Co-organisée par le Centre pour le Dialogue Humanitaire avec le Collectif des Maliens de France pour la Paix et la Dynamique des Foyers, une rencontre a eu lieu, le 16 avril 2016 à Paris, pour mieux faire connaître l’Accord et engager un dialogue avec des représentants de la diaspora. La rencontre a réuni près d’une centaine de personnes dans leur diversité, membres de la diaspora francilienne mais aussi d’autres régions françaises (Angers,Béthune, Bordeaux, Clermont Ferrand, Dijon, Lyon, Marseille, Montpellier, Reims, Rennes, Strasbourg), et des Maliens vivant en Espagne.
La délégation malienne était dirigée par le Chef de Mission du Centre HD au Mali, M. Sidibe Abdel Kader. Elle était composée de trois experts maliens ayant suivi de près les négociations puis la phase de réconciliation au Mali : M. Baba Berthe, ancien ministre et formateur principal, Mme Fatimata Toure, ancienne membre de l‘équipe du Haut représentant du Chef de l’Etat pour le Dialogue inclusif intermalien, membre de la Société civile de Gao, M. Ismaila Konaté, membre de la Commission Développement économique social et culturel du processus d’Alger et cadre du Ministère de la Reconstruction du Nord. C’est à M. Baba Berthe qu’est revenue la tâche du décryptage de l’Accord permettant une meilleure compréhension de ses enjeux tout en laissant à chacun la liberté d’apprécier le contenu.
Il ressort des discussions, que « l’Accord pour la paix et la réconciliation est très discutable : les participants se sont dits inquiets de l’insécurité persistante au Mali malgré la signature de l’Accord pour la paix. Ils ne voient pas de progrès dans la mise en œuvre de cet Accord qu’ils jugent imparfait et dont certains le considèrent comme un « non-Accord ». Autres griefs formulés contre l’accord d’Alger par les participants : un Accord trop favorable aux régions du Nord ; l’absence de prise en compte de la région de Mopti dans l’Accord ; la responsabilité de chacun de contribuer au développement ; remettre la justice au cœur des préoccupations.
Les participants ont mis en doute l’efficacité des patrouilles mixtes et notamment le fait que l’on fasse assurer la sécurité par des membres des groupes armés ». Certains se sont demandés pourquoi l’Etat a engagé des discussions avec les groupes représentés au sein de la CMA et la Plateforme mais ne veut pas parler au Front de Libération du Macina, très actif en ce moment dans le centre du pays. Aussi, les participants se sont dits préoccupés par le sort des réfugiés et des déplacés qui se trouvent dans les pays limitrophes. Ci-joint la synthèse des discussions. La rencontre de la diaspora malienne en France sur l’Accord pour la Paix et la Réconciliation au Mali, le 16 avril 2016, organisée par le Centre pour le Dialogue humanitaire avec le Collectif des Maliens de France pour la Paix et la Dynamique des Foyers, a été sanctionné par un document de synthèse dont nous publions les grandes lignes.
– Introduction
… Les participants ont salué cette initiative mais ont regretté qu’elle n’ait pas eu lieu plus tôt et que les autorités maliennes n’aient pas organisé ce type de rencontre avant même la signature de l’Accord. Ils estiment que la diaspora qui contribue de manière conséquente au développement et au rayonnement du Mali au-delà de ses frontières, a été jusque-là ignorée et pas suffisamment écoutée. Dans le cadre de l’Accord, ils ne comprennent pas que des membres de la diaspora n’aient pas été invités à participer aux négociations d’Alger. Ils espèrent que la diaspora sera partie prenante de la Conférence d’Entente nationale que le gouvernement entend organiser prochainement aux termes de l’Accord. Le Centre HD a eu le souci d’inviter à cette rencontre des représentants de la diaspora dans leur diversité. Grâce au concours des organisations de la diaspora malienne, il a ainsi pu réunir des jeunes gens, mais aussi des hommes et des femmes moins jeunes, issus d’un grand nombre de régions du Mali.
Ce n’est pas la première rencontre sur l’Accord pour la Paix organisée à Paris. Les organisations de la diaspora malienne en ont organisé un certain nombre depuis des mois, mais c’est la première fois qu’une délégation du Mali venait à la rencontre de la diaspora malienne.
