Fin avril 2003, le Groupe C-4 (Bénin, Burkina Faso, Mali et Tchad) déposait une proposition de négociation à l’Organisation mondiale du commerce (OMC) intitulée «Réduction de la pauvreté: initiative sectorielle sur le coton».
Et en septembre 2003, il a défrayé la chronique sur le «dossier coton» lors de la conférence ministérielle de l’OMC à Cancún (Mexique).
Ministre du Commerce et de l’Industrie à l’époque, Dr Choguel Kokalla Maïga était l’un des porte-drapeaux de l’Afrique de l’ouest et du centre (AOC) et il s’était illustré par sa parfaite maîtrise du dossier.
Dix huit ans après, il se retrouve au devant de la scène, mais dans le boubou (cotonnade) de Premier ministre, à Genève (Suisse) à l’occasion de la Journée du coton. Une opportunité qu’il n’a pas manqué pour rappeler aux uns et aux autres les promesses non tenues depuis Cancún.
«La Conférence ministérielle de l’OMC tenue à Cancún n’avait pas répondu à nos attentes, mais elle restera dans l’histoire comme le point de départ du puissant plaidoyer qui a fédéré l’énergie des pays de l’Initiative sectorielle sur le coton composée du Bénin, du Burkina Faso, du Mali et du Tchad», a rappelé Dr Choguel Kokalla Maïga dans son intervention à la tribune de l’OMC lors d’un forum organisé à l’occasion de la Journée du coton célébrée jeudi dernier (7 octobre 2021) à Genève, en Suisse.
En 2003 à Cancún, il était ministre du Commerce et de l’Industrie. En 2021, il est Premier ministre de Transition au Mali.
Mais, la mission n’a pas changé : porter la voix et les préoccupations des pays du Groupe C-4 (Bénin, Burkina Faso, Mali et Tchad).
De Cancún à Genève, a rappelé Choguel, «beaucoup d’eau a coulé sur le fleuve Djoliba (Niger) à Bamako et aussi sous les ponts qui enjambent le Lac Léman ici à Genève, sans que nos paysans ne voient leur espoir d’une vie meilleure se concrétiser.
Et cela faute tantôt de décisions politiques courageuses, tantôt du non-respect des engagements pris».
Et pourtant le paysan de Sikasso (Mali), de Bobo Dioulasso (Burkina Faso), de Banikoara (Bénin) ou de Sahr (Tchad) ne demande pas l’aumône. «Ces cotonculteurs ne demandaient pas la pitié ni la commisération des plus grands.
Ils demandaient la justice, celle qui est incompatible avec les soutiens internes à la base des distorsions sur le marché international.
Faute d’avoir écouté la complainte de nos paysans, nos pays ont vu leur résilience affectée, les zones cotonnières sont devenues des bassins migratoires et d’exode rural avec leurs cortèges de tragédies dans le Sahara et dans la Mer Méditerranée», a déploré le chef du gouvernement de transition.
Mais il n’a pas encore perdu tout espoir de leur voir accorder «le juste tribut de leur travail acharné».
La consécration du 7 octobre comme Journée mondiale du Coton, par l’Assemblée générale des Nations Unies lors de sa 75e session tenue le 26 août 2020, est «porteuse d’une nouvelle espérance» pour les 36 pays africains producteurs ainsi que leurs 25 millions de cotonculteurs.
En effet, a souligné Dr Maïga, «nous osons espérer que cette Journée mondiale soit le point de départ d’une nouvelle ère de solidarité et d’un nouveau contrat moral autour du coton».
L’attente d’un «sursaut immédiat» au sein de l’OMC pour soulager les cotonculteurs africains
«Lorsque nous parlons du coton, nous pensons toujours bien évidemment à nos paysans, à leur dénuement qui ne leur permet pas souvent de vivre dignement jusqu’à la prochaine campagne cotonnière.
Nous pensons à la corvée des femmes productrices qui ne connaîtront jamais l’autonomisation prônée par les instances internationales, tant que subsisteront les subventions.
Nous pensons aussi, avec préoccupation, à l’avenir des plus jeunes pour lesquels l’éducation devient un luxe faute de pouvoirs d’achat pour leurs producteurs de parents», a rappelé Choguel Kokalla Maïga à la tribune de l’OMC.
D’où la nécessité d’un «sursaut immédiat» de tous les membres de l’OMC en vue de «l’adoption de solutions concrètes dans le cadre du processus des négociations en cours afin de préserver et promouvoir nos filières cotonnières dont le caractère stratégique n’est plus à démontrer».
Et cela d’autant plus que, à l’échelle de l’Afrique, le coton représente près de 12 % du PIB et 70 % des recettes agricoles.
En outre, la filière emploie plus de 80 % de la population active dans les zones productrices. Au total, 65 % des pays africains produisent et exportent du coton.
Tout comme d’autres pays en développement et Pays moins avancés (PMA), en Asie, en Amérique latine et dans les Caraïbes.
«Le coton africain, malgré les qualités intrinsèques de sa fibre, fait face à une rude concurrence liée notamment aux soutiens internes estimés à 5,9 milliards de dollars en 2019/2020 que certains pays riches apportent à leurs producteurs», a déploré le Premier ministre.
Pour ce qui est du Mali, il a souligné que près de 4 millions de personnes vivent directement de la production du coton.
«L’Or blanc» représente 11,3 % de nos recettes d’exportation et 3,7 % du PIB.
La Mali veut miser sur un nouveau record de production après la baisse catastrophique de 2019-2020
A ce titre, a souligné Dr Choguel Kokalla Maïga, «le coton constitue un produit stratégique pour notre économie. Un produit de base, créateur de croissance, pourvoyeur d’emplois et de recettes pouvant aider nos pays à lutter plus efficacement contre la pauvreté, notamment en milieu rural et au sein des communautés défavorisées».
A noter que la campagne 2019-2020 a vu la production de coton s’effondrer des trois quarts au Mali, passant de 700 000 à 147 000 tonnes. Mais pour la campagne 2021/2022, notre pays mise sur une production de 810 000 tonnes, soit plus du quintuple du volume historiquement faible enregistré un an plus tôt ! A Genève, le Premier ministre a indiqué que l’ambition du pays est de «bâtir de véritables chaînes de valeur agricole autour du coton» pouvant aussi bénéficier au secteur agricole.
A notre avis, la transformation locale du coton doit être la priorité d’une telle stratégie. Selon les statistiques, les créateurs et autres artisans transforment 0,02 % de la production cotonnière malienne.
Le taux global de transformation de ce coton sur place serait seulement de l’ordre de 2 % grâce à la Compagnie malienne du textile (COMATEX) de Ségou (240 km de la capitale) à l’arrêt depuis plus d’un an.
Il est donc urgent de sortir des discours politiques pour réellement poser les jalons solides de la transformation d’au moins 20 à 30 % de notre production cotonnière sur place.
Et cela d’autant plus que, selon des statistiques, la transformation domestique pourrait générer près de 90 milliards de dollars pour le continent.
Moussa Bolly