Embargo de la CEDEAO/UEMOA contre le Mali, santé du Mouvement du 5 juin-Rassemblement des forces patriotiques (M5-RFP), diplomatie malienne, etc. Le coordinateur de Espoir Malikura (EMK), Cheick Oumar Sissoko, l’un des poids lourds du M5-RFP, a, dans cette interview, le samedi 29 janvier 2022, au siège du mouvement EMK à Magnambougou, dit tout sans détours…
Mali-Horizon: Depuis le 9 janvier, le Mali est sous sanctions de la CEDEAO et de l’UEMOA. Quel est votre avis sur la question ?
Ces sanctions sont illégales. Quand on regarde le protocole de gestion de la bonne gouvernance de la démocratie dans la sous-région, le texte même de la CEDEAO. Nulle part, il n’est question de ces sanctions. Au regard de ce protocole, on vient de voir que la « CEDEAO des chefs d’Etat » a fermé les yeux sur la mauvaise gouvernance au Mali, en Guinée, en Côte d’Ivoire sur le non-respect des règles démocratiques inscrites dans nos Constitutions.
Le cas du Mali, où il n’y avait pas, comme le dit la Constitution, le respect des institutions, la justice, l’Assemblée nationale, le président de la République, le gouvernement, tout cela était entre les mains d’une seule personne. La CEDEAO a constaté en 2018, que les élections n’avaient pas été régulières. Elle avait elle-même demandé aux partis politiques de sursoir à leurs exigences qu’elle comprenait, de reconnaitre ces résultats et maintenant, de ne plus faire d’élections sans qu’on revoie les textes régissant le processus pour des élections transparentes. On a semblé oublier tout cela, pour nous dire qu’il y a une ligne rouge. Ça, c’est encore plus grave que ces sanctions d’ailleurs. Parce que la ligne rouge, c’était qu’on ne peut pas demander à un Président démocratiquement élu de démissionner. Qu’il fallait le laisser aller jusqu’en terme de son mandat Ce qui voulait dire qu’on nous demande d’accepter que la CEDEAO refuse de voir qu’un président tue, viole la Constitution, dilapide avec l’oligarchie les deniers publics, refuse de sauvegarder la patrie, parce qu’on ne donne pas les moyens aux militaires. Donc, un président peut être dans de telles situations et on ne doit pas y toucher. C’est grave! Le protocole permettait de prendre des sanctions contre le Mali, son gouvernement, son président, mais cela n’a pas été fait.
La CEDEAO que nous voulons aujourd’hui, doit pouvoir travailler à défendre tous les pays. Et à ne pas permettre le développement de telles situations. Nous sommes en guerre, il y a le covid-19. La guerre amène la misère, les massacres, vous ne faite rien par rapport à cela !
Lors d’une rencontre avec la CEDEAO, je leur ai dit, aujourd’hui c’est le Mali, le Niger et le Burkina Faso, demain les pays côtiers vont être attaqués. Parce que prendre en charge les pays sahéliens, parce qu’ils ont des ressources immenses, ils auront besoin des relations internationales des pays côtiers….
C’est le chronogramme qui constitue le principal blocage. Que proposez-vous?
Le dialogue doit continuer. Avec ce dialogue, je pense que c’est l’affirmation de notre souveraineté qui est évidente aujourd’hui avec la solidarité des Maliens. C’est pourquoi, il faut arrêter de diviser les Maliens pour que nous nous rassemblions tous autour des autorités de la transition. Même si les autorités ne s’expriment réellement pas sur leur programme politique.
Donc cinq (5) ans, c’est excessif. Mais, elles ont dit que c’est une base de discussion avec la CEDEAO. Cela veut dire que même si les autorités avaient proposé un chronogramme de 2 ans, la CEDEAO allait prendre des sanctions. Elle était prête à cela. Parce que le Mali n’est pas allé imposer, mais plutôt proposer. Toutefois, je propose aux autorités maliennes de ne pas sortir de la CEDEAO pour l’esprit panafricain. Mais de préparer la voie de recours pour sortir de l’UEMOA et de bâtir notre propre monnaie.
L’Etat malien a demandé le retrait des forces spéciales danoises de la mission européenne Takuba. Et le ton se durcit entre le Mali et des partenaires…Votre commentaire ?
La diplomatie malienne est en train de reprendre du poils de la bête. Elle est en train de s’affirmer dans le sens de la défense de notre souveraineté et de l’intérêt du Mali. L’affaire du contingent danois, du vol de l’aéronef français et la demande de révision de l’accord de défense avec la France, le choix d’autres partenaires sont des illustrations. Le dernier (choix d’autres partenaires) a permis d’avoir du matériel militaire que nous payons bien sûr, d’avoir des renseignements aériens sans lesquels, il n’est pas possible de faire face aux attaques. C’est ce qui manquait franchement au Mali.
Comment se porte le M5-RFP, dont un haut cadre occupe la Primature depuis plusieurs mois?
Tout le monde se pose la question aujourd’hui au M5-RFP et nous sommes inquiets. Vous savez, sans doute que je suis l’un des signataires de la lettre, qui demande tout simplement que nous nous réunissions autour des problèmes à résoudre pour donner au M5 sa force d’antan, remettre en selle ses objectifs et participer au renforcement de la transition dans le cadre du soutien aux autorités.…
Ce document (la lettre) que nous avons envoyé, n’était pas destiné aux réseaux sociaux. Nous avons déposé la lettre physique auprès du président par intérim du Comité stratégique du M5-RFP, Boubacar Karamoko Traoré. Nous avons été surpris de voir cela sur les réseaux. Alors donc, nous attendons.
