Ce passage du document de vérification de la direction des finances et du matériel (Dfm) du ministère de l’Administration territoriale est, on ne peut plus clair : «La DFM a commis des manquements aux règles de passation des marchés publics ;
- La DFM a commandé 8 millions de cartes NINA sans avoir déterminé les besoins avec précision, en violation des dispositions de l’article 29 du Décret n°08-485/P-RM du 11 août 2008, modifié, portant code des marchés publics et des délégations de service public qui dispose: «La nature et l’étendue des besoins sont déterminées avec précision par les autorités contractantes avant tout appel à la concurrence ou toute procédure de négociation par entente directe. Le marché public ou la délégation de service public conclu par l’autorité contractante doit avoir pour objet exclusif de répondre à ces besoins». Elle a estimé à 8 millions le nombre d’électeurs dits potentiels au regard des fichiers électoraux existants, notamment le Fichier électoral consensuel et le RAVEC sans une analyse affinée par une structure techniquement et légalement compétente. Ainsi, il résulte des travaux que le total de cartes faisant l’objet de commande à travers le Marché n°0094/DGMP- DSP/2013 a dépassé de 895 156 le nombre de citoyens inscrits dans les données du RAVEC et ayant atteint l’âge de voter à la date de l’élection présidentielle tenue en juillet 2013».
En clair et selon le Rapport du VEGAL, le nombre des électeurs maliens a été surévalué et sans parler des nombreuses autres irrégularités relevées dans la même procédure (lire la suite des constatations en encadré). Cette surestimation a tout naturellement eu une incidence sur les résultats des élections, en tout cas, sur les chiffres qui en ont résulté. Mais à qui donc a profité le crime ? Bien entendu, au candidat et président élu comme l’attestent éloquemment ces rappels de faits.
«MARCHÉ DE FOURNITURE DES CARTES NINA : Magouilles pour ouvrir un boulevard à IBK» («Le Sphinx» du 11 mai 2013)
Ces passages de l’article que nous vous proposons ont été publiés dans ces mêmes colonnes à la date du 11 mai 2013, alors que le processus d’attribution du marché des documents électoraux était lancé. D’ores et déjà, la société Safran Morpho, filiale de Sagem et représentée par Sidi Mouhamed Kagnassy a bénéficié de coups de piston en vue de gagner le jackpot. Le marché en question lui fut attribué de gré-à-gré. Et Sidi Kagnassy sera nommé après l’élection, Conseiller à la présidence de la République. Kagnassy sera souillé par un autre scandale portant sur le marché des fournitures militaires. Mais pour en revenir aux cartes NINA, relisons plutôt ce rappel des faits :
«La gestion du dossier d’appel d’offres international relatif au marché de confection des cartes d’électeurs, encore appelées cartes NINA, commence déjà à semer le doute dans la tête des gens, à cause des manœuvres politiciennes qui l’entourent, en plus des manipulations que nous avions déjà dénoncées (…), en annonçant que ledit marché a été attribué à la société Safran Morpho S.A.
En effet, le marché a été lancé au début du mois de mars et le dépôt des offres s’est vu renvoyé à trois reprises. Du 22 mars on est allé au 25 mars, ensuite au 2 avril et finalement au 17 avril 2013. Entre temps, les soumissionnaires ont été informés d’une modification du cahier des charges. C’était uniquement pour confirmer «que la personnalisation des cartes NINA peut se faire aussi bien au Mali qu’à l’extérieur». Une façon de répondre à une des exigences du groupe Sagem, qui est présent dans ce marché par l’entremise de trois sociétés différentes: Safran Morpho S.A, SBN Technologie et ZETES. Une façon d’augmenter les chances du groupe français de remporter ce marché. En plus, si la modification doit tourner en sa faveur…
Toujours est-il que les soumissionnaires ont été floués au profit de Sagem car après avoir notifié aux soumissionnaires que ce marché est infructueux, notamment par la lettre n° 00330MATDAT-DFM-DAMP du 26 avril 2013 adressée à tous les soumissionnaires et signée par le capitaine Mamadou Sougouna, directeur des finances et du matériel adjoint du ministère de l’Administration territoriale, de la décentralisation et de l’administration du territoire, on a attribué ledit marché à Safran Morpho Sagem par entente directe.
