Emmanuel Macron alors ministre de l’Économie dans les couloirs de son ministère, le 20 juillet 2016 / © AFP/Archives / ERIC PIERMONT
Assouplir les règles du licenciement d’une part, renforcer l’assurance chômage et la formation de l’autre: la réforme du marché du travail, chantier prioritaire d’Emmanuel Macron, est perçue comme une volonté de développer une « flexisécurité » à la française, dont les effets sur le chômage font débat.
C’est au Danemark que cette politique est apparue dans les années 1990, combinant faible protection de l’emploi et fortes indemnités contre le chômage. Le royaume atteint aujourd’hui le plein-emploi et sa « flexisécurité » (contraction des mots « flexibilité » et « sécurité ») est régulièrement érigée en exemple France, en proie à un chômage de masse.
En associant réforme du code du travail et compte personnel d’activité, la loi travail était censée consacrer une « flexisécurité à la française » que François Hollande appelait de ses voeux.
Emmanuel Macron, qui fut l’artisan de la loi El Khomri, n’emploie pas directement ce terme mais de l’avis des experts, son projet de « libérer le travail » tout en réformant l’assurance chômage tend bien vers le modèle scandinave.
« Notre marché du travail est trop rigide, on est au bord du mur, il faut maintenant le franchir: ça veut dire développer une flexisécurité à la française », a estimé mardi le président du Medef, Pierre Gattaz, pressant l’exécutif de donner « plus d’agilité aux entreprises et en parallèle de travailler la sécurité du salarié dans sa carrière ».
« Le principe intéressant de la flexisécurité, c’est de protéger non pas les emplois mais les personnes, en faisant en sorte qu’elles puissent retrouver un emploi quand elles le perdent », explique l’économiste Stéphane Carcillo.
Le dispositif reposera sur trois volets, détaille ce professeur à Sciences Po: flexibiliser davantage le marché du travail, puis développer le volet sécurité en étendant l’assurance chômage aux indépendants et aux démissionnaires, avec pour corollaire un contrôle accru de la recherche d’emploi. Troisième étape: la formation d’un million chômeurs, pour laquelle Emmanuel Macron veut investir 15 milliards d’euros.
Pour la première phase, il prévoit notamment un plafonnement des indemnités prud’homales pour lever « la peur de l’embauche ». « En France le coût de rupture du CDI peut être très élevé et très incertain et les employeurs font tout pour l’éviter », analyse Stéphane Carcillo.
Assouplir les licenciement permettrait selon lui de réduire les emplois précaires (CDD, intérim..) tout en « incitant les employeurs à prendre des risques et conquérir de nouveaux marchés ».
Mais pour Patrick Artus, chef économiste chez Natixis, « le risque c’est qu’une des deux jambes de la flexisécurité aille plus vite que l’autre », en l’occurrence celle de la flexibilité, pour laquelle Emmanuel Macron a l’intention d’aller vite.
Effets désagréables
En France, « beaucoup d’entreprises, du fait de protections fortes de l’emploi, sont en sureffectif; comme il sera plus facile de licencier, elles vont commencer par ajuster leurs effectifs et on va d’abord perdre des emplois », prédit-il.
Le volet sécurité sera, lui, plus long à construire. « Si la flexisécurité a marché dans les pays nordiques, c’est parce que « les systèmes de formation sont performants et que l’économie monte en gamme. Mais la France ne réunit aucune de ces trois conditions. Où est le nouveau travail pour les salariés de Whirlpool sans formation ? Qui crée des emplois haut de gamme à Amiens ? » interroge le spécialiste.
« Une fois qu’on aura opéré la transition, ce sera mieux. Mais la montée en gamme de l’économie prenant du temps, il faut prévenir les Français qu’on aura d’abord les effets désagréables, avec une montée du chômage et une rotation vers des emplois bas de gamme ».
D’autres estiment que la flexibilisation engagée depuis les années 1980 n’a pas enrayé le chômage de masse, ne faisant qu’augmenter l’emploi précaire, « au détriment des femmes et des jeunes », comme le souligne Anne Eydoux, du collectif des Economistes atterrés.
« Ces mesures s’appuient sur un diagnostic erroné selon lequel le chômage serait imputable aux salariés stables, les +insiders+ qui protègeraient leur emploi au détriment des +outsiders+ », déplore la chercheuse.
« Si les entreprises n’embauchent pas suffisamment, c’est faute de demande. Les salaires stagnent, or l’activité et la croissance économique dépendent des salaires. Ça n’est pas en précarisant davantage les salariés qu’on remplira les carnets de commande des entreprises », conclut-elle.
(©AFP / 19 mai 2017 10h54)