Incapable de répondre aux enjeux sécuritaires, l’armée malienne n’a pourtant pas hésité, une nouvelle fois, à entrer de force dans le jeu politique. Pour le pire.
Appelons un chat un chat : l’ubuesque séquence à laquelle nous venons d’assister au Mali n’est rien d’autre qu’un vulgaire coup d’État. Le troisième en dix ans, le deuxième en moins d’une année… À peine 48 heures après avoir démis de leurs fonctions le président de la transition, Bah N’Daw, et son Premier ministre, Moctar Ouane, le colonel Assimi Goïta, le chef de la junte qui a mené le putsch contre Ibrahim Boubacar Keïta (IBK), le 18 août dernier, redevientd de faitd le patron du pays. Bah N’Daw a, en effet, remis, le mercredi 26 mai, sa démission ainsi que celle de son Premier ministre à celui qui était, jusque-là, son vice-président.
Le gouvernement, dont la composition avait été dévoilée le 24 mai, quelques heures avant le coup de force des militaires, est quant à lui dissous.
Les tensions entre Assimi Goïta et Bah N’Daw étaient vives depuis la reconduction de Moctar Ouane au poste de Premier ministre, le 14 mai.
Mais c’est l’annonce de la composition du nouveau gouvernement, lundi soir, qui a constitué la goutte d’eau qui a fait déborder la jidagaw.
Goïta n’a pas supporté l’éviction de deux de ses fidèles, membres influents de l’ancien Conseil national pour le salut du peuple (CNSP, officiellement dissous en janvier) : les colonels Modibo Koné et Sadio Camara, respectivement ministres de la Sécurité et de la Défense dans le précédent gouvernement.
Arrêtés le 24 mai au soir, Bah N’Daw et Moctar Ouane ont été incarcérés au camp militaire Soundiata Keïta de Kati, situé à une quinzaine de kilomètres de Bamako.
Aux côtés du général Souleymane Doucouré, censé être le nouveau ministre de la Défense, et de Kalilou Doumbia, conseiller spécial de Bah N’Daw.
Voilà pour les faits et les raisons du coup de sang de notre éruptif colonel…
Détestable habitude des hommes en treillis de Kati, qui n’hésitent jamais à investir par la force le champ politique, prétextant à chaque fois, la main sur le cœur, vouloir sauver le pays – ou ce qu’il en reste.
Un art qu’ils ont poussé à son acmé, alors qu’ils sont incapables de mener à bien leur mission première, ce pourquoi ils sont payés et ont été formés : assurer la sécurité du Mali et combattre les jihadistes.
En 2012, déjà, ils avaient renversé Amadou Toumani Touré, à quelques semaines seulement d’une présidentielle à laquelle il n’était pas candidat et alors que le pays était sous la menace conjuguée des rebelles touareg du Mouvement national pour la libération de l’Azawad (MNLA) et des jihadistes.
Ne parvenant pas à empêcher le blitzkrieg mené par ces derniers en direction de Bamako, ils durent s’en remettre aux troupes françaises dépêchées par François Hollande pour éviter la débâcle et cantonner les terroristes au Nord.
À l’époque, le chef de la junte était un capitaine sans grande envergure de 40 ans, Amadou Haya Sanogo.
La transition, officiellement dirigée par Dioncounda Traoré, était cornaquée en coulisses par Sanogo et sa junte.
Les « sauveurs de la patrie » se sont comportés comme tant d’autres petits officiers devenus rois avant eux sur le continent : gouvernance erratique, choix catastrophiques, corruption, népotisme, autoritarisme, etc.
Bref, on est plus proche de Moussa Dadis Camara que de Thomas Sankara…
Rebelote, donc, en août 2020.
Ibrahim Boubacar Keïta, contesté par un mouvement populaire de grande ampleur, est arrêté, emmené manu militari à Kati puis contraint à la démission.
Celui qui s’impose à la tête de la junte est un jeune colonel de 38 ans – on progresse au moins dans les grades – qui commandait le Bataillon autonome des forces spéciales et des centres d’aguerrissement (BAFS-CA), basé à Sofara, dans le centre du Mali.
Militaire et fils de militaire, pur produit des écoles maliennes (Prytanée militaire de Kati, École interarmes (Emia) de Koulikoro), passé par des centres de formation à l’étranger (Centre européen d’études de sécurité George C. Marshall, qui dépend du Département américain de la Défense et du ministère fédéral allemand de la Défense), Goïta n’a pas, il est vrai, le profil du fantasque Sanogo.
Discret, calme et respecté de la troupe, c’est un homme de terrain, dont les postes l’ont conduit à Gao, Kidal ou Mopti, pas un de ces officiers cramponnés à leurs confortables bureaux climatisés de Bamako.
Il n’empêche, en coupant les deux têtes de la transition au prétexte, selon lui, que Bah N’Daw et Ouane était coupables de « complot » contre cette dernière, mais au mépris de toutes les règles en vigueur et du simple bon sens, il vient de démontrer, s’il le fallait encore, qu’il ne peut être l’homme de la situation.
Et que le Mali, décidément, n’a guère les dirigeants qu’il mérite depuis le départ d’Alpha Oumar Konaré, en 2002.
Déjà que sa classe politique n’a pas fait grand-chose pour briller depuis deux décennies, si en plus il faut composer avec des militaires incompétents mais tout-puissants, difficile de nourrir quelque espoir pour un pays qui s’enlise inexorablement et dont les coutures craquent les unes après les autres.
Une nation sans État, sans administration, sans armée digne de ce nom, sans ligne directrice ni cap, véritable maillon faible du Sahel, havre pour terroristes et trafiquants en tous genres qui essaiment désormais au Niger ou au Burkina et lorgnent le nord de la Côte d’Ivoire.
L’actualité récente fait la part belle aux coups d’État militaires. Sans doute la relative tolérance à l’égard de la prise de pouvoir des fils Déby à N’Djaména, autre entorse aux principes démocratiques, a-t-elle laissé penser aux officiers maliens qu’ils ne risquaient rien à renverser une nouvelle fois le pouvoir légal.
Il y a pourtant une différence, de taille, entre ces deux pays : l’armée tchadienne s’est rendue indispensable dans la lutte contre le terrorisme.
Elle est compétente, organisée, efficace.
C’est un pilier avec lequel il faut donc composer.
L’armée malienne, elle, n’a démontré que son incapacité à assumer sa mission.
Elle se réorganise, se « refonde », s’équipe à grands frais, se forme depuis 9 ans.
Sans aucun résultat.
La seule discipline où elle excelle ?
Disputer le pouvoir aux civils. Et tout gâcher…
Source : Jeune Afrique