L’Ecole de maintien de la paix de Bamako a abrité du 15 au 20 février 2016 une session de formation sur le droit international des droits de l’homme, le droit international pénal et le droit des réfugiés. Une formation à laquelle a participé avec assiduité Oumou Sall Seck, une femme courageuse qui dirige la mairie de Goundam (dans la région de Tombouctou). A l’issue de cette formation, elle nous a accordé une interview. Sans langue de bois, le maire de Goundam évoque les milliers déplacés (7000 environ) que sa commune a enregistrés. Une situation qui la préoccupe : « nous sommes aujourd’hui face à une situation très sérieuse et critique ». Lisez notre interview!
Le Républicain : Qu’est ce qui vous a motivé à suivre cette formation et qu’allez-vous en faire ?
Oumou Sall Seck : Ma première motivation est celle liée à mes fonctions, l’élue locale, donc gestionnaire de proximité. Cette fonction est transversale et traite de tout. Nous recevons toutes les plaintes de nos populations qu’elles soient solides ou pas, qu’elles soient en relation avec nos prérogatives en tant qu’élue ou pas. Pour le citoyen, le premier recours, c’est son maire. La deuxième motivation est que je suis dans une zone où l’insécurité au Mali a commencé et je gère une population victime des groupes armés, des groupes terroristes. Chaque jour, il y a des attaques à mains armées où les femmes, les jeunes et les enfants sont exposées. La troisième motivation, c’est qu’après la signature de l’accord, nous sommes en train de chercher une porte de sortie honorable où les victimes attendent que justice soit faite, attendent des réparations et souhaitent dans l’ensemble le retour de l’Etat pour qu’ils puissent jouir de leurs droits élémentaires : la sécurité, l’accès à l’eau, à l’école et à l’éducation.
Quels sont les cas d’atteintes que vous avez relevés dans votre commune ?
C’est là ma quatrième motivation que j’allais souligner ; des femmes ont été violées, volées, impuissantes, d’autres ont pu sortir, elles sont devenues des déplacés. Dans ma commune aujourd’hui, j’ai plus de 7000 déplacés qui ont quitté leurs villages, leurs fractions pour venir à Goundam ville pour être sous la protection des Fama (Force armée malienne) et de la Minusma (Mission multidimensionnelle intégrée des Nations Unies pour la stabilisation au Mali) mais aussi sous notre protection. Non seulement, ils sont agressés, mais ils sont aussi délaissés. Ils sont dans une zone où les humanitaires n’ont pas la possibilité de se rendre souvent du fait que le lieu est désenclavé.
Quelle a été votre implication pour trouver une solution ?
Le conflit entre les différents groupes, Cma (Coordination des mouvements de l’Azawad) et la Plateforme a occasionné des prisonniers au niveau de Bitangoungoun. En tant que fille de ce terroir, fruit de cette diversité culturelle, donc ayant des relations de parenté de part et d’autre, j’ai pu avec d’autres aînés entamer une sensibilisation en mettant en avant nos liens parentaux. Et c’est ce qui nous a permis d’obtenir la libération de dix otages au niveau de Ber (Ndlr, non loin de Tombouctou) des mains de la Cma. C’est pour vous dire que cette formation est capitale pour moi car elle me permettra de mieux exercer mes fonctions tout en répondant ou en orientant la population.
Situation du pays oblige, en tant que maire de Goundam, quelle analyse faite vous sur la situation générale (sécuritaire, politique, économique et même culturelle) du pays ?
C’est vrai que nous sommes aujourd’hui face à une situation très sérieuse et même critique. Que ça soit sur le plan politique, culturel et économique, la situation n’est pas celle que nous avons souhaitée.
Que dire du rôle du gouvernement, de l’armée malienne …?
Le gouvernement est l’un des quatre signataires de l’accord. Le gouvernement a des responsabilités et a un rôle à jouer et commence à jouer son rôle… il y a eu des progrès. Mais on pouvait mieux avoir si chacun joue sincèrement son rôle parce qu’il n’y a pas que le gouvernement. C’est vrai que face à cette situation, le premier qu’on indexe, c’est le gouvernement. Le gouvernement doit sécuriser ses populations et répondre à leurs besoins élémentaires sur le plan économique.
Mais, il y a des zones qui échappent au gouvernement…
Il y a malheureusement la communauté internationale qui a un rôle important à jouer, qui militairement est présente chez nous. Elle est dans les zones du nord et qui a beaucoup de moyens que l’Etat et en conséquence doit aider l’Etat dans le maintien de l’ordre. Elle doit aussi aider l’Etat à se déployer sur le terrain tout en ne mettant pas de côté les belligérants qui ont signé (Ndlr l’accord de paix de 20 juin 2015). Ces belligérants ont aujourd’hui une lourde responsabilité. Pour moi, dans les zones où l’Etat n’existe pas, ce sont eux qui doivent sécuriser la population, non seulement ne pas toucher aux populations mais empêcher d’autres de les agresser. Pour moi, les responsabilités sont partagées mais la grande responsabilité revient à l’Etat…
… Notre rôle, c’est d’alerter et de faire des plaidoyers et de participer à la réflexion étant donné que nous connaissons le terrain, que nous vivons le quotidien de nos citoyens, nous pouvons orienter le gouvernement ou l’interpeller sur ces questions. Le gouvernement doit faire vite et très vite pour résoudre ces problèmes.
Quel message avez-vous à l’endroit des Maliens ?
Je souhaite que le Mali retrouve son visage d’antan. Que tous les Maliens puissent se retrouver, coordonner sur l’essentiel qui est la sécurité, le bien être économique de nos populations. L’essentiel doit prendre le pas sur ce qui nous divise. C’est cet appel que je lance à l’ensemble des Maliens qu’ils soient d’un parti politique ou de la société civile. Le temps n’est plus aux divergences mais à la construction. Et la construction ne peut pas se faire dans la divergence. Nous sommes obligés si nous aimons notre pays, si nous nous aimons nous-mêmes, de composer pour sortir le pays de l’impasse.
Réalisé par Aguibou Sogodogo