Les débats ont été généralement passionnés. Parmi les participants se trouvaient aussi bien des professeurs d’université, spécialistes en droit que des jeunes étudiants ou activistes pleins de fougue, qui avaient chacun son idée sur la question. Si certaines interventions ont été saluées par des salves d’applaudissements, d’autres ont parfois fait l’objet d’échanges verbaux très houleux.
Déroulement de la rencontre
La rencontre a été introduite par Sidibé Abdel Kader, Chef de la Délégation et Chef de Mission du Centre pour le Dialogue Humanitaire à Bamako, qui a rappelé l’engagement du Centre HD au Mali depuis 2012 et les différentes initiatives prises en faveur de la réconciliation, notamment entre les communautés, avec les jeunes et les femmes.
En l’absence de SEM. Cheikh Mouctary Diarra, Ambassadeur du Mali en France, empêché, la cérémonie a été ouverte par son représentant, M. Tidiane Traore, Ministre Conseiller à l’Ambassade du Mali en France. Le représentant du Mali auprès de l’UNESCO, SEM. Dr Oumar Keita a également accepté de prendre part à la cérémonie d’ouverture.
Etaient présents à la tribune : M. Baba Berthe, ancien ministre et formateur principal ; Mme Fatimata Toure, ancienne membre de l‘équipe du Haut représentant du Chef de l’état pour le Dialogue inclusif intermalien, membre de la Société civile de Gao ; M. Ismaila Konaté, membre de la Commission Développement économique social et culturel du processus d’Alger et cadre du Ministère de la Reconstruction du Nord ; Mme Ramata Coulibaly, Présidente du Collectif des Maliens pour la Paix ; M. Bakary Traoré, porte-parole du Collectif des Maliens pour la Paix et Mme Gwenola Possémé-Rageau, Représentante du Centre pour le Dialogue humanitaire en France.
A la fin de son exposé, M. Berthe a rappelé que même si l’on n’était pas entièrement satisfait de cet Accord, maintenant qu’il avait été signé, l’essentiel était de réussir sa mise en œuvre et d’aller de l’avant.
L’exposé terminé, la parole a été donnée à la salle. Le reste de la journée s’est déroulé sous forme d’un échange entre les panélistes et les participants à travers le jeu de questions/réponses.
Synthèse des discussions
– Un Accord pour la paix et la réconciliation très discutable : les participants se sont dits inquiets de l’insécurité persistante au Mali malgré la signature de l’Accord pour la paix. Ils ne voient pas de progrès dans la mise en œuvre de cet Accord qu’ils jugent imparfait et dont certains le considèrent comme un « non-Accord ».
Deux thèmes ont suscité des réactions vives de la salle, le maintien du terme « Azawad » dans l’Accord ainsi que la question des Autorités intérimaires. Les Maliens de la diaspora sont très attachés à la République, une et indivisible. Malgré l’intervention des panélistes, qui ont expliqué que ce terme n’apparaît que pour décrire un terroir, les participants ont considéré son maintien comme un signe de faiblesse de l’Etat vis-à-vis des groupes armés. D’aucuns ont en effet reconnu que les négociationsµ avaient été faites dans une situation de grande faiblesse pour l’Etat, ce qui expliquerait certaines concessions.
– Un Accord trop favorable aux régions du Nord : pour nombre de participants, l’un des problèmes de cet Accord porte sur les nombreuses concessions faites aux régions du nord. Ils estiment qu’il n’offre rien en échange aux régions du centre et du sud, qui subissent directement et indirectement les effets de la crise. Cela se ressent notamment aux niveaux des dispositions politiques comme celle liée à la création d’autorités intérimaires au nord alors que les régions du sud attendent depuis des années le renouvellement de leurs conseils municipaux, faute d’élections communales. M. Berthe a expliqué que les autorités intérimaires n’avaient pas vocation à remplacer les conseils municipaux mais à remplacer de façon temporaire ceux qui ne fonctionnaient pas en attendant les prochaines élections municipales.
– L’absence de prise en compte de la région de Mopti dans l’Accord : les participants sont préoccupés par l’absence de prise en compte de la région de Mopti qui subit de la crise depuis le début et accueille aujourd’hui beaucoup de déplacés…
– Préserver la cohésion nationale: les participants craignent que la mise en œuvre de l’Accord n’entame la cohésion sociale. Par ailleurs, les interventions dans la salle ont montré que chaque communauté se considère victime de cette crise. Les participants regrettent que l’Etat ne se préoccupe pas de toutes les victimes de la même manière. Ils ont le sentiment que seuls ceux qui ont pris les armes, ont droit à une reconnaissance. Ils se demandent s’il ne s’agit pas d’un encouragement à prendre les armes.
