Rapport du Fonds Mondial sur le Mali (21 avril 2011) – 10

Pour des raisons de ressources, des problèmes de sécurité et de disponibilité des signataires, l’OIG n’a pas été en mesure de rencontrer tous les supposés signataires de documents afin de confirmer l’authenticité de leurs signatures. Souvent, cependant, des preuves circonstancielles, comme lorsque des fausses factures de fournisseurs accompagnaient les fiches de per diem pour justifier la même activité et un retrait bancaire – permettent d’aboutir à la conclusion raisonnable que ces signatures étaient fausses. Malgré tout, l’OIG n’a pas inclus dans son analyse, ni dans le calcul de pertes, les signatures falsifiées qui n’avaient pas tous les éléments de preuve. Eut égard à cela, le montant réel des pertes pourrait être beaucoup plus élevé qui celui auquel nous avons abouti.

Les officiels des programmes ont créé des «packages» de documents pour simuler des dépenses

Les fausses factures, ordres de mission, et listes de per diem soumis n’étaient pas isolés les uns des autres. Dans la pratique, ces documents ont été créés pour justifier un seul retrait bancaire, initialement effectué en réponse à une proposition de budget pour mener une activité du programme. Par conséquent, les documents justificatifs composent un assortiment diversifié des dépenses nécessaires pour réaliser une activité planifiée, telle que la formation de médecins dans une région donnée (par exemple, la collection de documents comprend généralement des feuilles de per diem, des reçus de carburant, des factures d’hôtel, des reçus pour la restauration, etc.).

L’OIG n’a pas toujours été en mesure de prouver des fraudes pour chaque document au sein des groupes de documents présentés pour justifier un simple retrait bancaire ou une activité. Par exemple, alors que l’OIG peut avoir prouvé, avec des preuves substantielles et crédibles, qu’une facture d’hôtel a été créée sur l’ordinateur du Directeur du programme et que les feuilles de per diem comportent des signatures falsifiées, il peut aussi ne pas avoir été capable de prouver, au même degré de certitude, que les reçus de nourriture et de carburant soumis dans le même cadre, étaient frauduleux. Dans la grande majorité de ces cas, ces documents présentaient de forts indices de fraude probable, comme des similitudes de formatage entre les factures de fournisseurs différents, le manque d’informations de contact sur ​​les factures, des incohérences de date, etc. Comme ils visaient à justifier le même retrait de fonds que des documents que l’OIG a prouvé être frauduleux, cela renforce encore le caractère suspect de tous les documents inclus dans le package. L’OIG les a donc considérés comme des preuves circonstancielles qui confirmaient la fraude.

Cet état de fait, à son tour, a créé de fortes présomptions quant à la réalité de la prétendue activité justifiée par les documents. Il est, en fait, difficile de savoir si la documentation frauduleuse a été utilisée pour «fabriquer» entièrement des activités (par exemple, une mission de formation ou de supervision qui n’a jamais vraiment eu lieu), pour gonfler le montant des dépenses réellement engagées (par exemple une surfacturation pour une chambre d’hôtel ou du carburant ), ou en combinant les deux (par exemple, envoyer deux personnes dans une région pour trois jours, mais facturer cinq personnes pendant une semaine). Peu importe, car il est clair que les fonds du GF n’ont pas été utilisés dans leur intégralité aux fins prévues.

L’OIG a trouvé 103 retraits, totalisant 941 123 USD (447 974 548 FCFA) pour lesquels il existait au moins un document frauduleux, avec des preuves substantielles et crédibles, et qui était accompagné d’autres documents présentant des preuves corroborant une fraude.

Création de faux justificatifs par la DAF

L’OIG a examiné le cas d’une mission de supervision présumée, pour 10 504 USD (5 000 000FCFA), qui aurait été effectuées le PNLP (Programme Paludisme) en mai 2006, dans huit régions pendant 15 jours. Chaque document justificatif pour cette activité présentait des preuves ou des indices de fraude, et il semble que le comptable de la DAF a joué un rôle central dans la création de la documentation frauduleuse:

Décharge faite par le comptable de la DAF, l’Individu A:

Des relevés bancaires montrent que le régisseur de la DAF, l’Individu F a retiré 10 504 USD (5 000 000 FCFA) le 23 Juin 2006, par chèque N°16 46 507. Les documents de décharge indiquent que ce montant a été reversé sur le compte DAF de l’Individuel A, en contravention avec les procédures de contrôle mises en place.

Factures présentes dans l’ordinateur du comptable de la DAF comptable:

Une facture justifiant prétendument l’achat de fournitures de bureau a été retrouvée à l’identique sur l’ordinateur du comptable de la DAF, l’Individu A. (le fichier s’appelait Facture Fournisseur PNLP.xls) Cela suggère que la dépense n’a pas été effectuée par le PNLP du tout et que l’Individu A en vraisemblablement conservé le montant par la création d’une documentation fictive.

Fausses signatures:

Les justificatifs de dépenses comptaient également des fiches journalières enregistrant prétendument la réception de paiements des per diem par les superviseurs et les chauffeurs. Sur la base de l’analyse des signatures menée par l’OIG, il semble que toutes les signatures sur les pages de per diem ont été falsifiées. L’écriture sur les pages, ainsi que sur celles des per diem des chauffeurs, ressemble à la signature de l’Individu D, coordonnateur du PNLP.