Une violation flagrante de la loi, puisque selon les dispositions du Code des marchés publics, notamment en son article 65 «De l’appel d’offres infructueux», il est clairement dit que : «En l’absence d’offres, si aucune des offres reçues n’est conforme au dossier d’appel d’offres ou toutes les offres sont supérieures à l’enveloppe budgétaire, l’autorité contractante, sur l’avis motivé de la Commission d’évaluation, des offres, déclare l’appel d’offres infructueux».
«Il est alors procédé, soit, par nouvel appel d’offres, soit, par consultation effectuée par appel d’offres restreint d’au moins trois entrepreneurs ou fournisseurs auxquels est adressé le dossier d’appel d’offres, et dans ce cas, après autorisation préalable de la Direction générale des marchés publics».
Comme on le voit, le Code des marchés publics a été ignoré, voire violé, parce qu’on tenait à donner ce marché à la société Safran Morpho-sa. Sous la Transition pilotée par Dioncounda Traoré, c’est le énième appel d’offres qui finit par l’octroi par entente directe, du marché en question. C’est à croire qu’au Mali, on ouvre un marché, pour le refermer aussitôt. En réalité, les appels d’offres ne sont lancés que pour leurrer le public. Tout se termine par un marché de gré à gré, qui en réalité était concocté à l’avance.
Rappelons que Saphran Morpho-sa, c’est Sagem, c’est encore le groupe Safran composé de 8 sociétés. Pourtant, l’analyse des offres, au dépouillement, précisait à propos du pli n° 6, celui de Morpho sa, que l’offre du soumissionnaire est exprimée en «Hors Taxes», alors que le régime fiscal et douanier du marché est «Toutes Taxes Comprises». Plus grave, il a été constaté qu’il n’y avait pas les statuts de la société dans l’offre. En plus, il a été relevé que le bilan 2009 figurant dans le dossier est au nom de Sagem Sécurité tandis que c’est Safran Morpho qui soumissionne. Comment peut-on, dans ces conditions, choisir cette société pour lui attribuer le marché par entente directe ? Mystère et boule de gomme !».
La réponse à cette question est désormais trouvée. C’était dans le but de surévaluer le nombre de votants à hauteur de 895.156 électeurs comme le confirme le rapport du VEGAL.
Les trois faiseurs de roi : l’Ivoirien Adama Bictogo, l’ex-ministre Moussa Sinko Coulibaly et le capitaine Amadou Haya Sanogo
Par quel truchement, ces 895.156 électeurs fictifs ont-ils été enregistrés ? Il est bon d’attirer l’attention que Morpho Sagem a des liens avec l’ancien ministre ivoirien Adama Bictogo qui a été chassé de son poste par Alassane Ouattara, pour des accointances avec l’ex-junte du capitaine Sanogo. «Le Sphinx», comme les journaux ivoiriens, ont fait cas d’un trafic d’or dans l’ouest de la Côte d’ivoire. Signalons en outre que c’est un putschiste (le Colonel devenu Général, Moussa Sinko) qui était aux commandes de l’administration en charge de l’attribution du marché des documents électoraux et de l’organisation du scrutin.
Fallait maintenant une société ayant une forte expérience en la matière, mais surtout, n’ayant que peu ou prou de moralité et prête à tout. SAGEM était là. Elle avait déjà fait ses preuves au Kenyan, au Bénin, au Nigeria, etc. Et mieux, elle a été condamnée par le 11ème tribunal de Paris au paiement d’une amende de 500 000 euros soit la bagatelle de 320 millions de nos francs pour corruption avérée, pour des bakchichs de plus de 2 milliards sur un marché de près de 112 milliards qu’elle a payés à des officiels nigérians pour se faire attribuer le marché.
