Autant d’interrogations sur lesquelles les ministres, les hommes politiques, la société civile, les médias et les citoyens brodent, sans généralement faire référence à la loi fondamentale et, avec autant de réponses diverses et divergentes. Notre constitutionnaliste politologue, Dr Fangatigui Diakité, nous évoque dans cette contribution ce que la Constitution dit dans le contexte actuel. Face au risque de voir les troubles dans les régions Nord mettre en péril les échéances constitutionnelles de l’élection présidentielle dont le premier tour est prévu pour le 29 avril 2012, et le référendum constitutionnel en perspective, des voix s’élèvent de plus en plus, dans une cacophonie parfois assourdissante, pour lancer des propositions de solutions un peu à l’emporte-pièce. Propositions qui, pour la plupart, ne tiennent aucun compte de ce que ditla Constitution.
Les implications de la crise du Nord sur le déroulement normal du chronogramme des scrutins de 2012 ne peuvent être sérieusement examinées qu’à la lumière des ressources juridiques disponibles dans le texte dela Constitutionet qui soient applicables au cas d’espèce. Référendum constitutionnel : l’article 118 dispose… L’équation du référendum est de loin la plus simple et la plus facile à traiter, car le cas d’espèce est évoqué par la Constitutionà l’avant-dernier alinéa de l’article 118 qui dispose qu’«aucune procédure de révision ne peut être engagée ou poursuivie lorsqu’il est porté atteinte à l’intégrité du territoire ».
Le but de cette disposition est d’éviter qu’une révision constitutionnelle ne soit engagée ou poursuivie sous la pression éventuelle de forces d’occupation étrangères sur notre territoire national. L’avant-dernier alinéa de l’article 118 doit également être compris comme l’expression de la nécessité d’assurer la participation effective et dans la sérénité, de l’ensemble du peuple souverain appelé à se prononcer sur une réforme constitutionnelle. Autant de conditionnalités implicites non remplies en situation d’atteinte à l’intégrité du territoire. La question est de savoir dans quelle mesure peut-on considérer aujourd’hui qu’il est porté atteinte à l’intégrité de notre territoire, sachant que des localités de ce territoire se trouvent occupées par une rébellion qui clame haut et fort sa volonté d’autodétermination et d’indépendance au dépens de la nation malienne. La réponse à cette question paraît simple, dans la mesure où personne ne peut raisonnablement nier le fait que l’intégrité territoriale du Mali fait actuellement l’objet d’une atteinte de la part de la rébellion armée.
Cette situation d’atteinte à l’intégrité territoriale est d’autant plus grave et flagrante qu’elle ne se manifeste pas seulement par des actes terroristes perpétrés contre les paisibles populations, mais se traduit par une occupation de fait de certaines parties du territoire national par des bandits armés. Nous sommes bel et bien dans le cas de figure de l’avant dernier alinéa de l’article 118 dela Constitution, c’est-à-dire une situation d’atteinte à l’intégrité du territoire national qui interdit d’engager ou de poursuivre toute procédure de révision constitutionnelle. Si le gouvernement s’entêtait malgré tout à exécuter le référendum, il y a fort à parier que le juge constitutionnel ne manquerait pas de le rappeler à l’ordre, plus ou moins amicalement, à travers la procédure consultative qui prévaut à chaque étape du processus d’organisation d’un référendum.
Rappelons que dans le cadre de cette procédure consultative, la Courconstitutionnelle va notamment s’assurer que les deux grandes catégories de limitations matérielles du pouvoir de révision constitutionnelle sont respectées. Il s’agit en fait de deux limitations dont le respect s’impose dans toute procédure de révision constitutionnelle : les limitations tenant à la préservation de la forme républicaine de l’Etat, de la laïcité et du multipartisme et les limitations tenant à la circonstance d’atteinte à l’intégrité du territoire. Par rapport à ces restriction, on peut affirmer que la crise du Nord sonne le glas du projet de révision constitutionnelle. Qu’en est-il du scrutin présidentiel? Qu’adviendrait-il si la crise du Nord devait conduire à un éventuel report de la présidentielle d’avril 2012? Report impossible de la Présidentielle L’interrogation sur le report de l’élection présidentielle à valeur de véritable question préjudicielle à laquelle il importe d’abord de répondre avant d’en arriver aux conséquences qui pourraient en découler. Le principe de base en la matière est celui de la compétence exclusive du gouvernement.
C’est lui qui dispose du pouvoir de convocation du collège électoral comme cela ressort de la loi électorale dont l’article 85 dispose que «les électeurs sont convoqués et la date du scrutin est fixée par décret pris en Conseil des ministres et publié au journal officiel soixante jours(60) au moins avant la date des élections… ». Théoriquement, le gouvernement demeure totalement libre de convoquer un collège électoral et de reporter cette convocation dans la limite légale minimum des 60 jours à observer entre la date de l’élection concernée et la date de publication au Journal officiel du décret de convocation pris en conseil des Ministres.
