Si le Mali se singularise ces dernières années par la récurrence des coups d’Etat, il y a une nécessité vitale de mieux diagnostiquer la situation du Grand patient qu’est devenu le pays, pour mieux lui administrer les soins appropriés et prévenir à jamais la pathologie.
Le 25 mai 2021, à travers un communiqué du vice-président de la transition, lu sur les antennes de l’ORTM, la télévision d’État du Mali, nous apprenions que le président de la transition, Bah N’Daw et son Premier ministre, Moctar Ouane, ont été démis de leurs fonctions par le vice-président de la Transition Assimi Goïta.
Cela intervient quelques heures après la mise en place du second gouvernement de Moctar Ouane, dans lequel les colonels Sadio Camara, ministre de la Défense et Modibo Koné, ministre de la Sécurité intérieure, deux membres influents de l’ex-CNSP, n’ont pas été reconduits à leurs postes. Cette exclusion est à l’origine de l’éclatement du triumvirat de la transition en faveur d’Assimi Goïta. Ce dernier soutiendra, plus tard, devant la classe politique, qu’il fallait choisir entre la cohésion au sein des forces de défense et de sécurité ou le chaos.
Cette énième interruption du fonctionnement normal des institutions au Mali, la deuxième d’une transition, qui, elle-même, est le fruit d’une autre, contre le président Ibrahim Boubacar Keita, n’a pas manqué de susciter des indignations et condamnations, tant au plan national, sous-régional qu’international, avec son lot de qualificatif, dont les plus mémorables restent entre autres « mettre hors de leurs prérogatives » du vice-président Assimi Goïta, ou celui de « coup d’État dans le coup d’État » du président Emmanuel Macron, ou encore « l’éviction des autorités civiles par les militaires » du Conseil de Sécurité des Nations-Unies.
Nul besoin de spéculer, aujourd’hui, sur les conséquences nuisibles d’une interruption illégale du fonctionnement régulier des institutions d’un pays, selon qu’il ne nomme un coup d’État ou pas de façon explicite. Il est donc compréhensible que tout démocrate convaincu, républicain assumé, citoyen engagé ou organisation et institution internationale, condamnent fermement les coups d’État ou leurs auteurs. Eux qui sont souvent attachés aux respects des principes et valeurs républicaines et démocratiques.
Au-delà des condamnations de principes légitimes des coups d’État, l’accent n’est-il pas souvent mis uniquement sur les conséquences d’un problème, au détriment de ses causes? Une tentative de compréhension des causes des coups de force à répétition s’impose à tous les Maliens, et spécifiquement à la classe dirigeante et à tous les acteurs du jeu démocratique pour prévenir ces interruptions des militaires dans le jeu politique.
En effet, le Mali a connu, depuis son indépendance, 4 coups de force, l’agression physique d’un président par intérim et les « démissions » forcées de deux gouvernements de transition.
Si on peut noter deux coups de force contre les institutions de l’État, de la période allant de 1960 à 2011, qu’est-ce qui explique leur multiplication à partir de la chute du président Amadou Toumani Touré en 2012? Pour répondre à cette question, il faut prendre en compte une conjugaison de facteurs.
Premièrement, il y a la faiblesse de l’État, symbolisée par la présence des forces étrangères. Après la chute du président ATT et l’occupation du Nord du Mali par les forces rebelles et terroristes, le pays est apparu divisé et l’Etat affaibli. Le Mali a fait appel aux forces étrangères, pour venir à son secours. Ainsi, l’État du Mali s’est retrouvé sous tutelle internationale, ne pouvant plus exercer pleinement sa souveraineté sur l’ensemble de son territoire. Par ailleurs, il subit la pression des partenaires, dont certains à l’occasion exigent soit la tenue de l’élection présidentielle ou la signature d’un accord de paix, qui lui est défavorable.
Il y a ensuite la question des exigences de plus en plus fortes du peuple malien Il faut noter que depuis la chute du président Moussa Traoré et l’émergence du mouvement démocratique au prix du sang versé par le peuple, les Maliens sont devenus plus exigeants. Les populations se sont nettement mises dans la posture selon laquelle le pouvoir leur appartient. Par conséquent, elles ne font que prêter ce pouvoir à qui elles veulent, mais ne le donnent surtout pas. Ainsi, pendant 20 ans de pratique démocratique, il y a une floraison de partis politiques, d’associations et d’organisations de la société civile, qui ont décrié à tort ou à raison, les travers de la gouvernance de l’État, sur le plan social, économique, politique et institutionnel. Depuis 2012, les Maliens ne se font plus prier pour battre le pavé, et revendiquer, autant qu’ils constatent que face aux défis du quotidien, la mauvaise gouvernance continue.
Par ailleurs, il y a aussi le défi pour le pouvoir de ne pas être en conflit avec la source de sa légitimité. Là réside une cause importante, qui est à l’origine des coups de force en période de normalité constitutionnelle ou non, depuis la transition sous le président par intérim Dioncounda Traoré, qui tenait sa légitimité des 40 jours d’intérim que lui conférait la Constitution du 25 février 1992 Au-delà, il a malheureusement subi une agression. On peut appliquer le même raisonnement à la démission forcée du Premier ministre Cheick Modibo Diarra, qui a finalement remis sa démission aux putschistes de Kati.
S’agissant du président élu, Ibrahim Boubacar Keita, sa gestion politique a finalement été perçue comme étant « contraire aux intérêts du Mali par une bonne frange du peuple. Son régime finit par subir un coup d’Etat ouvrant la voie à une transition plutôt laborieuse voire tumultueuse. Concernant le président Bah N’Daw et son Premier ministre Moctar Ouane, ils sont arrivés aux affaires grâce à la junte rassemblée au sein du CNSP, la source de leurs légitimités. Mais, ils auraient voulu s’affranchir de cette « légitimité ». Ce qui a conduit à la mise « hors de leurs prérogatives ». Une manière pour les colonels de Kati de montrer que la légitimité leur a été déléguée par la force du canon.
Enfin, la limite de la Constitution du 25 Février 1992, qui ne prévoit d’article pour organiser la démission du président, facilite l’intervention de l’armée dans l’arène politique. Ne devrait-on pas prévoir cette éventualité dans la perspective des prochaines réformes politiques et institutionnelles ?
Loin de nous toute idée de justifier les coups d’Etat, dont nul n’ignore les conséquences désastreuses sur l’avenir du pays. La stabilité des institutions fait avant tout le bonheur des Maliens. La recherche des voies et moyens pour guérir le grand patient Mali est l’affaire de tous les citoyens. Dès lors, il urge de traiter la maladie, mais aussi de comprendre sa nature pour mieux la prévenir.
Massa Kanté,
CEO www.diasporaction.com