La troisième édition de la célébration de la Journée mondiale de la Culture africaine et Afro-descendante (JMCA) s’est tenue depuis le 24 janvier 2023, sous le Haut patronage de Sa Majesté le Roi Mohammed VI, à l’initiative de Cités et Gouvernements Locaux Unis d’Afrique – CGLU Afrique, en partenariat avec le ministère de la Culture, de la Jeunesse et des Sports, la Ville de Rabat, le Réseau africain des promoteurs et entrepreneurs culturels africains (RAPEC) et l’UNESCO.
Une célébration marquée par la participation d’Afro-descendants issus de la diaspora africaine (Brésil, Etats-Unis, Haïti) considérée, avec200 millions d’habitants, comme la sixième Région d’Afrique.
L’édition de la JMCA s’inscrit dans le cadre de la célébration de Rabat Capitale africaine de la Culture ; un double hommage aux cités d’Afrique et à la Culture africaine et Afro-descendante comme levier au service du développement durable, du dialogue et de la paix. La séance d’ouverture été marquée par les interventions du représentant du ministère des Affaires étrangères du Togo, la Maire de Rabat, le Président de l’Association Ribat Al Fath, le représentant du ministère de la Culture, de la Jeunesse et des Sports, le Président du RAPEC, le représentant de l’UNESCO et le Secrétaire général de CGLU Afrique, en présence des ambassadeurs accrédités au Maroc.
La culture africaine et afro-descendante : un instrument de promotion de paix sur le continent et dans le monde
En proclamant le 24 janvier Journée mondiale de la Culture africaine et Afro-descendante, l’UNESCO a fait justice à l’Afrique, « un levain pour réconcilier le monde avec lui-même », pour une culture de la solidarité, de la bienveillance et de l’humanité. L’Organisation des Nations unies appuie le processus de promotion culturelle, dans un contexte où les 54 Etats que compte l’Afrique sur 193 membres, ne représentent que 9% de la liste du Patrimoine mondial. Un manque à combler par le soutien aux 12 pays non-inscrits, la lutte contre toutes les formes de pillage et faire de la culture « tout ce que les hommes ont imaginé pour façonner le monde, pour s’accommoder du monde et pour le rendre digne de l’homme » (Aimé Césaire).
Rêver d’une Afrique fière de ses racines à travers la culture et qui fait entendre sa voix sur les grands sujets internationaux doit s’exprimer dans une « Africophonie », un défi pour la renaissance culturelle, en s’appuyant sur des politiques publiques volontaires. Ces rêves, portés par 1,4 milliard d’Africains, doivent surmonter quatre déficits: (i) d’amour-propre, par manque de compassion ; (ii) de savoir, par manque de curiosité positive ; (iii) de communication, pour résoudre les conflits ; (iv) de leadership, faute de leader visionnaire et du « travailler ensemble ». L’une des solutions à ces déficits est la transformation des mentalités, en s’appuyant sur un travail par l’éducation et pour « influencer les logiciels avec lesquels nous pensons ».
Promouvoir la culture africaine et afro-descendante dans le contexte de l’économie mondialisée
Avec 2.000 langues, soit la moitié des langues parlées dans le monde, l’Afrique dispose d’un capital de récits fondateurs qu’il lui importe de valoriser. En cela le continent doit être relayeur, passer le témoin en valorisant les espaces de l’inspiration, et « fabriquer les lieux où nous donnons récit et création ». Convoquer les créateurs – masculin et féminin –, à l’instar de la Fête des Masques lors des Cérémonies du Sigui en pays Dogon (Mali).
En cela, la culture intervient comme véhicule pour la construction en Afrique, dans une relation où « la conscience façonne la culture » et « la culture façonne la conscience ». La question de l’éducation dans une perspective africaine y figure parmi les fondements, pour « asseoir l’esprit, les corps et les cœurs », en particulier au sein de la Diaspora africaine, tout en se débarrassant de l’esclavage mental, selon une « Africologie » et une « résilience panafricaniste ». Le mouvement DOOR (Door of Our Return) et Back to Africa, et l’élan touristique des Afro-descendants américains (Ghana et Sénégal, 2019) traduisent la volonté de retisser les liens avec le continent à travers le prisme de la culture. La traduction de récits et contes Swahili et Wolof exprime cette volonté de retour aux sources, relayée par les Black Panthers sur les réseaux sociaux, et dont la Foire commerciale intra-africaine 2021, Durban –Intra-African TradeFair2021–constitue l’espace approprié de promotion du commerce africain avec le monde.