Cette règle vaut également pour l’élection présidentielle, sauf qu’elle se trouve renforcée par des restrictions découlant de l’article 37 de la Constitutionrelatif aux conditions dans lesquelles prend effet le mandat du nouveau président. C’est à cause de cet article 37 assez rigide selon lequel «le Président élu entre en fonction quinze jours après la proclamation officielle des résultats » que l’on manque de marge de manœuvre suffisante dans la fixation et le report de la date de l’élection présidentielle bâtis autour de cette date fatidique du 08 juin. Au regard de cette contrainte, le gouvernement ne dispose d’aucune ressource juridique lui permettant de reporter la date de l’élection présidentielle dont le premier tour est déjà fixé au 29 avril 2012. Le gouvernement étant désormais hors-jeu en terme de pouvoir d’initiative, seulela Courconstitutionnelle est habilitée décider du report de l’élection présidentielle, mais uniquement dans les conditions limitativement fixées à l’article 33 dela Constitution. L’article 33 prévoit trois cas de figure susceptibles de faire déclencher cette procédure juridictionnelle de report.
Les deux premiers cas autorisentla Courconstitutionnelle à prononcer le report de la présidentielle en cas de décès ou d’empêchement d’une personne s’étant publiquement déclarée candidat moins de trente jours avant la date limite de dépôt des candidatures ou d’un candidat avant la tenue du premier tour Le troisième cas de figure qui l’autorise, selon les termes de l’article 33, à prononcer la reprise de l’ensemble des opérations électorales, se présente en cas de décès ou d’empêchement de l’un des deux candidats les plus favorisé ou restant en présence à l’issue du premier tour. Toutes ces hypothèses de report de la présidentielle pourraient bien avoir pour effet de proroger le mandat du Président en exercice sans pour autant que cela ne soit assimilable à une quelconque violation constitutionnelle.
Etant considérés comme des sortes d’effets collatéraux de la décision du juge constitutionnel, ces cas de prorogation du mandat du Président en exercice sont parfaitement conformes àla Constitution. En revanche, il n’en ait pas de même en ce qui concerne la question de l’intérim de la présidence dela Républiquedans cette version inconstitutionnelle que d’aucuns tentent de distiller dans l’opinion nationale. L’impossible intérim à la Présidence de la République Certains prétendent en effet que le report de l’élection présidentielle ne soulèverait aucune difficulté d’ordre juridique, et que dans cette hypothèse, l’intérim sera assuré par le Président de l’Assemblée nationale. Les partisans de cette interprétation pour le moins acrobatique dela Constitution, considèrent le vide juridique inhérent au report de la présidentielle comme constitutif d’une situation de vacance de la présidence dela Républiqueau sens de l’article 36 dela Constitution.
Une telle imposture juridique ne peut cependant résister à une analyse sérieuse. A cet égard, il y a lieu d’abord de s’interroger sur les cas d’intérim prévus qui sont formulés à l’article 36 de la Constitutionainsi qu’il suit : « Lorsque le Président de la République est empêché de façon temporaire de remplir ses fonctions, ses pouvoirs sont provisoirement exercés par le Premier Ministre. En cas de vacance de la Présidence de la République pour quelque cause que ce soit ou d’empêchement absolu ou définitif constaté par la Cour Constitutionnelle saisie par le Président de l’Assemblée Nationale et le Premier Ministre, les fonctions du Président de la République sont exercées par le Président de l’Assemblée Nationale. Il est procédé à l’élection d’un nouveau Président pour une nouvelle période de cinq ans. L’élection du nouveau Président a lieu vingt et un jours au moins et quarante jours au plus après constatation officielle de la vacance ou du caractère définitif de l’empêchement… ».
L’article 36 distingue ainsi deux situations. La première concerne l’intérim provisoire assuré par le Premier Ministre qui vient suppléer à un empêchement temporaire du Président en exercice. La seconde situation, plus sérieuse, concerne la vacance définitive et totale de la présidence dela Républiquequi se traduit par l’absence physique définitive de son titulaire. Dans les détails, la Constitutiondistingue entre «les cas de vacance pour quelque cause que ce soit » et «l’empêchement absolu ou définitif constaté par la Cour Constitutionnelle saisie par le Président de l’Assemblée Nationale et le Premier Ministre ».
La formulation de l’article 36 est telle qu’elle distingue l’empêchement de la vacance dela Présidencedela République, même s’il paraît évident que l’empêchement définitif régulièrement constaté conduit à la vacance. Certains auraient-ils été piégés par cette relative ambiguïté au point de prétendre que le vide juridique découlant du report éventuel de la présidentielle relève des cas de vacance de la présidence prévus parla Constitution? En tout état de cause, nous estimons que cette interprétation ne saurait être retenue.
