Le secrétaire américain à Trésor Steven Mnuchin lors d’une conférence de presse au G20 Finances, le 18 mars 2017 à Baden-Baden, en Allemagne / © AFP/Archives / THOMAS KIENZLE
Libre-échange, mondialisation, institutions internationales: les Etats-Unis ont entamé un virage à 180 degrés sur le multilatéralisme, remettant en cause le « consensus de Washington », véritable socle de leur engagement économique international.
Lors d’une réunion du G20 Finances le week-end dernier en Allemagne, l’administration Trump a bloqué l’adoption d’une traditionnelle résolution hostile au protectionnisme et indiqué qu’elle n’excluait pas de renégocier les accords de l’Organisation mondiale du Commerce (OMC).
« C’est de toute évidence un changement significatif », a commenté pour l’AFP Edward Alden, expert sur le commerce au sein du centre de réflexion Council on Foreign Relations. « Donald Trump, d’une façon très explicite, est le premier président depuis 75 ou 80 ans à penser que le protectionnisme est à l’avantage des Etats-Unis », a-t-il ajouté.
Depuis l’après-guerre, les Etats-Unis sont le moteur de l’intégration économique mondiale, s’appuyant sur les institutions de Bretton Woods (FMI, Banque mondiale), les accords du GATT (General agreements on tarifs and trade) devenus en 1995 ceux de l’OMC.
Mais Donald Trump a conquis la Maison Blanche en promettant de corriger les déséquilibres de la balance commerciale américaine. Il veut renégocier l’accord de libre-échange Aléna (Nafta) unissant depuis 1994 Etats-Unis, Mexique et Canada et évoque l’idée d’imposer une surtaxe sur certaines importations.
Le solde des échanges de biens et services des Etats-Unis avec le reste du monde, chroniquement déficitaire, était de 502,2 milliards de dollars l’année dernière, tiré par les déficits avec la Chine (347 milliards), l’Europe (146,3 milliards) et le Mexique (63,2 milliards).
Au G20 à Baden Baden, « le rejet de la formulation, pourtant rituelle, sur le libre-échange » peut apparaître « comme une victoire pour le programme protectionniste de M. Trump mais cela se fait au prix d’une affaiblissement du leadership américain sur les grandes questions économiques », affirme à l’AFP Eswar Prasad, ancien économiste du FMI, professeur de politique commerciale à Cornell University.
Le secrétaire américain à Trésor Steven Mnuchin (d) et la présidente de la Fed, Janet Yellen, lors du G20 Finances, le 18 mars 2017 à Baden-Baden, en Allemagne / © dpa/AFP / Uwe Anspach
« Les Etats-Unis peuvent se retrouver davantage isolés sur les questions commerciales (…) alors que les autres grandes économies vont commencer à collaborer entre elles, de façon plus étroite en réponse au désengagement américain », affirme encore cet économiste.
Amérique d’abord
D’autres au contraire estiment que si l’on s’achemine vers une guerre commerciale, les Etats-Unis en souffriront moins que leurs partenaires, ce qui leur donne plus de poids dans la négociation.
Pour Mohamed El-Erian, économiste pour le fonds d’investissements Allianz SE, les dégâts sur l’économie de la politique de « l’Amérique d’abord » se feront « davantage sentir sur de nombreux pays » que sur les Etats-Unis.
Ces pays vont « se retrouver dans la désagréable situation où tout le monde perd, où il vaut mieux accepter un mauvais dénouement plutôt que d’en risquer un encore pire », affirme cet économiste dans une tribune à BloombergNews.
Mais l’impact de cette politique va dépendre de l’ampleur et du caractère des mesures que finira par adopter Washington, car pour l’instant celles-ci restent à l’état d’idée, souligne Edward Alden.
Principaux partenaires des Etats-Unis / © AFP/Archives / Gillian HANDYSIDE
Si les initiatives protectionnistes « comprennent de petits changements sur l’accord de l’Aléna, une modeste augmentation des pressions sur la Chine et ses pratiques commerciales (…), l’impact devrait être bénin tout en étant en accord avec la philosophie de l’administration », estime M. Alden.
« Mais si elles sont beaucoup plus radicales, comme l’imposition de taxes sur les importations ou la sortie de l’accord de l’Aléna, alors ce sera dommageable pour les autres pays et les Etats-Unis eux-mêmes », ajoute cet expert.
La Chine et le Mexique, dont les Etats-Unis sont de loin le premier marché à l’exportation, apparaissent comme les plus vulnérables à ces politiques.
« Je pense que l’Europe est moins vulnérable et elle est aussi moins visée », affirme encore M. Alden, assurant que les positions de Peter Navarro, le dirigeant du tout nouveau Conseil du commerce auprès du président Trump, sont des points de vues « extrêmes » à la Maison Blanche. M. Navarro a récemment accusé l’Allemagne d’exploiter la faiblesse de l’euro pour gonfler ses excédents commerciaux.
Au sein de la nouvelle administration, la présence d’autres voix critiques laisse aussi présager un durcissement de la position américaine vis-à-vis des institutions internationales.
Le Congrès doit encore confirmer la nomination au Trésor du responsable de l’international, David Malpass, et celle d’Adam Lerrick, tous deux connus pour leur scepticisme envers le FMI et la Banque mondiale, dont les Etats-Unis sont le premier actionnaire et bailleur de fonds.
(©AFP / 21 mars 2017 12h50)