Dans le contexte de l’économie mondialisée, ressortir avec une méthodologie pour des actions et des échanges avec le continent africain fait partie du combat de la diaspora, qui demande « que l’Afrique nous tende la main », en tirant partide ses ressources, savoir-faire et connaissances. La revue Diptyk (Casablanca, 2009), constitue une bonne pratique, pour construire un savoir et une audience pays par pays, pour « créer de la pensée endogène » en s’appuyant sur la formation et les écoles d’art ainsi que sur la mise en commun des expériences des écoles (Ghana, Sénégal). De même que les biennales constituent, à une autre échelle, des « moments géopolitiques » de culture, de créativité et d’estime de soi. Dans cet esprit, la Biennale de Dakar, Dak-Art, représente un moment fort de l’Art contemporain, où parle de l’Afrique « dans une vérité du récit qui touche à l’Universalité ».
Réconcilier la jeunesse africaine et sa culture : les possibilités offertes par les technologies digitales
L’état de la jeunesse Afro-descendante en Haïti livre un diagnostic pessimiste : 1/5 des jeunes exclus du système d’éducation et du travail, des inégalités de genre qui sont (presque) la norme. Un contexte que la « Fille aînée de l’Afrique » affronte face à l’Histoire, « où la négritude se met debout pour la première fois », héritière de Toussaint Louverture et de la « première voix à avoir dit non à l’esclavage ». Il y a 219 ans, Haïti payait la rançon de son indépendance par une lourde dette à la France, l’équivalent de 21 milliards d’euros entre 1825 et 1950, une captation dont l’une des conséquences est de « heurter et saboter le futur des jeunes ».
Une jeunesse pourtant dynamique et en fusion, désireuse d’écrire sa propre histoire, et dont les liens avec la jeunesse africaine représentent l’ancrage le plus fort avec ses origines. Pour cela,« prendre part au chantier transatlantique » pour redonner espoir dans l’avenir et ne pas abandonner Haïti constitue l’un des gages forts et des liens qui unissent l’Afrique avec la Diaspora des Caraïbes. Il s’agit également pour les jeunes Afro-descendants de mieux se connecter à l’Afrique, face à l’assaut des télévisions, des films et des livres aux Etats-Unis, qui minimisent l’importance de l’Afrique jusqu’à interdire, en Floride, l’histoire de l’Afrique dans les manuels scolaires.
De même que l’existence des jeunes Afro-américains est expliquée comme ayant commencé avec l’esclavage, alors que « rendus esclaves », il s’agit de combattre les messages véhiculés, par la communication avec leurs aînés d’Afrique, des « retrouvailles familiales » en filmant et partageant, pour transformer l’image et redonner à la communauté Afro-descendante sa juste place au sein de la société. Le digital peut aider dans ce sens, pour éviter la dilution de la culture africaine et développer la confiance et l’estime de soi.
L’aide aux jeunes à travers la création de partenariats peut s’avérer fructueuse, à l’instar du monde du design et des initiatives digitales, où les arts contemporains – très présents en Afrique – révèlent de jeunes talents qui ne cherchent qu’à s’exprimer. Une aide aux jeunes impérative, si l’on considère que l’âge médian en Afrique est de 19 ans, que 60% de la population a moins de 25 ans et que 16 millions de jeunes arrivent tous les ans sur le marché du travail.
Les activités de sport s’avèrent productives et pourvoyeuses d’emplois, l’école ayant un rôle crucial à jouer, au même titre que les leaders locaux, pour une autonomisation économique, en s’appuyant sur les talents intrinsèques et le vaste champ des métiers disponibles. Parmi les instruments, l’entreprenariat peut aider à réduire la fracture entre jeunesse et culture africaine.
La contribution de la diaspora africaine et Afro-descendante au rayonnement international de la culture africaine
Au Brésil, où 65% de la population est d’ascendance africaine, une loi de 2003 a rendu obligatoire – sous la Présidence de Luiz Inacio Lula da Silva– l’enseignement de l’histoire et de la culture afro-brésiliennes dans l’éducation de base, une manière d’enseigner l’histoire autrement.
Cette reconnaissance du patrimoine culturel et linguistique procède de la volonté de rapprocher les Afro-brésiliens de leurs origines, rendant obligatoire l’apprentissage du Yoruba dans l’enseignement primaire et secondaire depuis 2018. Elle permet d’honorer les ancêtres et de rendre hommage à la mémoire de Zumbi Dos Palmares (17ème siècle), icône de la résistance anti-esclavagiste et anti-colonialiste, et figure héroïque pour la communauté Afro-brésilienne. L’une des sources de la valorisation du capital culturel africain au sein des communautés Afro-descendantes est la musique, puissant vecteur de transmission qui permet de « franchir les frontières et les obstacles », portée aux Etats-Unis par la culture urbaine à travers le Hip-hop. Une véritable « langue de la musique est à promouvoir », aidée par l’école et des technologies de base accessibles.
De manière plus large, la place de la culture Afro-descendante doit trouver sa place dans les sociétés où vivent les diasporas. Face à la montée des populismes et des extrémismes en Europe, l’un des défis est de rassembler les diasporas dans une dynamique constructive, fortes de leur double culture et sur le « chemin du vivre-ensemble ».
Conseiller ONU-Habitat
Source: Maroc-diplomatique