La «vacance de la présidence» qui résulterait du dépassement des délais constitutionnel d’organisation du scrutin présidentiel créé à notre avis un vide juridique qui va plonger le Mali dans une aventure institutionnelle. Ce vide juridique, à la différence des cas de figure prévus à l’article 36, signifie simplement que le pays n’est plus gouverné dans le cadre dela Constitution. Oron ne peut se mettre en dehors dela Constitutionet en même temps se prévaloir des dispositions de cette même Constitution. C’est pourquoi nous avons qualifié ce genre d’interprétation d’acrobatie ou d’imposture juridique intenable.
Le report éventuel de la présidentielle plongera le Mali dans un vide juridique dont la vacance de la présidence qui en découle n’aurait rien à voir avec les cas prévus à l’article 36 qui concernent essentiellement les hypothèses de décès, de démission, de maladie grave, de destitution proclamée parla Haute Courde justice et autres. On imagine bien que ces situations peuvent bien se produire dans des conditions de délais pouvant avoir pour effet de repousser le scrutin présidentiel hors des délais constitutionnel normaux sans pour autant quela Constitutionne soit remise en cause.
Ce qui importe dans cette circonstance, c’est le respect du délai imparti pour l’élection du nouveau Président qui doit impérativement intervenir « vingt et un jours au moins et quarante jours au plus après constatation officielle de la vacance ou du caractère définitif de l’empêchement… ». Nous retenons donc que l’article 36 dela Constitutionrelatif à l’intérim de la présidence dela Républiquene peut trouver application dans le cas de figure du non-respect de la date constitutionnelle du scrutin présidentiel. Par conséquent la proposition qui consisterait à faire assurer l’intérim de la présidence dela Républiquepar le Président de l’Assemblée nationale manque absolument de base juridique. Ce qui nous conduit naturellement à nous interroger si d’autres dispositions constitutionnelles ne pourraient pas apporter une réponse juridique adéquate face à la problématique d’un report éventuel de la présidentielle pour raison de crise au Nord.
L’impasse juridique inhérente aux pouvoirs exceptionnels de l’article 50 S’il y a une disposition constitutionnelle à laquelle on pense naturellement face à la crise actuelle qui prévaut au Nord alors que l’élection présidentielle s’approche à grand pas, c’est bien évidemment l’article 50 de la Constitutionqui dispose : « Lorsque les Institutions de la République, l’indépendance de la Nation l’intégrité du territoire national, l’exécution de ses engagements internationaux sont menacés d’une manière grave et immédiate et que le fonctionnement régulier les pouvoirs publics constitutionnels est interrompu, le Président de la République prend les mesures exceptionnelles exigées par ces circonstances après consultation du Premier Ministre, des Présidents de l’Assemblée Nationale et du Haut Conseil des Collectivités ainsi que de la Cour Constitutionnelle.
Il en informe la Nation par un message. L’application de ces pouvoirs exceptionnels par le Président de la République ne doit en aucun cas compromettre la souveraineté nationale ni l’intégrité territoriale. Les pouvoirs exceptionnels doivent viser à assurer la continuité de l’Etat et le rétablissement dans les brefs délais du fonctionnement régulier des institutions conformément à la Constitution. L’Assemblée Nationale se réunit de plein droit et ne peut être dissoute pendant l’exercice des pouvoirs exceptionnels ». Beaucoup pensent aujourd’hui que le Président dela Républiquepourrait user de ces pouvoirs exceptionnels en décidant du report de l’élection présidentielle tout en prorogeant son mandat jusqu’à l’élection d’un nouveau Président.
Nous estimons cependant que la mise en œuvre de l’article 50 paraît juridiquement fragile. En l’occurrence, une incertitude plane quant à la réunion des deux conditions cumulatives de « menace grave et immédiate sur les institutions de la République, l’indépendance de la Nation, l’intégrité du territoire national, l’exécution des engagements internationaux» et d’« interruption du fonctionnement régulier des pouvoirs publics constitutionnels ».
En particulier, si la menace grave et immédiate à l’intégrité du territoire national paraît bien réelle, il ne semble pas en revanche que le pays soit au niveau de dégradation institutionnel de l’interruption du fonctionnement régulier des pouvoirs publics constitutionnels. C’est pourquoi il n’est pas certain que le Président soit constitutionnellement fondé à recourir aux pouvoirs de crise de l’article 50 qui conduiraient au report de l’élection présidentielle et à la prorogation de fait de son mandat. Au demeurant même si cela était le cas, les risques encourus par notre expérience démocratique seraient tellement énormes et imprévisibles que le jeu n’en vaut vraiment pas la chandelle. Recourir à l’article 50, équivaudrait quasiment à définitivement plonger le pays dans une hibernation institutionnelle qui ne manquera pas d’asphyxier notre jeune expérience démocratique. En conclusion, nous retenons qu’il serait irresponsable de ne pas tenir le scrutin présidentiel à la date du 29 avril 2012.
Le gouvernement manque de ressources juridiques constitutionnelles lui permettant de gérer ce report et toutes les conséquences qui en découleraient. La seule devise qui sied à la situation serait la suivante: «maintenir le cap à tout prix ou faire périr la nation ».
Dr Fangatigui T Diakité
L’aube.ml 21/02/2012