Il fallait aussi, une filiale malienne. L’on créa Safran-Morpho qui, en violence flagrante de la procédure, gagna le marché. C’est cette attribution qui est aujourd’hui dénoncée par le rapport du VEGAL (lire encadré). Elle (l’attribution) permit en tout état de cause, de rendre effective l’inscription d’un peu moins de 900 mille électeurs fictifs sur la liste électorale et au profit du candidat Ibrahim Boubacar Keïta, pour lequel œuvraient tous les personnages cités : Amadou Haya Sanogo, Colonel Sinko Coulibaly, Adama Bictogo, Kagnassy… Tous ou presque, eurent une promotion, par la suite : le premier, Amadou Haya Sanogo eu le traitement dû à son rang d’ancien chef d’Etat ; Sinko Coulibaly fut nommé Général et Directeur de l’Ecole de maintien de la paix ; le fils-Kagnassy fut nommé conseiller spécial à la présidence et obtint le marché relatif à la fourniture d’équipements militaires portant sur 64 milliards F CFA… L’Ivoirien Bictogo n’eut pas autant de chance. Il fut viré par son employeur qui avait découvert le pot-aux-roses… Les choses se gâtèrent également pour les autres : sous pression de la communauté internationale, Amadou Haya Sanogo fut arrêté et emprisonné en attendant son jugement; le fils-Kagnassy fut contraint à la démission, suite à une affaire de corruption liée au marché attribué à sa société (GUO-STAR). Ne reste plus en liste et en fonction que l’ex-ministre de l’Administration territoriale et non moins faiseur de roi.
Batomah Sissoko
Encadré : Des irrégularités qui exposent à la nullité de la procédure
Extrait du Rapport 2014 du VEGAL portant sur les opérations de passation, d’exécution et de règlement du marché relatif à la fourniture de cartes de numéro d’identification nationale à la direction des finances et du matériel du ministère chargé de l’Administration territoriale.
Le Vérificateur Général a initié la vérification des opérations de passation, d’exécution et de règlement du Marché n°0094/DGMP-DSP/2013 relatif à la fourniture de cartes de Numéro d’Identification Nationale (NINA).
OBJET DE LA MISSION
Créée par Ordonnance n°09-010/P-RM du 4 mars 2009, la Direction des Finances et du Matériel (DFM) du Ministère chargé de l’Administration Territoriale a pour mission d’élaborer, au niveau de ce département, les éléments de la politique nationale dans le domaine de la gestion des ressources financières et matérielles et de l’approvisionnement des Services.
La Direction des Finances et du Matériel (DFM) a, dans ce cadre, passé le marché n°0094/DGMP-DSP/2013 relatif à la fourniture de cartes de Numéro d’Identification Nationale (NINA) pour un montant de 8,51 milliards de FCFA. La vérification porte sur les opérations de passation, d’exécution et de règlement du marché susmentionné. Elle a pour objectif de s’assurer de la régularité et de la sincérité des actes posés par la DFM du Ministère chargé de l’Administration Territoriale dans le cadre de la passation, de l’exécution et du règlement dudit marché.
PERTINENCE
La sortie de la crise économique et politico-sécuritaire que traversait le Mali depuis mars 2012 exigeait la tenue, en 2013, d’élections transparentes et crédibles qui étaient, ainsi, devenues une priorité absolue pour la Nation. L’atteinte de cet objectif majeur impliquait diverses conditions, notamment l’existence d’une liste d’électeurs fiable et des matériels électoraux sûrs. La production et l’assurance d’unicité d’une carte électorale pour chaque électeur cristallisaient l’intérêt et les débats. Comme il apparaissait clairement que la crédibilité des scrutins était dépendante de la fiabilité de la carte électorale, les autorités nationales prirent l’option de recourir à la biométrie pour garantir la qualité et la sécurité des cartes électorales. Dans ce cadre, fut initié le marché de production de cartes NINA alimentées par les données de Recensement Administratif à Vocation d’Etat Civil (RAVEC) et utilisant des techniques de la biométrie.