Je ne sais pas si vous avez vu sur les réseaux sociaux, les insultes à l’endroit de Me Mountaga Tall. Ils ne sont pas à leur première. Toute personne qui ose émettre une idée, je ne dis pas une critique, sur la transition, qui n’est pas le fait du PM, qui est notre choix à la primature, se fait insulter, matraqué par ce que j’appelle moi « les chiens méchants ».
Qui sont les auteurs de ces insultes, avez-vous une idée de leurs identités ?
Mais c’est de cela que nous voulons discuter au niveau du Comité stratégique. Voir quelles sont les entraves à l’épanouissement du M5 ? Quelles sont les entraves à la plus grande contribution du M5 à la réussite de la Transition ? Le M5-RFP ne donne pas un chèque en blanc à la transition. Quand nous avons désigné le Premier ministre, en la personne du président du Comité stratégique, nous avons bien dit que nous resterons une veille citoyenne pour apporter notre contribution. Nous avons dit pour que cela soit ainsi, le PM ne peut pas rester le président du Comité stratégique. D’abord parce qu’il est aux affaires de l’Etat, il n’aura pas le temps pour travailler à l’organisation et à l’orientation du M5. Ensuite, il ne saura pas être à la veille citoyenne. Parce que la veille citoyenne, c’est dire quand ça va, on soutient, on applaudit, quand ça ne va pas on fait des observations, on fait des critiques.
Aussi, on a fait savoir que tous ceux qui sont dans l’action gouvernementale, comme les ministres, ne peuvent pas être dans le comité stratégique. Ils ont suffisamment à faire pour être dans le comité. La preuve, malgré le fait qu’on a aménagé nos réunion,, c’était les mercredis, on a décidé de les tenir les jeudis, on voit, de temps en temps, deux ministres, notamment Bakary Doumbia et Bréhima Kamena. Et le second n’était pas dans le comité stratégique.
Toute la question est là, on craint que, si nous continuons comme cela, notre grande alternative politique, crédible pourrait ne pas se réaliser. Les gens peuvent penser que c’est la mauvaise foi qui nous guide, mais on a l’habitude de cela.
Dans la lettre qui a circulé sur les réseaux, vous dénoncez la mainmise du Premier ministre sur le mouvement et son refus de changer l’instance dirigeante du M5. Est-ce qu’il y a eu une réaction de sa part?
Non, il n’y a pas eu de réaction de sa part. On a regretté que la lettre ait été diffusée. La seule réaction a été qu’on se mette à dérailler encore sur les gens surtout sur les réseaux sociaux. C’est dommage, ça ce n’est pas de la politique.
Vous êtes l’un des leaders du M5-RFP, dont la lutte a été parachevée par les militaires. Après « la rectification de la trajectoire de la transition », la primature vous a été confiée. Est-ce qu’aujourd’hui, ce pays marche selon vos attentes?
Le M5 a effectivement élaboré un document. C’était des axes de travail en dix points et dix-sept mesures. Dans ces 10 points et 17 mesures, ce qui est en train d’être fait et qui nous rassure, c’est la question de la sécurité, la question de la guerre. Nous avions en premier point demandé à s’attaquer à cette guerre et le résoudre. On n’a pas cessé de mettre l’accent là-dessus. Avec l’EMK, le PM lui-même (avant sa nomination, NDLR) avait élaboré un document de 32 pages sur la solution de sortie de crise, que nous avons intitulé « la mobilisation des Maliens contre la guerre qui nous ont imposée ». Où nous proposons que chaque cercle soit doté d’un bataillon militaire avec un recrutement de 1500 jeunes. Et nous en avons plus que jamais besoin aujourd’hui, parce qu’il ne faut pas écarter, la réaction de la France, jusqu’à une tentative de « somalisation » du Mali. Donc, les 10 points restent d’actualité et restent à détailler.
De nos jours, est-ce que vous entretenez de bonnes relations avec le Premier ministre, Dr Choguel Kokalla Maiga ?
Les relations sont bonnes. Nous, on ne va pas à l’affrontement, absolument pas. Nous soutenons la transition, nous demandons tout simplement que le M5 ait voix au chapitre. Le M5 n’a pas voix au chapitre. Le mouvement ne s’exprime plus que dans l’attente des décisions des autorités, pour être une caisse de résonnance. C’est comme un président de parti politique, qui monte au pouvoir et a une base sociale. Il demande d’applaudir à chaque fois qu’il a des choses, qui se passent. Nous, nous disons que nous applaudirons les choses effectives pour les intérêts du pays, mais nous apporterons notre contribution par nos idées, par nos réflexions. Et les Maliens savent que nous avons apporté des idées, des réflexions. Nous avons été cette expression politique du mouvement, qui s’est enclenché dans le pays.
Alors, vous soutenez la transition. Est-ce que cela veut dire que vous soutenez les discours va-t-en-guerre du Premier ministre?
Il n’y a pas eu ce débat au niveau du Comité stratégique du M5 RFP, justement parce qu’il n’y a pas de débat. Puisqu’on refuse toute note discordante, c’est cela qu’on veut. Mais si vous me demander en tant que EMK, oui nous reconnaissons les autorités, mais aujourd’hui, nous avons besoin de rassembler tout le monde. A quoi cela sert-il de stigmatiser des membres, même des groupes politiques qui sont dans le M5. On m’a stigmatisé, quand il dit que moi et Aliou Sangaré de EMK, nous avions en projet de rééditer ce qui a été fait en 1991, envoyé les enfants à la mort…
Interview réalisée par
Lamine BAGAYOGO