Agence Ecofin) – Quelques heures après le lancement du Discop Abidjan, nous avons rencontré Patrick Zuchowicki, le PDG de Basic Lead qui organise ce salon africain de l’audiovisuel. Il nous parle de la professionnalisation des échanges entre les producteurs de contenu africains et les acheteurs, de la valeur actuelle du contenu audiovisuel africain à l’international et de ses attentes pour cette édition du Discop Abidjan.
Agence Ecofin : qu’avez-vous pensé des premières heures de cette édition du Discop Abidjan ?
Patrick Zuchowicki : On observe clairement une professionnalisation des échanges entre acheteurs et producteurs indépendants. Les producteurs créent désormais des contenus qui sont beaucoup plus adaptés aux besoins des acheteurs. Le contenu est désormais moins fait sans considération des marchés extérieurs à l’Afrique francophone. Il est clairement formaté pour être plus exportable. C’est très important parce qu’on sent qu’il y a de moins en moins de tourisme. Au fil des différents Discop nous avons vu des progrès au niveau du nombre et de la qualité des contenus. Les acheteurs viennent désormais avec des budgets, des critères et des objectifs clairs concernant ce qu’ils recherchent. Les échanges se sont réellement professionnalisés. Ce qui est flagrant, c’est que le contenu «made in Africa», tout le monde en réclame. Ça c’est important parce que ce que nous essayons de faire, c’est de créer un marché intra-africain.
AE : Aujourd’hui, à l’ouverture du Discop, les acteurs du secteur ivoirien de l’audiovisuel se sont réunis pour donner une orientation à son avenir. Que cette rencontre, à laquelle était présente le ministre ivoirien de la communication, se déroule au Discop Abidjan était très symbolique. Est-ce qu’on peut dire que l’évènement est à l’origine de la professionnalisation du secteur ?
Patrick Zuchowicki : Très humblement, je ne peux pas affirmer cela. Nous avons essayé de soutenir au mieux cette dynamique lorsqu’elle est née. Nous avons apporté notre pierre à l’édifice en créant un lieu de rencontre et en mettant en place le Discop Club, notre plateforme connectée qui permet aux acheteurs d’accéder au contenu créé sur le continent et de discuter avec les producteurs. Cela permet même d’inclure les acheteurs qui ne sont pas présents au Discop. Leur absence physique ne veut pas dire qu’ils ne sont pas présents sur le marché et nous ne voulons pas les exclure. Au final, nous avons accompagné, comme beaucoup d’autres acteurs, la dynamique actuelle grâce aux moyens à notre disposition.
AE : Vous avez évoqué des moyens pour inclure les absents. Justement, à ce propos, envisagez-vous de déplacer l’évènement vers plus de pays africains pour permettre de le rapprocher d’autres acteurs de la sous-région qui n’arrivent pas à y participer ?
Patrick Zuchowicki : Idéalement, oui, nous aimerions nous rapprocher physiquement des autres acteurs qui n’arrivent pas à être présents. Mais, c’est un évènement difficile à organiser, d’autant plus que nous avons décidé depuis 2 ans de ne plus recevoir de soutien financier. Nous sommes donc obligés de calibrer le Discop en fonction de nos bénéfices commerciaux. Nous avons déjà déplacé notre évènement vers des pays comme le Ghana, le Kenya, le Sénégal, l’Afrique du Sud et le Nigeria. Nous savons que se déplacer a un sens, mais à un moment donné, c’est aussi un peu compliqué. Nous avons pris nos repères ici (en Côte d’Ivoire; ndlr) et Abidjan reste de loin une vrai capitale régionale dans la création et la production de contenu audiovisuel. Notre rôle c’est aussi d’être présents ici, et avec tout le respect que je dois aux pays voisins, c’est ici que nous pouvons réunir le maximum de participants en Afrique de l’Ouest. Mais, je dis ça tout en n’excluant pas entièrement la possibilité de se déplacer. Rien n’est définitif.
AE : Vous l’avez souligné, le contenu africain est de plus en plus attractif, au plan local, mais également en dehors du continent. Selon vous, qu’est-ce qui fait que le contenu «made in Africa» suscite aujourd’hui un tel engouement hors des frontières africaines ?
