​PROFESSEUR ISSA N’DIAYE

L’incomprise éminence grise a tiré sa révérence
La triste nouvelle a envahi les réseaux sociaux samedi dernier (30
novembre 2024) en fin de matinée : le Professeur Issa N’Diaye s’est
éteint dans un hôpital parisien ! Aussitôt une vague de tristesse et
d’amertume a submergé le cercle des intellectuels engagés du Mali qui
vient ainsi de perdre un grand témoin de son histoire politique
contemporaine et surtout un acteur incontestable du mouvement
démocratique.

Universitaire, enseignant chercheur, philosophe et analyste, syndicaliste et
acteur politique, militant associatif et culturel… De son vivant (il a tiré sa
révérence samedi dernier à Paris), Pr. Issa N’Diaye devait sans doute avoir
souvent l’embarras du choix quant à la cassette à choisir pour honorer ses
nombreuses sollicitations. Ce que notre génération retient de l’illustre disparu
ce qu’il fut acteur incontournable du Mouvement démocratique qui a toujours
préféré les geôles du régime militaire et du parti unique que de renoncer à ses
convictions politiques. «Il a souvent fait face à l’adversité, arrêtés pour ses
idées, mais jamais il n’a plié sous la pression. Sa détermination à défendre
ses convictions est une source d’inspiration pour nous tous…», a témoigné Pr.
Assadek Aboubacrine, enseignant-chercheur (Physique mathématique à
l’Institut des mathématiques et des sciences physiques), quelques heures
après l’annonce de sa disparition.
Et c’est fort naturellement que, avec l’avènement de la démocratie,  le choix
s’est porté sur Issa N’Diaye pour diriger le ministère de l’Éducation nationale
de 1991 à 1992 et du ministère de la Culture et de la Recherche scientifique
de 1992 à 1993. Il aurait pu occuper de nombreuses autres prestigieuses
responsabilités dans notre pays s’il avait accepté de faire «profil bas» et
s’accommoder de la direction du vent pour saisir les opportunités. Mais, il ne
fut pas un cadre à se compromettre, à se dédire pour un poste.
Cette éminence grise, incomprise ou trop en avance sur son époque, est
toujours fièrement restée à cheval sur ses convictions et sur les valeurs qui
vont avec. «Le Professeur N’Diaye n’était pas seulement un éminent
philosophe ; il était un fervent défenseur de la justice et un ardent combattant
contre la mauvaise gouvernance. De toutes les luttes qu’il a menées, son
engagement indéfectible pour un monde meilleur a marqué des générations»,
a témoigné Pr. Assadek Aboubacrine. Et d’ajouter, «avec une voix forte et une
passion ardente, il a su éveiller les consciences et galvaniser les esprits,
prouvant que la philosophie n’est pas seulement une discipline académique,
mais un outil puissant pour le changement social». Souvent taxé «d’extrémiste
aux positions rigides», ce grand intellectuel réputé pour son déconcertant
franc-parler n’était pas dans le quiproquo car assumant sans ambages et sans
crainte ses positions, quitte à avoir tout le monde contre lui.

On comprend alors aisément qu’il ait toujours été très critique à l’égard des
régimes qui se sont succédé à Koulouba depuis l’avènement de la démocratie.
«Silence, on démocratise» et le «Festival des brigands» (deux ouvrages
publiés en 2018 aux éditions La Sahélienne abordant la thématique :
Démocratie et fractures sociales au Mali) se veulent «un choix de ses écrits
les plus marquants sur le processus de démocratisation au Mali depuis les
derniers moments de la dictature de Moussa Traoré (renversé par un vaste
mouvement insurrectionnel le 26 mars 1991 et décédé le 15 septembre 2020)
aux années 2010 marquées par les échecs de la classe politique et des
atteintes profondes à la souveraineté nationale).
Les maux de la société peints avec précision et impartialité
Acteur politique et témoin attentif de l’histoire contemporaine du Mali, Pr.
N’Diaye av​ait le don de décrire voire de diagnostiquer les maux de la  société
et de la nation maliennes avec la précision du praticien endurci. «Si nous ne
faisons pas attention, ce pays risque de voler en éclats. Parmi nos éléments
de diagnostique, nous avons constaté que la société civile pose problème, elle
s’est politisée, les religieux ont pris des attitudes politiques, les chefferies et
légitimités traditionnelles aussi ont failli à leurs missions», déplorait-il dans
l’une de ses «Tribunes». Et ​de proposer, «si nous voulons soigner ce pays, il
est important de bâtir une nouvelle société civile avec comme fondement
qu’elle ne soit affiliée ni à l’Etat, ni a un parti politique ; une société civile
indépendante». Mais, l’éminence grise était aussi consciente qu’aucune des
solutions préconisées ne pouvait porter ses fruits sans que le Malien ne
change de mentalité, de comportement.
«Le problème n’est pas seulement le pouvoir d’Etat, c’est aussi et surtout le
Malien lui-même. Il faut arriver à le changer. Pas évident ! Tant que l’appât du
gain facile restera la base de la philosophie du citoyen ordinaire, rien de bon
ne se fera dans le pays. Tant que le mensonge, l’hypocrisie, la cupidité, la
fourberie et la méchanceté resteront au cœur de la citoyenneté, il n’y a rien à
espérer», préconisait-il en avril 2022. «Les écrits du Professeur N’Diaye
décrivent les combats d’hier et d’aujourd’hui pour éclairer ceux de demain. Ils
mettent en lumière les obstacles à surmonter et les luttes à engager. Issa
N’Diaye doit-il être considéré comme un lanceur d’alerte ?», s’est interrogée
«La Fondation Gabriel Péri» qui a soutenu la publication des deux tomes des
ouvrages évoqués plus haut. «Les sujets qu’il aborde sont multiples ; il appuie
toujours là où le Mali a mal pour réveiller les consciences, donner des
arguments et engager l’action», a-t-elle conclu.
«Le Professeur Issa N’Diaye n’est plus. Ses idées, ses convictions, ses
analyses lui survivront et montreront le chemin à la jeunesse…», écrit
Françoise Wasservogel pour lui rendre hommage. Et cela à condition que, dit
Pr. Aboubacrine Assadek, que les nouvelles générations s’engagent à
poursuivre son œuvre, à porter haut ses idéaux et à faire vivre sa mémoire à
travers toutes leurs actions, surtout celles censées servir de fondation au Mali
Kura en chantier. Toujours est-il que, a précisé ce dernier, «ses écrits
mobilisateurs, empreints de lucidité et de passion, continueront à résonner

dans les esprits et à nourrir les luttes pour la justice et la dignité». Autrement,
l’héritage de cet intellectuel de conviction et de devoir continuera de «guider et
d’inspirer les générations futures». Il nous laisse en tout cas une belle
réputation d’homme très compétents, humble, sociable et surtout très intègre !
Va en paix Professeur !
Moussa Bolly

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