Extraction du diamant au ralenti, ville quasi coupée du monde, risque de pénuries, crise humanitaire, victimes traumatisées… une année de violences au Kasaï a exacerbé les crises économique et politique en République démocratique du Congo.
« Avant, on allait travailler dans n’importe quelle mine pour chercher du diamant. Mais, maintenant, on a tous peur de mourir », raconte en langue tshiluba à l’AFP Banayi Ilunga, « creuseur » qui plonge depuis onze ans dans les boyaux de la terre pour en arracher les pierres précieuses, grande richesse du Kasaï, dans le centre de la RDC.
En raison des violences, il a dû abandonner les sites miniers les plus rentables pour d’autres près l’une des grandes villes de la région, Tshikapa (700 km à l’est de Kinshasa), plus sûrs mais à très faible rendement.
L’éclat des diamants du Kasaï s’est terni depuis ce 12 août 2016 et la mort du chef coutumier Jean-Prince Mpandi, alias « Kamwina Nsapu », tué dans un assaut militaire parce qu’il avait défié le président Joseph Kabila.
Sa mort a allumé les feux de l’insurrection des rebelles « Kamwina Nsapu », suscitant une sévère répression. Bilan d’après l’Eglise catholique: plus de 3.000 morts -dont deux experts de l’ONU- et 1,4 million d’habitants fuyant les atrocités parfois jusqu’en Angola, à quelques dizaines de km vers le sud.
Traversée par la rivière Kasaï qui serpente au milieu des palmiers, Tshikapa et son million d’habitants vivent comme une ville assiégée et coupée du reste du monde en raison de l’insécurité sur la voie fluviale et les routes.
Des navires ont été attaqués, raconte en lingala une habitante, Mama Ngombé: « Avec l’arrivée des Kamwina Nsapu, vers la mi-décembre, on a incendié une baleinière (ndlr: embarcation légère) et une vedette du gouvernement provincial. Après un moment, il y eut encore des désordres, des tueries de passagers ».
Le mois dernier, l’Association des navigants du Kasaï-Tshikapa (Anakat) avait même suspendu la circulation fluviale, pour protester contre l’insécurité. Le trafic reprend très timidement.
– Vers un recensement électoral –
Les routes sont tout aussi dangereuses. L’axe Tshikapa-Kananga est le domaine des Kamwina Nsapu, préviennent les spécialistes de la région. La Nationale qui va à Kinshasa? La chasse gardée des milices Pende, une communauté locale. Mieux vaut ne pas s’y aventurer seul mais toujours en convoi, tout comme sur la route qui descend vers la province angolaise du Lunda norte.
Conséquence de cet isolement: la flambée des prix. Sur le marché, les produits de base – maïs, manioc et huile de palme – ont enregistré une hausse de prix de 50, 100 et 150% respectivement.
En plus de son million d’habitants, Thsikapa accueille plus de 70.000 déplacés qui ont fui les affrontements entre forces de sécurité et milices Kamwina Nsapu, voire des rivalités entre communautés (Luba, Tchokwe, Pende…).
L’une des déplacées, Agnès Mupetu, porte des traces de brûlures sur le corps. « Je ne sais pas comment je suis sorti de notre maison quand elle a été incendiée. Je me suis réveillée dans la forêt, sans médicament. Je n’avais même pas accès aux médicaments traditionnels. On m’a ramassé avec mes blessures dans la forêt », témoigne cette femme de 37 ans. Ses six enfants ont péri dans l’incendie et son mari a disparu, affirme-t-elle.
Nourriture, vêtement, santé: seules 30.000 personnes sont aidées par le programme des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO) et des ONG locales. « Nous avons des ressources limitées », reconnaît un responsable local de la FAO, Moïse Muhindo.
Aux familles, la FAO fournit des houes, des arrosoirs et des râteaux, ainsi que des semences, pour tenter de relancer l’activité agricole.
Les autorités tentent, elles, de multiplier les signes d’un retour à la normale depuis un déplacement du président Kabila au Kasaï mi-juin. Dernière annonce en date: les 31.000 Congolais réfugiés en Angola pourront bientôt retraverser la frontière, selon des autorités provinciales des deux pays. Depuis quelques semaines, environ 1.400 seraient rentrés volontairement.
Et les opérations du recensement électoral au Kasaï vont pouvoir commencer, assure le président de la Commission électorale (Céni), Corneille Nangaa, sans avancer toutefois de date. « Nous pensons que notre action sera porteuse de paix et d’apaisement », a-t-il déclaré à l’AFP à Thsikapa au terme d’une tournée dans le Kasaï.
Début juillet, M. Nangaa avait déclaré qu’il ne serait « pas possible » d’organiser comme prévu l’élection présidentielle d’ici la fin de l’année, notamment en raison de l’insécurité au Kasaï.
Cette élection doit désigner un successeur au président Kabila, dont le deuxième mandat a pris fin en décembre et à qui la Constitution interdit de se représenter.