L’échiquier politique national ne tremble pas encore, mais il est en train de se remuer. Ou, disons-le avec précaution, on essaye de le secouer. De traditionnels acteurs politiques qu’on imagine détenir encore de bonnes cartouches se mettent en position de tir. Point de mire : l’élection présidentielle de 2012. En observant les premiers avec des jumelles, de jeunes loups, croyant posséder de longues dents, sont aussi dans l’embuscade. Preuve que les choses ne se passeront pas à la légère sans pour autant que l’on puisse se hasarder à affirmer que la transparence et l’honnêteté seront de mise le moment venu. Au Mali, on ne le sait que trop, on se moque royalement de l’éthique et de la morale.
Me Mountaga Tall, président du Cnid- Fyt, avait déjà flairé, au cours de la présentation des vœux de nouvel an à la presse, les dangereux pièges posés ça et là sur les chemins qui nous conduiront à l’échéance électorale majeure dans treize mois si elle devait avoir lieu. Pour le numéro Un du parti du Soleil Levant, les élections générales à venir vont constituer un moment important de notre vécu démocratique. Il y croit et ne manque pas de le rappeler opportunément. En conséquence, « Tout doit être mis en œuvre afin que les résultats reflètent la volonté des Maliennes et des Maliens… » Tout est dit. La voûte de suspicions signalant au loin notre architecture démocratique est tout simplement immense.
Alors, travaillons à minimiser les dégâts, à cerner les velléités crapuleuses, à projeter de la lumière dans les trous noirs et, pourquoi pas, à décrocher l’indispensable note d’excellence sans laquelle notre démocratie est condamnée à la vétusté précoce. Entre autres inquiétudes, Me Tall indexe le timing opaque du futur agenda politique. Son ex compagnon, Tiébilé Dramé, pointe du doigt « Le flou entretenu au sujet des suites du Ravec » qui « est tout simplement incompréhensible. » Puisque l’on ne peut nullement soupçonner les deux coupables de conspiration circonstancielle ou de complicité de saison, gageons avec eux qu’il y a bien problèmes auxquels il urge de trouver des solutions vraies.
Difficile, tout de même, à dire quelle part prendra le Soleil Levant au réchauffement climato- politique au Mali. On se souvient qu’en milieu de l’année 2001, sur l’éventualité de la candidature à l’élection présidentielle de 2002 du général Amadou Toumani Touré qui se faisait alors admettre à la retraite anticipée de l’armée, Me Tall, avec une précaution oratoire frappée au coin de l’intelligence, avait seulement osé une opinion sinon brumeuse, du moins évasive. Mais, à sa décharge, il a toujours dit qu’il n’énonce pas ses avis à partir des données de la politique-fiction. S’il a été absent à l’élection présidentielle de 2007, il a quand même assuré, il y a quelques jours, qu’il « n’y a aucune raison pour être absent d’un débat électoral d’une telle importance » à propos, justement, d’une candidature à la présidentielle de 2012. L’avocat, redoutable politique, est suffisamment connu pour la tonalité mesurée de ses déclarations et le choix rigoureux des mots pour les décliner. Pause avant le décryptage.
De même, Tiébilé Dramé est peut-être le personnage politique le plus difficile à camper du microcosme malien. L’homme a souvent fait partie de la nomenklatura avec une intelligence vivement éveillée. Les souricières, les pièges « à cons », les peaux de banane, il doit maintenant pouvoir les distinguer même dans l’obscurité d’une tombe, soit pour les éviter, soit pour les retourner à sa faveur. Légitimement, on est fondé à se demander à quelle tabaski il conduira bientôt le bélier blanc. On ignore tout autant s’il ne dispose pas d’un agneau sacrificiel. Eh bien, il lui faut plutôt contribuer à écrire les nouvelles pages politiques maliennes, à tracer les traits de la nouvelle démocratie malienne. Il est futé pour réussir un tel pari. Mais s’il choisit les intrigues de cour ou les compagnonnages dans les vallons hantés par les diablotins de l’opportunisme, l’histoire ne manquera pas de lui jeter à la figure, comme un boomerang, les récoltes gangrenées.