Certains s’inquiètent de la question des « quotas » telle que posée dans l’Accord. Selon eux, elle entérine la discrimination ethnique au Mali, ce qui leur paraît très grave. Pour les participants, il est important de ne pas entamer la cohésion nationale et l’unité nationale. Pour pallier cela, ils estiment qu’il serait indispensable d’organiser une grande rencontre nationale inclusive sur l’Accord pour la paix au Mali.
Les participants se demandent également si l’armée malienne va être en mesure de retourner à Kidal et si les services de l’Etat malien vont pouvoir y fonctionner. Les rapports entre les sédentaires et les nomades, des agriculteurs et des éleveurs, restent très présents dans les discussions et constituent une source de tension supplémentaire dans les zones les plus affectées par la crise.
– La responsabilité de chacun de contribuer au développement : certains se demandent à quoi a servi l’aide publique au développement consacrée aux régions du nord, estimant qu’aucune autre région du sud du Mali, n’avait été autant soutenue financièrement.
– Remettre la justice au cœur des préoccupations : les participants estiment que la question de la justice n’apparaît pas suffisamment dans l’Accord. Ils s’étonnent par ailleurs que certains coupables d’exactions durant l’occupation au nord aient été arrêtés puis relâchés et se retrouvent aujourd’hui au sein des groupes signataires. Ils se demandent si la justice finira par les juger.
– Les patrouilles mixtes : certains mettent en doute l’efficacité des patrouilles mixtes et notamment le fait que l’on fasse assurer la sécurité par des membres des groupes armés. M. Berthe a expliqué que les patrouilles mixtes avaient démarré depuis le mois de novembre et que ce sont des éléments des mouvements qui opèrent avec les forces de sécurité maliennes.
– Les discussions avec les groupes rebelles : certains participants se demandent pourquoi l’Etat a engagé des discussions avec les groupes représentés au sein de la CMA et la Plateforme mais ne veut pas parler au Front de Libération du Macina, très actif en ce moment dans le centre du pays. Ils considèrent que parler avec l’ensemble des groupes rebelles en présence peut contribuer de manière plus pérenne à construire la paix.
– Le retour des réfugiés : les participants se sont dits préoccupés par le sort des réfugiés et des déplacés qui se trouvent dans les pays limitrophes. Ils ont demandé des précisions sur leur rapatriement. M. Konaté, en charge de ce dossier au sein du Ministère de la Reconstruction du Nord a indiqué qu’en avril 2016, étaient retournés, 453 059 réfugiés. Il reste encore 144 794 réfugiés.
– Regarder vers l’avenir : les participants ont fait très peu allusion aux crises précédentes. Ils se sont néanmoins demandé si le Mali allait enfin tirer les leçons du passé pour éviter de reproduire les mêmes erreurs.
Conclusion
Cette rencontre a permis de mettre en évidence les préoccupations de la diaspora malienne et leurs attentes vis-à-vis de l’Accord et sa mise en œuvre. Les discussions ont révélé la diversité communautaire importante, que l’on constate également au Mali. Au sein même des participants, certains s’expriment aujourd’hui au nom de leur communauté contre d’autres communautés. On perçoit un certain repli lié à des frustrations non prises en compte dans le cadre du règlement de la crise.
Le Mali est aujourd’hui très divisé et la teneur des discussions à Paris l’a encore une fois prouvé. Beaucoup reste à faire en terme de réconciliation des Maliens afin d’éviter la fragmentation ethnique. La diaspora malienne est impatiente et demande à être entendue.
Les participants à cette rencontre souhaiteraient que de telles initiatives puissent être renouvelées dans d’autres régions de France pour pouvoir atteindre davantage de représentants de la diaspora malienne en France. Les panélistes ont encouragé les participants à poursuivre leurs initiatives en faveur de la paix et du développement au Mali. Ils les ont exhorté à ne pas se détourner de l’Etat qui a besoin de tous les soutiens et notamment ceux de la diaspora malienne en France.
La rencontre qui a été filmée, donnera lieu à une vidéo qui sera partagée avec l’ensemble des participants de cette rencontre mais aussi au Mali, auprès des autorités et des organisations de la société civile afin de mieux faire entendre les préoccupations de la diaspora malienne de France au Mali.
Source:Le Républicain-Mali 11/05/2016.