Patrick Zuchowicki : Indépendamment des questions culturelles, il est mieux formaté et se prête mieux à l’exportation. Il se raffine. Les histoires restent les mêmes, mais le produit final se raffine clairement. Il circule donc de mieux en mieux.
AE : Pensez-vous donc que le contenu produit en Afrique pourra bientôt rivaliser avec ses concurrents chinois et indiens par exemple ?
Patrick Zuchowicki : C’est déjà le cas sur le continent. Le contenu produit en Afrique prend de plus en plus de cases dans les programmes audiovisuels diffusés sur le continent. Il n’y a que 24h dans une journée, il y a donc forcément des programmes étrangers qui perdent ces cases. Aujourd’hui, le contenu africain dévore les cases des contenus non-africains.
AE : Pensez-vous que les contenus africains peuvent également s’imposer face aux contenus étrangers hors du continent ?
Patrick Zuchowicki : Il n’y a pas de loi. C’est une question de talent, un petit peu de mode et aussi une question d’agressivité. Il faut que les producteurs de contenu commencent par s’imposer en Afrique. En Afrique subsaharienne par exemple, il y a 49 pays. Cela fait pour n’importe quel producteur basé dans cette région 48 marchés à conquérir. Évidemment, ils ne sont pas tous développés de la même manière. Ils le sont, par contre, suffisamment pour mériter qu’on s’y intéresse. C’est pour ça que nous faisons de nombreux efforts lors du Discop pour mettre en avant le potentiel du marché intra-africain et aussi de l’Afrique francophone subsaharienne. Comme le dit souvent un ami, quand les gens parlent de l’Amérique, on évoque le nord et le sud. L’Afrique francophone subsaharienne, c’est particulier. C’est un marché commun de la culture, un environnement des affaires commun. C’est un marché qui regorge de talents, dont les chiffres vont beaucoup évoluer dans le futur et qui doit devenir autosuffisant.
AE : Dès l’annonce de l’événement, et aujourd’hui à son lancement, l’un des principaux thèmes abordés a été la place des femmes dans le secteur des médias et de la communication. Est-ce qu’il y avait une raison importante de mettre cette thématique en avant ?
Patrick Zuchowicki : La parité entre hommes et femmes est aujourd’hui un sujet universel. Nous avions organisé l’année dernière une conférence sur la place des femmes dans le secteur des médias et ça avait été très bien accueilli. On a décidé de recommencer et l’année prochaine on en fera une longue journée de discussion puisque que notre objectif avec le Discop est de créer à Abidjan une semaine, ou une dizaine de jours, dédiés au divertissement audiovisuel avec un pendant business, avec plusieurs salons et conférences comme le sommet du film d’Abidjan, organisé hier par la RTI, et des sujets grands publics comme la place des femmes dans les médias. L’idée, l’année prochaine, c’est d’essayer de faire une journée dédiée à ce sujet et plus généralement d’avoir un évènement plus important pour donner aux acteurs qui ne viennent pas au Discop plus de raisons de le faire.
AE : Le Discop a, au fil des années, focalisé l’attention de la plupart des professionnels de l’audiovisuel à l’échelle continentale. Est-ce que du côté des autorités, notamment ivoiriennes, vous sentez un engouement particulier pour le secteur ?
Patrick Zuchowicki : Bien sûr, et cela depuis le premier jour. Le ministère de la communication est un partenaire depuis des années. Nous avons eu l’occasion de travailler avec 3 ministres différents. Les 3 premières années ils ont notamment offert un accueil formidable. Après nous avons fait le choix de ne pas dépendre des subventions pour être totalement indépendants. Cela permet d’ailleurs que toutes les aides aillent vers les acteurs du secteur et accompagnent également la formation de ses professionnels. Mais les autorités sont toujours disponibles pour nous aider.
AE : Chaque année, il y a un sous-secteur qui se distingue particulièrement des autres. Cette année, lesquels voyez-vous être mis en avant ?
Patrick Zuchowicki : Je pense que l’animation et le passage de la TNT prendront beaucoup de place dans les débats cette année.