Factures suspectes de carburant et de pièces détachées:

i. La documentation à l’appui comprenait deux reçus différents de carburant écrits à la main pour exactement 1 788, 57 litres chacun (d’un montant curieusement identique et excessif) pour deux jours, le 19 mai 2006 et le 21 mai  2006, au même prix et au nom de deux stations d’essence différentes, alors que l’écriture sur les reçus est identique.

ii. Deux autres reçus manuscrits, pour exactement les mêmes quantités de pièces détachées et de l’huile, écrits dans le même ordre et avec une écriture identique, pour le même prix, ont été fournis a deux jours d’intervalle: le 19 mai 2006 et le 21 mai.

En résumé, ce retrait de 5 000 000 CFA a été justifié par (1) une fausse facture, créée par le comptable de la DAF, (2) de fausses fiches journalières de paiement de per diem avec des signatures contrefaites, apparemment créées par le chef du PNLP et (3) de faux reçus manuscrits de carburant et d’entretien de véhicules, pour des quantités incroyablement importantes de carburant. Ce cas illustre la forte probabilité que des fraudes aient été perpétrées, non seulement de manière individuelle, mais aussi que les individus au sein de la DAF et du programme se soient entendus pour détourner les fonds de celui-ci. Les documents constituent une preuve circonstancielle de ce fait. Cette conclusion est étayée par l’aveu même de l’Individu A, qui affirme avoir donné de l’argent «illicite» à l’Individu D.

Fausses pièces justificatives créées par le PNLT :

Pour le Round 4 Tuberculose, l’OIG a identifié un retrait par chèque effectué par l’Individu F, le régisseur de la DAF, le 14 avril 2008, pour un montant de 8 315 USD (3 958 405 FCFA, chèque N°25 78 445) qui était destiné à couvrir les coûts d’une campagne de sensibilisation pour le leadership communautaire. Une grande majorité des documents justificatifs relatifs, justifiant prétendument les dépenses pour cette activité, présentaient des preuves ou des indices de fraude.

L’OIG a trouvé sur l’ordinateur de l’Individu B contenait deux modèles d’en-têtes et les corps des offres et des factures soumises pour montant de 1 933 USD pour Mali Logistique et les fournisseurs «concurrents» Mali Art Décor et Issiaka Bérété. Ces modèles ont été créés le 15 avril 2008, douze jours après la date indiquée sur les factures. En outre, la soumission Mali Art Décor comprenait un timbre identique à celui trouvé dans la cachette de l’Individu C. Une personne répondant au téléphone au nom d’Issiaka Bérété a informé l’OIG que l’entreprise avait fermé en 2003, alors que l’offre était datée du 4 avril 2008.

D’autres faux cachets de fournisseurs (cf fac similé), trouvés dans le lot qui appartenait à l’Individu C, étaient portés sur 4 factures supposées provenir de l’Hôtel Azalai, pour 1 691 USD au total (805 000 FCFA),  une facture de 420 USD (200 000 FCFA) de Radio Bouctou pour une couverture médiatique et deux reçu de restauration au nom d’Ousmane Djiré, pour un montant de 374 et 690 USD (114 300 et 178 000 FCFA).

Factures de carburant frauduleuses ou excessives:

Bien que les documents justificatifs concernent l’utilisation présumée d’un véhicule par un seul chauffeur, une facture de carburant supposée provenir de la Station Total Pont Richard Pont a enregistré un seul achat, pour 446,97 litres de carburant. Il est impossible pour un véhicule s’approvisionner en une telle quantité de carburant à un seul moment donné. Un témoin confidentiel a en outre informé l’OIG que toutes les factures portant le nom de ce fournisseur été fausses.

Une autre facture des Ets Adama Souleymane Coulibaly pour 368 USD (175 000 FCFA) de pièces détachées était suspecte, parce que le vendeur qui a répondu au numéro de téléphone porté sur la facture a déclaré à l’OIG qu’il ne vendait pas de pièces pour automobiles.

Cachets gouvernementaux détenus par l’Individu C:

L’OIG a trouvé des documents supposés provenir de la DRS (Direction régionale de la santé) de Tombouctou, totalisant 1 744 USD (830 000 FCFA) qui portait des tampons identiques a ceux détenus par l’Individu C. En voici quelques exemples:

(i) Per diem pour les participants, le personnel d’appui et les animateurs régionaux, avec arrivée et départ, confirmations de transport, frais journalier étaient prétendument signé par le Directeur et le Comptable de la DRS de Tombouctou. Ils correspondent parfaitement aux tampons trouvés dans la cache de l’Individu C.

(ii) En outre, les signatures des participants sur de nombreuses pages estampillées étaient très suspectes. De fait, l’OIG a constaté que sept de ces noms apparaissaient dans d’autres listes de per diem, accompagnés de signatures différentes.

Double facturation:

L’OIG a découvert qu’un chèque, de ce montant exactement (N°25 78 359) avait également été délivré à la DRS de Tombouctou le 27 Mars 2008. Dans sa réponse aux auditeurs d’Etat du Mali, la DAF a confirmé que l’un des systèmes employés à des fins de détournement était la présentation multiple du budget d’une même activité. Il est fort probable, étant donné les fraudes et autres faits confirmés par de nombreux indices, que le budget pour cette formation de Tombouctou ait été présenté deux fois, et donc que les fonds ont été détournés. Encore une fois, puisque l’Individu A de la DAF gérait la trésorerie et que des responsables du PNLT créaient les faux documents, il est raisonnable de conclure, en s’appuyant sur la prépondérance de la preuve, que ces parties ont agi en collusion pour détourner cette somme.

A suivre…

Le 22 Septembre 08/07/2011