Le romancier américain Richard Ford, le 27 avril 2017 à Bogota / © AFP/Archives / Raul Arboleda
Le romancier américain Richard Ford, l’un des plus fins observateurs des Etats-Unis contemporains, lauréat de nombreux prix dont le Pulitzer, s’est senti « démoralisé » par l’arrivée à la Maison Blanche de Donald Trump, qu’il qualifie d' »imbécile, incompétent, menteur ».
Mais si l’actuel président américain va secouer son pays, il ne le détruira pas, assure à l’AFP cet héritier d’Hemingway et Faulkner. Né en 1944 dans le Mississippi (sud des Etats-Unis), créateur du célèbre personnage Frank Bascombe, il était présent au salon international du livre de Bogota (FILBo).
QUESTION: Pourquoi n’avez-vous pas vu venir la victoire de Trump ?
REPONSE: J’étais aveuglé par ce que je voulais voir arriver. Et cela m’a fait comprendre que je ne connaissais pas mon pays aussi bien que je le pensais. J’aurais dû connaître les gens de cette majorité qui a voté pour Trump car ils sont comme ceux de ma famille, où tous ont voté pour Trump. J’aurais dû le savoir. Mais cela n’a pas été le cas car comme Hillary (Clinton, la candidate démocrate adversaire du républicain Trump à la présidentielle), j’étais loin des préoccupations de ces gens.
Q: Selon vous, Trump incarne l’indifférence des Américains envers le gouvernement fédéral. Comment expliquez-vous ce désintérêt?
R: En partie du fait de la taille du pays: dans le Montana (nord des Etats-Unis), il est difficile de croire que Washington existe. Loin de son siège, le gouvernement est affaibli: on le sent moins et on lui en veut plus. Depuis toujours, les Américains sont sceptiques envers le gouvernement fédéral (…) Qu’il les laisse faire, qu’il n’interfère pas, qu’il ne régule pas. Et cependant, lorsque survient une catastrophe naturelle, ils veulent que le gouvernement répare leurs maisons, reconstruise les routes et les ponts. Ce n’est qu’une contradiction (…) dans ce pays où les gens sont isolés les uns des autres.
Q: Comment vous êtes-vous senti lors de la victoire de Trump ?
R: Démoralisé. Pas parce que je crains qu’il détruise le pays. Il pourrait provoquer une guerre avec la Corée du Nord (…) Il en est vraiment capable. Mais je vois surtout la présidence de Trump comme une colossale perte de temps.
Q: Vous l’avez qualifié d' »imbécile, incompétent, menteur, goujat »…
R: Oui, je le crois encore plus maintenant. Je n’ai pas une vision apocalyptique. J’ai foi dans les institutions qui font des Etats-Unis un pays fort et bon. Ces institutions vont être secouées, mais pas détruites. Les Américains souffrent de lassitude morale. Ils ne votent pas! Peut-être que s’ils le voient comme un mauvais président, davantage voteront.
Q: Certains disent que Trump n’ira pas au bout de son mandat.
R: Il ne le terminera pas si les Républicains commencent à le voir comme un handicap, ou si surgit une affaire de corruption publique liée à un conflit d’intérêts financiers.
Q: Pourquoi écrivez-vous ?
R: Je lis, c’est pourquoi j’écris. Je suis dyslexique, mais par chance pas sévèrement et j’ai réussi à acquérir des habitudes de lecture, qui se sont avérées très utiles pour écrire des romans. Je vais doucement, j’écoute la langue.
Q: Que lisez-vous en ce moment ?
R: Des livres sur la sclérose latérale amyotrophique (SLA), parce que je pense écrire sur quelqu’un qui en souffre. Ce sera un Frank Bascombe, si je ne me fais pas trop vieux car un roman requiert beaucoup de force.
(©AFP / 05 mai 2017 10h21)