Port « obligatoire » du casque Diversion et fuite en avant du gouvernement

« Cette décision est révoltante, elle vise à détourner notre attention sur le Nord au moment où de plus en plus nous demandons au gouvernement et à l’armée plus d’actions pour recouvrer l’intégrité du territoire national. On ne se laissera pas divertir… » C’est en ces termes que de nombreux citoyens à Bamako commentent la décision prise mercredi par le ministre des transports de rendre « obligatoire » le port du casque par les motocyclistes à partir du 1er  octobre prochain.

L’impopularité de la mesure ne fait plus l’ombre d’aucun doute, à l’écoute de plusieurs émissions radios accordées sur le sujet. Contrairement à un prétendu micro-trottoir réalisé par la chaîne de télévision publique ORTM (qui semble traduire l’adhésion des citoyens), la mesure suscite colère et indignation. En témoignent les interventions sur Radio Klédu dans l’émission « Tignè Ka fô, Djamana ka djô » (Disons la vérité pour que le pays se construise) et d’autres émissions interactives de radios de la place.

Faire face aux priorités

Cette colère des populations est-elle vraiment justifiée ? Tout naturellement ! Il faut le dire tout de suite. Car la mesure, si elle est d’ordre sécuritaire, elle intervient dans un contexte de forte tension économique pour les foyers modestes, avec en toile de fond la flambée sauvage du prix des produits de première consommation. Au cours du dernier mois, le prix du gaz a presque doublé suite au refus de subvention du gouvernement, sous un prétexte aussi grotesque que méprisable.

Comme un malheur ne vient jamais seul, le prix carburant connait son énième hausse. Et le prix du litre, qui frôle désormais les 800 F CFA, a en rajouté aux difficultés des ménages qui ont désormais l’huile, le riz et surtout le mil très chers. Le kilo de mil est désormais à 450 F CFA, tandis que le riz nous revient encore entre 400 et 500 F CFA le kilo, selon les variétés. Du côté de l’Energie du Mali, les nouvelles ne sont pas bonnes pour les abonnés. Dans les jours, la facturation va se durcir.

Le pas est donc franchi, et il n’en fallait pas plus au gouvernement Cheick Modibo Diarra pour en rajouter à l’exaspération des ménages qui souffrent déjà des conséquences dramatiques (sur le plan économique) du coup d’Etat du 22 mars.
Sur le plan social, la mesure du lieutenant-colonel Koumaré (ministre des Transports) est inapplicable. Dans un pays où tout le monde n’a pas d’engins, il n’est pas rare de voir un voisin, un parent ou un ami au bord de la route qui vous demande de le déposer en cours de chemin. Face à une telle situation, nous avons beau porter le casque, si chaque citoyen ne promène pas avec un 2e casque en main, nous sommes répréhensibles au vu de la mesure.

Une décision irréfléchie, qui n’a point sa justification. Pis, elle ouvre la voie à la spéculation et à une sorte de mafia des opérateurs économiques dans le marché d’importation du casque. Comment homologuer les casques et faire en sorte que le port ne soit qu’une simple formalité ? Le ministère des Transports n’a pas fait un travail sérieux dans ce sens.

Vers la grogne sociale

Ce qui est davantage révoltant aux yeux des populations, c’est surtout que le ministère prend une telle décision dans un contexte de dégradation avancée de nos routes. Le ministre Koumaré doit comprendre que la sécurité routière ne dépend pas que du port « obligatoire » du casque, mais aussi et surtout de l’amélioration de l’état des routes. Au gouvernement, nous rappelons que nous payons nos impôts pour ça, et les taxes de péages sur les axes routiers. Aujourd’hui, le peuple malien s’interroge sur l’utilisation faite de ces fonds.

La question qui se pose est de savoir qui seront punis dans l’application de cette mesure. Dans l’histoire des plaques d’immatriculation, les forces armées et de sécurité ont clairement craché à la figure de l’ancien ministre des Transports qu’elles ne sont concernées pas cette loi. Au niveau du campus, la mesure avait provoqué l’ire des étudiants qui ont brûlé des dizaines de motos d’innocents.

Le nouveau ministre des Transports a-t-il mesuré la portée de sa décision en cette veille de rentrée scolaire ? Certainement non ! Avec des parents plutôt préoccupés par l’achat de fournitures scolaires et les détails d’inscription de leurs enfants, et bientôt la fête de tabaski, l’application d’une telle mesure dès le 1er octobre va se heurter (il faut en être sûr) à la révolte populaire. En cette période, le Mali peut bien se passer des manifestations dignes des émeutes de la faim de 2008 ! S’il ne s’agissait donc que de faire parler de lui, le ministre des Transports a gagné son pari.

Il n’y a pas de doute, que cette nouvelle mesure ouvre la voie à renforcer davantage les rackets des citoyens par les policiers dans la circulation. En cette période d’extrême tension, le gouvernement doit s’attaquer aux vrais problèmes. Il a tort d’en rajouter à la souffrance d’un peuple qui cautionne déjà mal que pendant six, son territoire reste entre les mains de bandits armés. S’il s’agit de renflouer les caisses les caisses de l’Etat, le gouvernement doit d’abord réduire ses propres dépenses, surtout dans le contexte où le pouvoir d’achat des ménages s’affaiblit jour après jour.

Issa Fakaba Sissoko
L’ Indicateur Du Renouveau 25/09/2012