Malgré l’engagement soutenu et les investissements significatifs des partenaires internationaux et des États de la région, «la situation du Sahel n’a pourtant cessé de se détériorer au fil des ans».
Prises en étau, les populations civiles sont les premières victimes de violences perpétrées en toute impunité par des acteurs variés, notamment des groupes identifiés comme jihadistes, des groupes communautaires identifiés comme milices d’autodéfense, des groupes criminels ainsi que par des éléments des Forces de défense et de sécurité (FDS) nationales et régionales.
C’est pourquoi la «Coalition citoyenne pour le Sahel» (lancée en juillet 2020) œuvre à faire entendre la voix des populations les plus touchées par la crise et convaincre les gouvernements de la nécessité de développer une vision articulée autour de leurs besoins fondamentaux.
Dans un rapport lancé le 13 avril dernier, elle souhaite un changement d’approche dans la lutte contre le terrorisme au Sahel.
«Depuis 8 ans, la priorité a été donnée à l’action militaire, à travers des opérations anti-terroristes menées par les armées sahéliennes aussi bien à titre national que dans le cadre de la Force conjointe du G5 Sahel ainsi que par des troupes internationales, singulièrement la force française Barkhane» !
C’est le constat fait par la «Coalition citoyenne pour le Sahel» dans un rapport publié le 13 avril 2013.
Ce jour, elle a présenté à l’opinion internationale un ensemble de recommandations concernant la gestion de la crise au Burkina Faso, au Mali et au Niger dans un document intitulé : «Sahel : Ce qui doit changer» !
«On s’aperçoit que, entre 2017 et 2020, les attaques contre les civils ont quintuplé.
Le nombre de civils ou de suspects non armés tués, y compris des femmes et des enfants, est passé de 356 à 2 443, soit une multiplication par sept, selon les données de l’ONG ACLED (Armed Conflict Location & Event Data Project)», a rappelé Mme Niagalé Bagayoko, co-auteure du texte, interrogée par nos confrères de RFI le jour de publication du rapport.
Et même en se concentrant sur le début de cette année, a-t-elle souligné, «la situation continue en réalité à empirer».
Et cela d’autant plus que depuis le début de l’année on «déplore le meurtre de plus de 200 civils par des groupes armés au Niger, les viols d’une petite fille de onze ans et de deux femmes dont une enceinte au Niger également par des soldats tchadiens… ou également des rapports, notamment celui de l’ONU qui établit la mort de 19 civils lors d’une frappe aérienne française» à Bounty, au centre du Mali.
Pour Mme Niagalé Bagayoko, «si l’on fait le bilan, en réalité davantage de civils ont été tués au cours des dernières années par des soldats que par des groupes armés non étatiques.
Et le rôle des groupes d’autodéfense ou des milices est également accablant dans les souffrances infligées aux civils».
C’est pourquoi cette coalition souhaite que la protection des civils soit un objectif à part entière dans la lutte contre le terrorisme. «A notre sens, il faut changer les mesures du succès», a souhaité la co-auteure du rapport de la coalition.
Et de suggérer qu’il faudrait par exemple «évaluer les opérations» en répondant aux questions comme combien d’écoles et de centres de santé par exemple ont-ils pu être rouverts grâce à une intervention militaire ?
Est-ce que les populations peuvent désormais accéder à leurs champs pour les cultiver ou à leurs pâturages ?
Est-ce que ces opérations ont permis le retour sûr, volontaire et informé des déplacés et des réfugiés ?
Négocier avec les terroristes, mais aussi juger les auteurs des massacres comme celui d’Ogossagou
La «Coalition citoyenne pour le Sahel» souhaite aussi «l’ouverture de premier procès de soldats et de responsables de milice, de manière très rapide, notamment en ce qui concerne des massacres qui ont été particulièrement documentés comme celui d’Inates au Niger ou celui de Djibo au Burkina Faso voire d’Ogossagou au Mali».
«Il est nécessaire aujourd’hui que les procédures, que les autorités ont annoncé avoir lancées, aboutissent de manière concrète et visible», a confié Mme Niagalé Bagayoko à nos confrères de RFI.
Et la coalition est naturellement favorable au dialogue avec certains jihadistes. Pour Mme Niagalé Bagayoko, il y a différents niveaux de dialogue.
«Il y a bien entendu le dialogue que certaines autorités nationales, notamment celles du Mali, ont déclaré vouloir engager avec certains chefs de groupes jihadistes, notamment Iyad Ag Ghali et Amadou Koufa.
Mais, il y a un deuxième niveau qui est celui des dialogues qui sont menés en réalité au niveau local».
Et de rappeler que, aujourd’hui, «la difficulté est qu’il n’existe pas de coordination entre ces différents niveaux et l’un des enjeux est vraiment de parvenir à inscrire l’ensemble de ces initiatives dans un schéma beaucoup plus global de gestion de la crise».
La transparence dans les budgets de la défense est également l’une des recommandations de la coalition.
Une exigence justifiée par les scandales qui ont éclaté au Niger puis au Burkina Faso et également au Mali.
«Dans un contexte de guerre, ces scandales vont à l’encontre justement de ce principe de protection des populations et même de respect des soldats eux-mêmes», a déploré Mme Niagalé Bagayoko.
En effet, poursuit-elle, comment accepter aujourd’hui que «des soldats risquent leur vie et en mainte, puisque le nombre de soldats tués au cours des dernières années varie entre 200 et 400 par an selon les pays.
C’est donc énorme».
Et comment accepter que «ces soldats soient déployés avec des moyens qui restent quand même dans l’ensemble relativement insuffisants, alors même que les budgets qui leur sont destinés sont détournés».
Cette exigence est adressée non seulement aux Etats de la région, mais également aux partenaires internationaux.
«Il doit y avoir une conditionnalité absolue lorsqu’il existe des programmes de coopération militaire avec des États pour que les budgets affectés à la défense y soient réellement consacrés», a conclu Mme Niagalé Bagayoko dans l’entretien accordé à RFI le 13 avril 2021.
Naby