Tombouctou, vendredi 25 novembre : ce jour saint se présente pour la cité religieuse comme un jour ordinaire. A partir de midi, tout s’arrête. Les fidèles affluent dans les mosquées et accomplissent leur devoir religieux. Sans imaginer un seul instant que la quiétude de la ville allait être troublée par un acte de terrorisme. Et c’est ce qui arriva, quelques minutes après la prière du zouhr, plus précisément entre 14 heures et 15 heures.
En ce moment, une quinzaine de touristes de différentes nationalités étaient à l’auberge Alafia, non loin du monument de la paix.
Alors que certains d’entre eux faisaient la sieste dans leurs chambres, cinq touristes étaient dans la cour de l’auberge : un Allemand (Martin Eugène, né en 1956), deux Néerlandais (Jacobus Nicolas et son épouse Kesly), un Suédois (Gustaff Ilss, né en 1975), un Anglo-sud Africain (Gown Steehn, né en 1975).
Selon des sources policières contactées par L’Aube à Tombouctou, les touristes furent surpris par les assaillants. Sous la menace des armes, les otages sont embarqués dans deux véhicules stationnés à la porte de l’auberge.
Mais, le touriste allemand, Martin Eugen (c’est son nom), refusa de monter dans le véhicule. Il sera criblé de balles par les ravisseurs. Son corps est resté à l’endroit où il a été abattu, jusqu’à l’arrivée de la police.
Quant à la seule dame du groupe, Kesly, elle a réussi à se cacher à l’arrivée des terroristes. Mais son mari, Jacobus, est parmi les otages.
Toute l’opération, selon nos sources, se serait déroulée en l’espace de quelques minutes. Ce qui prouve que le rapt a été minutieusement préparé et exécuté par des gens bien renseignés. La preuve, le groupe de touristes est arrivé à Tombouctou seulement la veille (le jeudi 24 novembre).
Après le coup, c’est le gérant de l’auberge, qui donna l’alerte. Il informe la police de Tombouctou. Le commissaire Mamadou Sylla et ses hommes se rendent sur les lieux. Et constatent la mort de Martin Eugen, gisant dans une marre de sang.
Les pistes possibles…
La première piste concernant cette affaire est évidemment celle de la branche Al Qaïda pour le Maghreb islamique (Aqmi). En effet, cette organisation est passée maîtresse dans l’art du kidnapping. Elle détient déjà quatre otages français, enlevés au Niger en 2010.
Mais Aqmi, contrairement aux affirmations des médias français, n’a jamais (directement) perpétré de rapt au Mali. Le seul otage enlevé jusqu’ici dans le Nord-Mali est Pierre Camatte, qui en réalité travaillait pour les services secrets français. Ce Français enlevé en 2009 à Ménaka par des sous-traitants a été finalement cédé (comme une marchandise) à l’organisation salafiste. Et du coup, une autre piste est envisagée pour ce qui concerne le rapt opéré à Tombouctou…
Deuxième piste : celle de sous-traitants. Alors question : le rapt du vendredi est-il l’œuvre de gens organisés et qui traitent avec Aqmi ? Possible. En effet, depuis quelques temps, des groupes armés ou des bandes se livrent à…un commerce qui leur rapporte gros. Ils kidnappent, puis vendent leurs otages à Aqmi. Qui revendique après et pose ses revendications.
Ainsi, à plusieurs reprises, Aqmi, s’est retrouvée avec des otages, sans avoir participé directement aux différents rapts d’Occidentaux dans le Sahel.
Troisième piste : c’est celle de Iyad Ag Ghaly. En effet, il a été le détonateur des deux rebellions, au nord du Mali : celles de 1990 et 2006. Il y a quelque jours, il a rejoint les soldats libyo-maliens retranchés dans les montagnes de Kidal. Iyad est même sur le point de déclencher une troisième rébellion, à la tête d’un groupe revenu de la Libye.
Selon certaines sources, dans sa tentative de déstabilisation, Iyad jouerait actuellement sur deux cordes. Dans un premier temps, il fait croire aux Occidentaux que l’Etat malien n’est pas en mesure d’assurer leur sécurité au nord. Alors, en complicité avec Aqmi, il pourrait bien être inspiré par les rapts d’Occidentaux. Histoire de mettre les autorités maliennes en difficulté.
Mais au même moment, Iyad tient un autre discours à Kidal. Il ne fait guère mystère de son appartenance au salafisme et il aurait même noué des liens avec certains chefs d’Aqmi. En même temps, il aurait démarché des chefs de fraction de Kidal, pour les inciter à la révolte. Il leur promet simplement la « création d’un Etat islamique » regroupant les trois régions du nord : Tombouctou, Gao et Kidal.
Ainsi, pour certaines sources, les deux rapts, commis à Hombori le 24 novembre et Tombouctou le 25 novembre, portent la signature de cet homme, Iyad Ag Ghaly.
Ces enlèvements, selon les mêmes sources, pourraient s’accompagner d’autres actions d’envergure, comme l’attaque de garnisons militaires ou les embuscades sur les axes routiers.
Place à la fermeté
Pour les autorités maliennes, cette affaire arrive au mauvais moment. En effet, l’enlèvement de ces touristes intervient dans un contexte où l’Etat malien est préoccupé par la situation née du retour des soldats libyens d’origine malienne. Certains d’entre eux menacent l’intégrité du territoire national.
Elle intervient aussi après les multiples démarches entreprises par les autorités pour le retour des touristes dans certaines villes du Mali. Le chef de l’Etat, Amadou Toumani Touré a, à plusieurs reprises, lancé des appels dans ce sens, ici au Mali et à l’extérieur.
Pour toutes ces raisons et face aux menaces, les autorités maliennes estiment que cet enlèvement de Tombouctou, constitue un acte de guerre et une atteinte à la sûreté intérieure de l’Etat. Et dès le jour de l’enlèvement, des instructions ont été données aux forces armées et de sécurité, pour rechercher les auteurs de ces actes.
CH. Sylla
L’Aube 29/11/2011