Le Conseil des Ministres réuni en session ordinaire, le mercredi 15 juin 2016, dans sa salle de délibérations au Palais de Koulouba, sous la présidence du Président de la République, Ibrahim Boubacar Kéita, a, sur le rapport du ministre de l’Administration Territoriale, adopté un projet de loi portant loi électorale. « La loi électorale adoptée en 2006 qui a fait déjà l’objet de modifications ne prend pas en charge les orientations de l’Accord de Paix et la Réconciliation au Mali issu du Processus d’Alger signé à Bamako le 15 mai et le 20 juin 2015 en ce qui concerne notamment les aspects politiques et institutionnels.
Le présent projet de loi portant loi électorale abroge et remplace la loi électorale de 2006 », indique le communiqué du conseil des ministres. Des innovations attendues sont entre autres, l’institution du suffrage universel direct pour l’élection des conseillers de cercle ; la prise en compte du genre dans l’accès aux fonctions nominatives et électives ; la définition des mentions complémentaires à porter sur les déclarations de candidature à l’élection des députés en cas d’institution d’un système de suppléance à l’Assemblée nationale ; le renforcement des conditions de légalisation des procurations de vote et de listes de candidature ; la possibilité de transférer le siège de la Commission électorale nationale indépendante (CENI) en tout autre lieu du territoire national en cas de nécessité ; l’institution de la Commission électorale régionale ; l’extension, à toutes les élections des collectivités territoriales, de la possibilité d’organiser les élections à des dates différentes, en cas de nécessité ; l’extension, aux secrétaires généraux des arrondissements et aux membres des autorités indépendantes, du régime d’inéligibilité aux conseils des collectivités territoriales, énumère le communiqué.
Des partis politiques de la majorité présidentielle et de l’opposition disent non à ce projet de loi électorale qualifié de loi scélérate. Certains acteurs politiques interrogés n’hésitent pas à brandir le risque de « guerres civiles », « des crises qui ont souvent pris racine dans des manœuvres d’exclusion concoctées par des pouvoirs en perte de vitesse », avec des exemples à l’appui, comme celui de la Côte-d’Ivoire, l’Angola, le Togo, la Guinée Conakry… Alors que notre démocratie, nos processus électoraux ont toujours été empreints de cordialité, de convivialité, illustrée récemment par le geste honorable de Soumaila Cissé en 2013, rappellent un honorable député. « Le Mali, même empêtré dans la crise, a su envoyer au reste du Monde l’image d’un pays d’ouverture, de démocratie, à l’abri de convulsions et autres manœuvres politiques dangereuses. Il est impératif que nous sachions garder ces labels et que nous fassions attention à ne pas les casser », ajoute le président de l’ADP-MALIBA, l’honorable Amadou Thiam. Ces labels d’un paysage politique fair-play, le nouveau projet de code électoral risque de l’éloigner en entrainant dans des convulsions aisément évitables.
Le président du parti Yelema, l’ancien Premier ministre Moussa Mara, procède d’un diagnostic : « le projet de loi électorale souffre de deux handicaps majeurs, sur la forme et dans le fond. Sur la forme, il est arrivé à l’assemblée après un processus qui n’a pas été concerté avec la classe politique, pour un texte aussi important, cela doit être évité.
Dans le fond, d’après ce que nous en savons, il contient une disposition qui peut être interprétée comme discriminatoire et destinée à exclure des personnalités des prochaines élections présidentielles. Pour un pays qui a l’habitude d’élections apaisées, il faut éviter des actions qui peuvent être sources de tension. Pour ces différentes raisons, sans entrer dans les débats, il serait prudent de retirer ce projet de texte et de travailler avec la classe politique pour obtenir une mouture consensuelle».
Ces leaders politiques contactés sont unanimes à reconnaitre que d’habitude, le code électoral est le fruit d’une étroite concertation entre l’exécutif et les acteurs politiques et cela à toutes les phases de sa conception. D’abord le Gouvernement associe les partis politiques à l’élaboration de l’avant-projet, jusqu’à son introduction dans le processus interministériel avant le Conseil des Ministres. Cette phase se traduit par une réunion du cadre de concertation pendant laquelle les partis prennent connaissance et discutent des changements apportés par le nouveau projet. Ce processus inclusif a été rompu, en brûlant toutes ces étapes participatives. L’exécutif a engagé le processus qui a conduit à l’adoption du projet de code électorale au Conseil des Ministres le 15 juin 2016, et a ensuite saisi le parlement pour déposer le projet auprès de l’Institution en vue de son adoption. Et ces partis crient en chœur, l’attitude non rassurante du Gouvernement, pour un projet de loi d’une telle importance. « Les autorités maliennes doivent éviter d’ajouter une crise politique aux conséquences imprévisibles à une crise multidimensionnelle dont on a peine à sortir depuis plus de quatre ans », mettent en garde les partis très remontés contre le gouvernement.
Nécessaires concertations
Ces partis proposent que le retrait du projet de loi déposé à l’Assemblée est un préalable utile à observer, avant d’engager une concertation avec les acteurs politiques et la société civile sur les dispositions principales du projet, dont les conditions pour participer à la prochaine élection présidentielle. A un moment où le pays fragile croule sous le poids des urgences : insécurité, réconciliation, restructuration de nos forces de défense et de sécurité, réformes institutionnelles et de gouvernance, quotidien difficile des populations… Vouloir faire voter ce projet, pour certains, c’est juste chercher à jeter une étincelle politique dans un cocktail déjà explosif. Bref, des partis politiques aussi bien de la majorité que de l’opposition sont «fondamentalement contre le projet de loi électorale inique », et entendent s’y opposer par tous les moyens légaux. Un projet de loi électoral « democraticide » devant l’Assemblée Nationale est certainement à combattre avec toute ses énergies pour donner le libre choix au peuple malien de designer celle ou celui qui le gouverne. (Lire les réactions des partis politiques en pages 4 et 5)
B. Daou