Le président Ibrahim Boubacar Kéita est un homme acculé par les engagements pris pour la mise en œuvre de l’Accord pour la paix et la réconciliation nationale (APR). Un engagement qui, tôt ou tard, devra consacrer la partition du Mali. Et le chef de l’Etat a besoin d’une majorité confortable à l’Assemblée nationale pour cautionner les réformes politiques et institutionnelles que nécessite la mise en œuvre de l’APR. Ce qu’il n’a pas obtenu dans les urnes, la Cour constitutionnelle le lui a offert sur un plateau d’argent en rendant vains les suffrages exprimés par des électeurs. Elle s’est chargée de tailler une majorité sur mesure pour le parti au pouvoir. Et du coup, elle donne un coup d’accélération au processus de partition du Mali.
«A quoi cela a servi d’aller voter ? Non seulement vous sortez en plein pandémie Covid mais pire, votre vote ne sert à rien parce qu’une grosse comédie vient tout annuler à la derrière minute» ! Tels sont les propos d’un aîné dépité par l’arrêt de la Cour constitutionnelle sur le second tour des législatives du 19 avril 2020.
Surpris par cette tournure du scrutin ? Curieusement non. «Je n’arrive plus à être surpris par quoique ce soit dans ce pays. Pour moi la situation actuelle est une pénitence pour le pays», nous dit le doyen Mamadou Baba Traoré, ancien député et patriote engagé à Diré (Tombouctou). Il décrit avec une justesse chirurgicale notre état d’âme après le tripatouillage des résultats du second tour des législatives par la Cour constitutionnelle.
Même si nous croyions naïvement aussi que les choses allaient être différentes cette fois car convaincus que tout le monde a pris conscience de la nécessité de se ressaisir pour sauver le pays du chaos. Nous avions espérer que, à défaut d’endiguer le bourrage des urnes et l’achat des voix, la Cour constitutionnelle allait se racheter des ratés de la présidentielle de 2018 pour pleinement assumer son statut de sentinelle de la démocratie. Un système politique qui veut que les gouvernants soient librement choisis par les gouvernés afin de les représenter valablement avec toute la légalité et toute la légitimité requises.
Hélas ! Une désillusion de plus dans le Mali démocratique où la séparation des pouvoirs n’est que leurre puisque toutes les institutions sont inféodées à la présidence de la République. «Le jeu politique a été fait jusqu’au bout dans cette élection au prix de nombreux morts et malades de Covid-19 et la Cour constitutionnelle est une phase essentielle de ce jeu de dupe, ils le savent tous», a ironiquement rappelé une consœur.
L’arrêt (truffé d’erreurs) rendu par la Cour constitutionnelle le jeudi 30 avril 2020 est juste scandaleux, écœurant… indigne d’une institution républicaine qui se soucie réellement de la paix et de la stabilité du pays. C’est un véritable putsch contre le droit des citoyens de choisir librement leurs dirigeants, d’élire leurs représentants. Et par la même occasion c’est un coup de canif qu’elle a porté à ce qui reste de l’intégrité territoriale du Mali.
Quand la Cour constitutionnelle s’autorise un «3e tour» aux dépens de la démocratie
La raison est que plusieurs partis, qui avaient été donnés gagnants par les résultats du ministère de l’Administration territoriale et de la Décentralisation, se sont vus retirer leur victoire après la proclamation des résultats définitifs. C’est donc un «vrai 3e tour» que cette institution, qui a perdu toute crédibilité aux yeux des citoyens et des acteurs politiques, a organisé à sa guise afin d’offrir plus d’élus au parti au pouvoir. Ainsi, suite à son verdict, le Rassemblement pour le Mali (RPM, le parti présidentiel) gagne une dizaine de sièges, dont quatre à Bamako, deux à Kati, trois à Sikasso…
Dans la capitale par exemple, le parti au pouvoir n’avait gagné qu’un 1 seul siège (sur 14) avec le «Fiston National» (Karim Kéita) dans la seule commune II du district après l’annonce des résultats provisoires par le ministère de l’Administration territoriale. Mais, avec la Cour constitutionnelle, le RPM se retrouve gagnant dans les communes 1, 2, 5 et 6 de Bamako, seul ou en alliance avec d’autres partis.
En effet, le parti au pouvoir est le principal bénéficiaire de l’annulation des voix dans les différentes circonscriptions électorales concernées. Ainsi, même sans la majorité absolue, le RPM reste la principale force politique du pays. Et grâce à l’appareil d’Etat et à sa puissance financière, elle a les coudées franches pour débaucher des députés ou nouer des alliances à sa convenance.
Comme le déplore un bloggeur du pays, «ce pouvoir est obnubilé par un agenda cynique qu’il cache se croyant plus malin. La malignité n’est pas l’intelligence. Ils vont tomber dans leur propre jeu». Et à nous maintenant de précipiter cette chute pour que l’onde de choc n’ébranle pas davantage la République, la démocratie.
