratique, mais cela lui permettrait de signer un relatif long bail à la Primature. Au final, c’est toute la classe politique qui est aujourd’hui menacée en partie par sa faute», a analysé un professeur d’université.

Dans un instinct de survie, elle (classe politique) essaye de se remobiliser en oubliant ses divergences (qui sont loin d’être idéologiques) pour éviter d’être conduite à l’abattoir ! N’est-ce pas trop tard ? Ce qui est sûr, la dissolution des partis politiques est à inscrire dans la stratégie d’amuser la galerie, puisqu’elle ne résoudra en rien les grands défis qui se posent à la Transition aujourd’hui !

Hamady Tamba