Piraterie politique
Oui, l’échiquier politique national ne tremble pas encore, mais il s’anime. Pr. Dioncounda Traoré a eu l’admirable honnêteté de signifier que son parti a suffisamment de cadres et de militants consciencieux pour ne pas recourir à un candidat sélectionné ailleurs pour défendre ses couleurs à la prochaine présidentielle. Pourquoi un parti comme l’Adéma- Pasj doit confier son sort à un candidat pirate, resté à l’embuscade depuis vingt ans ? Pourquoi la formation rouge et blanc doit s’accommoder d’une tricherie politique faisant de Modibo Sidibé son porte- étendard à la compétition majeure de notre pays ? On vient de découvrir, dans un pays bien habitué aux tripatouillages monstrueux de toutes sortes, que l’actuel Premier ministre, qui est bien en vue parce que régulièrement haut perché depuis les évènements de mars 1991, a la carte n° 95 de la Ruche depuiiiiiiiiiiiiis 1998 ! La belle imposture ! Nul n’a besoin au Mali et hors des frontières de notre pays pour savoir que Pr. Ali Nouhoum Diallo a toujours eu la carte de son parti. Pour savoir que, oui, IBK avait toujours la carte du Pasj avant de l’avoir quitté. De même Soumaïla Cissé ou feu Pr. Mamadou Lamine Traoré. Tout le monde sait aussi que Soumeylou Boubèye Maïga a gardé sa carte de l’Adéma même quand on l’y a exclu. Pour dire tout simplement que ceux qui font double emploi, cette sorte de piraterie politicienne, avec l’éthique et la morale en démocratie sont de la race des filous d’Etat. Imaginons Modibo Sidibé admis à la retraite anticipée de la police malienne et parvenir aux charges suprêmes de la République en violentant l’Adéma- Pasj ! Imaginons un président de la République élu en utilisant des méthodes dignes d’Al Capone ! Ce serait le triomphe de la corruption, de la délinquance multiforme et globale, du racket comme mode de gouvernance. Mieux vaudrait, dans ce cas, renoncer à faire de la politique et confier le destin du Mali à une association de malfaisance reconnue d’utilité publique. La question n’est plus que l’idée d’un Modibo Sidibé, candidat de l’Adéma- Pasj, est désormais liquidée, hors sujet pour de bon. Le problème ne devrait tout simplement pas exister. Mais les hooligans sont lâchés et errent partout. De propositions saugrenues en agissements rocambolesques, il sera fait mention du chef actuel du gouvernement dans la perspective de la prochaine compétition pour la fonction de président de la République. Tout est conçu pour que dans notre pays la politique ne repose plus désormais sur ses piliers traditionnels, les partis politiques. Tout sera mis en œuvre pour que le futur président de la République soit un indépendant saupoudré, porté, homologué et adoubé par les partis politiques à qui l’heureux personnage s’empressera de dénier, aussitôt son forfait réussi, toute prééminence dans le jeu politique.
On en vient à la question de l’éthique en politique. Les premières formulations nous viennent des Etats- Unis d’Amérique. Notons d’abord que la grande richesse du pays de l’oncle Sam, c’est la démocratie. Le credo maintes fois affirmé et réaffirmé par Barack Hussein Obama est qu’il faut s’y accrocher, vaille que vaille, advienne que pourra. On peut donc dire que le rouleau compresseur de l’exigence démocratique américaine est déroulé… et sera continuellement étendu.
Brillants intellectuels engagés
Pr. Dialla Konaté, qui ne rate pas d’occasion pour signifier sa citoyenneté vigilante pour le Mali, propose un code de conduite. A sa suite, Fatogoma Mohamed Ouattara pourfend l’opposition devenue aphone depuis bientôt dix ans et trace le portrait de l’introuvable candidat idéal à l’élection présidentielle de 2012. Nos deux yankees, en révélant par voie de presse leur souci de la patrie et de la démocratie, conforte la tendance que les prochaines élections générales ne seront pas un jeu d’enfants. Bien au contraire, de brillants intellectuels, depuis l’extérieur, se chargent désormais d’apporter à notre pays l’onction nécessaire à son évolution : celle de la rigueur, de l’exigence de citoyenneté et de probité morale. Ils ont leurs visions et, comme ils sont nourris d’expériences qui rythment bien la démocratie sous leurs cieux d’adoption, on peut parier que leur engagement sera à la dimension de ce qu’ils valent.
Un fait notoire sur la scène politique nationale : la création du Rpdm (Rassemblement pour le développement du Mali) par l’astrophysicien Cheick Modibo Diarra, symbole, celui-là, de l’Amérique triomphante. D’où l’idée que le Mali deviendra bientôt le laboratoire où sera expérimentée la nouvelle démocratie africaine, celle qui a les bénédictions de Washington. L’idée n’est pas si farfelue. C’est l’Amérique qui a façonné, grâce aux bonnes œuvres de la Fondation Carter, un certain Amadou Toumani Touré pendant dix ans, avant de contribuer à le porter sur les hauteurs de Koulouba. L’on se souviendra opportunément de la jubilation quasi juvénile de l’ambassadeur américain dans les locaux de la Cour constitutionnelle quand la candidature du général ATT a été proclamée recevable par la haute institution.
Mais Cheick Modibo Diarra, honnête scientifique de haut vol, sera vu aussi, à son corps défendant, comme un fer de plus au feu pour Moussa Traoré, souverain déchu en mars 1991. Ce ne serait pas injure à sa personne, c’est un fait socialement soutenable au Mali. Ainsi, l’ancien parti unique Udpm connaîtra une sorte de rédemption. Avec déjà Cheick Bougadry Traoré au front pour la conquête du pouvoir, même en soupçonnant le Mpr de renoncer à la revendication de l’héritage de l’Udpm, des suspicions légitimes auront cours.
Et nous voilà, parce qu’il faut amuser la galerie et décompresser les esprits, avec une flopée de candidats difficiles autant à comprendre qu’à respecter : Madani Tall, Ibrahima N’Diaye dit Iba, Sékou Diakité, etc. Qui ne souvient au Mali de ce candidat à l’élection présidentielle venu de la France pour dire aux Maliens en les regardant fixement dans les yeux que s’il a leur confiance, le nombre de repas quotidiens sera porté de 3 à 5. Parce que, lui, il amènera une telle abondance qu’à chaque heure de prière (prière musulmane, comprenons-nous), nos compatriotes devront manger. C’était là un programme politique très attractif qui aurait pu faire de nous de sympathiques gourmands. Pour une fois, la magnanimité divine nous a sauvés des candidatures farfelues et ineptes. Mais notre inattention commune est notre propre piège à la démocratie. Et les prochaines élections générales seront à ce point ouvertes qu’elles deviendront de gigantesques bonneteaux. Et il se passera des choses.
Amadou N’Fa Diallo
Le National 17/03/2011