CONSTATATIONS
La DFM a commis des manquements aux règles de passation des marchés publics
- La DFM a commandé 8 millions les cartes NINA sans avoir déterminé les besoins avec précision en violation des dispositions de l’article 29 du Décret n°08-485/P-RM du 11 août 2008, modifié, portant code des marchés publics et des délégations de service public qui dispose : «La nature et l’étendue des besoins sont déterminées avec précision par les autorités contractantes avant tout appel à la concurrence ou toute procédure de négociation par entente directe. Le marché public ou la délégation de service public conclu par l’autorité contractante doit avoir pour objet exclusif de répondre à ces besoins». Elle a estimé à 8 millions le nombre d’électeurs dits potentiels au regard des fichiers électoraux existants, notamment le Fichier électoral consensuel et le RAVEC sans une analyse affinée par une structure techniquement et légalement compétente. Ainsi, il résulte des travaux que le total de cartes faisant l’objet de commande à travers le Marché n°0094/DGMP- DSP/2013 a dépassé de 895.156 le nombre de citoyens inscrits dans les données du RAVEC et ayant atteint l’âge de voter à la date de l’élection présidentielle tenue en juillet 2013.
En commandant un nombre de cartes supérieur au besoin réel, la DFM du Ministère chargé de l’Administration Territoriale n’a pas observé scrupuleusement le principe d’économie dans la passation des marchés publics.
- Le Ministre de l’Administration Territoriale, de la Décentralisation et de l’Aménagement du Territoire a mis en place une commission d’ouverture des plis et d’évaluation des offres dont la composition n’est pas conforme aux dispositions de l’article 4.1 de l’Arrêté n°09-1969/MEF-SG du 6 août 2009 fixant les modalités d’application du Décret n°08-485/P-RM du 11 août 2008, modifié, portant procédures de passation, d’exécution et de règlement des marchés publics et des délégations de service.
En effet, en lieu et place du Directeur des Finances et du Matériel, le Conseiller Technique chargé des affaires économique a été désigné pour présider la commission. Le non-respect de cette disposition expose à la nullité des actes posés dans le cadre du dépouillement et de l’évaluation des offres.
RECOMMANDATIONS
Au Ministre chargé de l’Administration Territoriale : – respecter les textes régissant la composition des commissions d’ouverture des plis et d’évaluation des offres. Au Directeur des Finances et du Matériel : – déterminer les besoins sur la base d’informations fiables avant le lancement des marchés
Encadré 2
Et si c’était Soumaïla Cissé et Dramane Dembélé ?
Quelle est donc l’incidence des 895.156 électeurs supplémentaires sur les résultats du scrutin présidentiel de 2013 ? En théorie, elle a bouleversé la donne.
«Il résulte des travaux que le total de cartes faisant l’objet de commande à travers le Marché n°0094/DGMP- DSP/2013 a dépassé de 895.156 le nombre de citoyens inscrits dans les données du RAVEC et ayant atteint l’âge de voter à la date de l’élection présidentielle tenue en juillet 2013».
C’est le passage du rapport très compromettant du VEGAL. Ce sont donc au total, un peu moins de 900 milles électeurs fictifs qui ont été inscrits et selon toute évidence, en faveur du candidat Ibrahim Boubacar Keïta. Rappelons plutôt le score des différents postulants au premier tour du scrutin :
- 1er: IBK : 1.175.769 voix (39,79%)
- 2ème : Soumaïla Cissé : 582.127 voix (19,70%)
- 3ème: Dramane Dembélé : 286.929 voix (9,71%)
Amusez-vous maintenant à soustraire les 895.156 électeurs fictifs du score d’IBK ! Il obtiendra alors 280.613 voix, score inférieur à celui de Soumaïla Cissé (582.127) et Dramane Dembélé (286.929) au premier tour. En clair, IBK vient 3ème derrière les candidats URD et ADEMA, au premier tour. Il aurait donc été disqualifié pour le second.
Source: http://www.journallesphynxmali.com/