La prolifération des partis politiques a beaucoup suscité le débat sur le
multipartisme intégral ces dernières années. Alors faut-il profiter de sa
relecture pour le bannir dans la nouvelle Charte en gestation ? La
question a toujours divisé la classe politique et les experts. Et il ne faut
pas s’attendre aujourd’hui à un consensus. Et pourtant, tous les acteurs
(qu’ils le disent expressément ou non) sont conscients que la
prolifération des chapelles politiques est en train de fragiliser notre
processus de démocratisation.
«Nous avons près de 300 partis politiques, mais on ne peut pas avoir 300
projets de société pour le Mali. Il s’agit donc de durcir les conditions de
création des nouveaux partis politiques» ! Telle était la proposition faite, il y a
quelques années, par un expert par rapport au débat sur la limitation du
nombre des partis politiques. «Les partis politiques demeurent importants,
mais ce qui est difficile à comprendre, c’est surtout d’avoir une pléthore de
partis politiques qui vivent généralement du financement public», a déploré cet
universitaire. Aujourd’hui, la question refait surface à l’occasion du processus
de la relecture de la loi N°05-047 du 18 août 2005 portant Charte des partis
politiques.
Les avis sont naturellement partagés sur la nécessité de mettre fin au
multipartisme intégral. «Comme tous les Maliens, j’estime que le nombre de
partis devrait être beaucoup moins élevé que le nombre comptabilisé ce jour»,
a une fois déclaré l’ancien Premier ministre et président d’honneur du parti
Yèlèma (le Changement), Moussa Mara, dans un débat sur la question. Et il
avait suggéré le retrait du récépissé aux partis qui ne prennent pas part aux
élections. Et il y aurait au moins 200 formations politiques dans cette situation.
Certains acteurs politiques ont aussi suggéré la dissolution de tout parti qui
n’est pas présent sur au moins les 2/3 du territoire. Cela d’autant plus que,
dans pareille situation, aucune entité politique ne peut conquérir et exercer le
pouvoir qui est l’essence de son existence. «En adoptant cette règle, on aurait
moins de 20 partis dans notre pays, ce qui correspond à la réalité effective»,
avait estimé l’ancien chef de gouvernement.
Si à la même époque le président du Congrès national d’initiative
démocratique-Faso Yiriwa Ton (CNID-FYT), Me Mountaga Tall, pensait que
«la situation actuelle est dommageable pour les citoyens, l’état et la classe
politique» ; il n’était favorable à la remise en cause du principe du
multipartisme intégral qui est un «acquis démocratique extrêmement
important». Un principe n’est pas en cause, selon lui, mais l’usage qui en a été
fait. «Dès que la constitution a fini d’affirmer le principe du multipartisme
intégral, elle a dit que celui-ci s’exerce dans le cadre des lois. Donc, ce sont
les lois qu’il faut visiter, aujourd’hui», avait-il préconisé.
Cette figure emblématique du Mouvement démocratique avait alors proposé
de trouver, sur la base d’une concertation élargie avec l’ensemble des forces
politiques et institutionnelles, les textes permettant aux partis d’exister, de
s’exprimer, mais de façon représentative et à apporter un plus à la vie
démocratique de notre pays. Il était aussi d’avis qu’il faut rendre drastique
l’accès au financement public des partis politiques et l’usage que l’on fait de
ces fonds. «On ne peut pas créer un parti juste pour bénéficier de fonds
publics que l’on utilise pour soi», avait martelé le président du Cnid.
«J’estime que la solution n’est pas la réduction du nombre de partis politiques,
parce qu’en voulant les réduire, on crée d’autres polémiques… Il faut renvoyer
les partis politiques à leur mission fondamentale, c’est-à-dire la formation
politique des citoyens sur leurs droits politiques quitte à maintenir évidemment
le financement des partis politiques, mais conditionné à la réalisation d’un
certain nombre d’activités citoyennes», a préconisé le politologue Ballan
Diakité lors de ce même débat sur «Studio Tamani».
Pour Yaya Sangaré, Secrétaire général de l’Adéma-Pasj, «on pourrait dire
qu’il avait raison car, après plus de trente ans de pratiques démocratiques
multipartites, notre pays traverse une période de crise, un moment
d’incertitude et d’imprévisibilité, surtout un moment couvant notre incapacité à
légitimer les partis politiques aux yeux des citoyens», a-t-il ajouté. Toutefois,
prévient M. Sangaré, «vouloir réduire leur nombre et supprimer leur
financement public reviendrait à déplacer le problème plutôt qu’à le résoudre.
Il suffirait de renforcer et d’appliquer les textes d’encadrement, notamment la
Charte des partis politiques, pour assainir drastiquement les espaces
d’expression politique sans entrer dans une logique de restriction des droits et
des libertés garantis par la constitution de juillet 2023… Il est inopportun et
contreproductif de vouloir réduire les champs d’expression des préférences
politiques en affaiblissant les acteurs politiques et en paralysant leurs activités
et leur participation à la vie publique».
Et de suggérer, «nous devons transformer nos partis politiques en forces de
négociation et de propositions alternatives, mieux en forces d’incarnation des
Maliens dans leurs rêves et leur diversité». Et M. Sangaré de défendre, «le
multipartisme est un tremplin pour la participation à la vie publique…». Par
ailleurs, a conclu le leader politique, «il devient impérieux d’évaluer
l’application de la Charte et de la réviser pour l’adapter au contexte du
moment, sans règlement de compte contre les partis politiques classiques».
N’empêche que de nombreux experts, comme de nombreux Maliens, sont
aujourd’hui convaincus que le multipartisme est un facteur d’affaiblissement de
la démocratie malienne, d’autant plus qu’il ne se fonde aujourd’hui sur aucune
quête idéologique. L’émiettement est beaucoup plus une source de
fragilisation et non un signe de vitalité. Quels que soient les moyens d’y
procéder, ils sont nombreux à penser qu’il est temps de mettre fin
au «désordre» à ce niveau !
Moussa Bolly
diasporaction.fr