«L’arrêt de Manassa (présidente de la CC) nous a abattu hier soir (jeudi 30 avril 2020). Le vote n’a plus son sens dans ce pays. Mais, on s’en remet au Tout Puissant qui ne trahit pas. Dieu veille», nous a confié un jeune cadre engagé en dehors de la scène politique.
Dieu veille et veuille qu’on se batte pour sauver notre pays de la partition
Dieu veille ! Cela ne fait l’ombre d’aucun doute ! Mais, nous devons aussi nous réveiller, nous lever pour nous affranchir de ces institutions fantômes dont les responsables pensent que les Martyrs de la démocratie se sont sacrifiés pour leur permettre d’avoir la main mise sur ce pays en le mettant en coupe réglée.
Il n’y a pas de démocratie sans le peuple. Et pourtant, les Maliens sont les dindons de la farce démocratique qui se joue dans notre pays depuis des décennies. Et cela parce que chacun cherche son confort personnel et s’accommode des petits arrangements financiers ou politiques lui permettant d’être à l’abri du besoin. Vous allez voir, nous allons condamner, dénoncer et nous indigner… Mais, personne ne va agir.
C’est notre démission collective qui permet aujourd’hui à une infirme minorité de nous narguer et de mettre la République permanemment en danger. C’est notre démission, notre indifférence qui leur permet d’être au «cœur de la distribution du service public».
«Chacun reste dans coin sans poser d’acte. Le Malien accepte tout», déplore une sœur activiste. Et c’est pourquoi ceux qui sont au pouvoir et dirigent nos institutions se croient tout permis, croient que ce pays est leur propriété privée. Il est pourtant temps de se réveiller parce que cet arrêt de la Cour constitutionnelle enclenche du coup le processus de la partition du pays bien maquillée en Accord pour la paix et la réconciliation nationale.
Le pouvoir a besoin d’une majorité forte à l’assemblée nationale pour faire avaler aux Maliens les réformes périlleuses pour l’unité nationale et dangereuses pour la République. Et il l’a obtenu en partie car, grâce au coup de pouce de la Cour constitutionnelle, il peut se prévaloir de la majorité absolue grâce une alliance avec l’Adema et le MPM (Mouvement pour le Mali)
Cette mascarade électorale est un complot minutieusement préparé pour donner cette confortable et indispensable majorité au RPM. C’est pourquoi, rien ne pouvait s’opposer à la tenue de ces législatives. Il aurait fallu plus que le contexte sécuritaire et la crise sanitaire provoquée par le Covid-19 pour dissuader IBK de les organiser. Et cela d’autant plus que dans son engagement à contenter la CMA, notamment par une autonomie administrative puis finalement la liberté de rester ou non avec la République, le temps joue contre lui. Et il a aussi besoin d’une majorité confortable au parlement pour imposer ses réformes.
Une assemblée soumise au pouvoir pour faciliter la révision constitutionnelle
Ainsi, malgré le coup de pouce de la Cour constitutionnelle, les «Tisserands» n’excluent pas de débaucher certains députés de l’opposition et de sa propre majorité afin de réduire à néant toute résistance aux reformes annoncées par Ibrahim Boubacar Kéita sous la pression de la CMA et de la Communauté internationale. Et les législatives partielles projetées dans des entités administratives du nord (des régions de Taoudéni et Ménaka et des cercles de Almoustrat et Achibogho) s’inscrivent dans la même volonté. Tout le monde sait que dans ces zones on ne vote pas. Ce sont les groupes armés qui y font la loi et proclament vainqueur qui ils veulent, généralement au compte du parti au pouvoir.
Avec ce qui se profile à l’horizon, le pouvoir va accentuer son contrôle sur l’Assemblée. Et dans la société civile, ainsi que dans la presse, l’argent va ramollir la position de ceux qui sont farouchement opposés aux réformes annoncées comme des camisoles de force et visant surtout à accorder une large autonomie aux rebelles/terroristes de Kidal.
La Cour constitutionnelle a organisé son 3e tour à sa manière. Aux vrais patriotes et démocrates convaincus maintenant d’organiser le 4e tour des législatives par protestation et la contestation, par tous les moyens légaux. Et cela, pas pour défendre le fauteuil de quelqu’un ou permettre à un parti d’avoir plus d’élus (pour prétendre aussi plus au niveau de l’aide publique aux partis politiques), mais pour la défense et la sauvegarde de notre démocratie, pour le Mali Un et indivisible !
Si on ne fait rien, s’en est finit du Mali que nous avons hérité des pères de l’indépendance. Il est temps de se dresser comme un seul homme (comme lors de la campagne patriotique : Antè Abana ! Ne touchez pas à ma constitution) pour faire de la République un temple imprenable dont nous seront tous des vaillants gardiens.
Ne laissons pas une minorité écrire en notre nom une histoire qui nous rattrapera tous un jour. C’est nous le peuple et le dernier mot sur la gestion de notre patrie nous revient. Et puisque personne ne pourra dire qu’il n’était pas au parfum de ce qui se tramait contre ce pays, que chacun s’assume alors en âme et conscience. Sinon, il faut se préparer à boire le calice jusqu’à la lie !
Dan Fodio
Le Matin