Vendredi 28 octobre 2011. Vol Aigle Azur ZI 0521. 15h20: le Commandant de bord nous souhaite la bienvenue. Les ceintures s’attachent, le moteur tourne et l’avion commence à rouler tranquillement. Sur cent vingt passagers, trois ou quatre Blancs seulement, dont moi. Soudain, un remous à l’arrière, au dernier rang. Des cris et, surtout, des gestes violents. Les gens se retournent. Deux rangs derrière moi, une passagère s’écrie: «Il est attaché! Non, pas de ça! Ce n’est pas un chien! C’est scandaleux!»
Très vite, plusieurs personnes se mettent à crier. Je distingue alors mieux la présence au dernier rang d’un homme aux mains effectivement attachées, qui gesticule dans tous les sens et se fait violemment maîtriser par deux hommes portant un brassard où est inscrit «Police». La scène est cruelle et intolérable. Très vite, la tension monte. Les ¾ des passagers sont debout. Des cris surgissent de toutes parts. Cinq ou six passagers commencent à frapper sur les coffres à bagages, certains avec leurs chaussures. Le couloir central est encombré. Les hôtesses tentent de se frayer un chemin et hurlent aux passagers de s’asseoir. J’en interpelle une: «on peut avoir des explications?». Elle me dit de garder mon calme et nous explique, montrant le sans-papiers reconduit, que «c’est une personne malade, qui fait des crises. On n’a pas d’autre solution que de l’attacher». Je redouble de colère, comme l’ensemble de mes voisins, aussi stupéfaits que moi de cette réponse.
De toute évidence, on court vers l’émeute si l’avion ne fait pas demi-tour. Le Commandant de bord fait irruption et nous hurle l’ordre de nous rasseoir. Face au refus général, il repart. Les hôtesses nous disent de nous calmer: «l’avion va revenir à la case départ et le passager va être débarqué». La tension ne baisse que légèrement et, alors que l’avion roule à nouveau, la moitié des passagers au moins restent debout. Le mot scandale fuse. L’avion s’arrête finalement et les policiers en descendent, encadrant la personne expulsée. Des conversations plus apaisées s’engagent.
Les passagers assis côtés hublots racontent ce qui se passe en bas. L’homme a bien débarqué et est monté dans un fourgon. Puis plus rien. Aucune explication. Une hôtesse s’avance enfin et nous explique que ce qui s’est passé est grave: «On s’est fait frapper. Des portes de rangements de bagages sont abimées. On ne sait pas si l’avion repartira». Au bout d’une demi-heure, peut-être, trois policiers remontent et interpellent les passagers qui ont assisté au plus près à la scène. De ma position, je ne vois pas grand-chose. Je ne m’aperçois donc pas qu’ils font descendre deux passagers, avec leurs bagages à main. Puis les mêmes policiers s’avancent vers nous et demandent son passeport à la femme qui, la première, s’est aperçue que l’homme avait les mains ligotées et a crié. Elle le leur donne, en demandant ce qu’elle a fait. Le policier près d’elle ne répond pas et lui dit de prendre son bagage à main.
Je l’interpelle et lui demande ce que cette personne a fait. Il m’intime l’ordre de me taire et de ne pas poser de questions. Je lui réponds que la femme n’a fait qu’exprimer son désaccord face à un acte illégal et qu’à ma connaissance la liberté d’expression existe encore dans notre pays. J’ajoute que, quelques secondes après qu’elle ait dénoncé la violence de la scène, 50 personnes tenaient les mêmes propos qu’elle, restaient debout et refusaient de s’asseoir, comme elle. Le policier me fustige du regard et me conseille une nouvelle fois de me taire. Je lui dis que nous avons le droit de savoir pourquoi ils débarquent cette personne, qui n’a rien fait de plus que les autres et que, si elle descend de l’avion, ce sont 50 personnes, dont moi-même, qui doivent descendre. Les policiers m’ignorent, encadrent la femme et descendent avec elle.
Il est alors annoncé au micro qu’«il semblerait que des personnes souhaitent débarquer de leur plein gré» et celles-ci sont sommées de faire vite. Après quelques secondes, je me lève, espérant que mon geste en encouragera d’autres et que les personnes injustement débarquées seront ramenées dans l’avion. J’explique à mes voisins que tout le monde devrait se lever. Voyant que je reste seule debout et que les autres passagers m’incitent à me rassoir, je me dis qu’en descendant de mon plein gré, je serais immédiatement séparée des personnes débarquées sans raison, dont le sort m’inquiète. Je me rassois. L’avion ne redémarre pas.
Quelques minutes plus tard, les trois policiers remontent dans l’avion et se dirigent vers moi. Le scénario se reproduit. Je leur montre mon passeport et ils me disent de récupérer mon bagage à main. Je tiens les mêmes propos que quelques minutes auparavant. Un policier m’explique alors que c’est le personnel de bord qui ne désire pas que je reste dans l’avion et demande à ce que je sois débarquée. Lui ne fait qu’accomplir sa mission. Je me plie à ses ordres. Les voitures de police nous conduisent au commissariat de l’aéroport, selon un découpage racial. Dans la première, plusieurs policiers et les trois passagers noirs débarqués. Dans la seconde, une hôtesse de l’air qui veut déposer plainte pour coups et moi. Elle blague avec les policiers, expliquant que c’est bientôt la pleine lune. Je me tais.
Arrivée au commissariat, je suis assise dans le couloir à côté des trois autres personnes débarquées. Des policiers nous entourent. Je demande à téléphoner, ce qui m’est refusé. Nous sommes tous appelés dans des bureaux différents. Je m’assois et un policier, relativement jeune, m’explique les accusations portées à mon encontre. La première, je crois, est d’avoir troublé l’ordre public. La deuxième, d’avoir entravé le bon déroulement du vol. La troisième, enfin, d’avoir incité les autres passagers à la rébellion. Je fais un long récit des scènes hallucinantes auxquelles j’ai assisté, relis ma déposition bourrée de fautes et la signe. Un second policier arrive. J’ai alors droit au quart d’heure moralisateur et à un discours visant à me prouver l’inutilité de mon acte. «Ce que vous ne savez pas, Madame, c’est que les sans-papiers qu’on reconduit chez eux sont des délinquants». Ou encore «Vous avez une solution pour accueillir tous les sans-papiers, vous? Si vous avez un grand jardin, alors parquez-les dedans». Je décide de ne pas répondre à la provocation et tente de garder mon calme. Les policiers finissent par me dire que c’est terminé et me demandent de quitter les lieux. Je sors, me disant que j’aurai plus tard des nouvelles du sort des autres car j’ai récupéré le n° de téléphone de la femme débarquée juste avant moi. Je suis exaspérée et pense avec horreur au sort que pourraient nous réserver les futures élections…
Le 22 Septembre 03/11/2011