Un ancien Président de la République déclarait il y a quelques années «l’or doit briller pour tous les Maliens». A défaut de briller, il devient de plus en plus évident que l’or est plutôt en train de polluer tous les Maliens, ainsi que la faune et la flore de notre pays, hypothéquant réellement notre avenir, que dis-je, notre survie elle-même.
Ce ne sont pas les habitants de Farabacoura, dans la Commune rurale de Tagandougou, qui diront le contraire. Non contents d’être envahis par une masse d’orpailleurs venant de nombreux pays limitrophes, surtout du Burkina Faso et de la Guinée Conakry, attirés par cette nouvelle ruée vers l’or, ils vivent dans l’insalubrité la plus totale désormais.
Et pour cause! Il suffit de 2500 francs pour être autorisé à «faire son trou» et rêver de devenir riche à Farabacoura, somme à remettre aux autorités traditionnelles. Mais un autre marché s’est développé, qui permet à des décideurs locaux et à certains fonctionnaires de profiter de cette manne sans suer une seule goutte, à cause de la corruption, que dénoncent nombre de ressortissants de la localité. En somme, on autorise, parce qu’on y gagne gros, les orpailleurs à assassiner en silence humains et animaux, à détruire irrémédiablement l’environnement et à créer les germes d’une confrontation violente entre autochtones et allogènes.
Après le décès suspect de trois habitants, précédé de la mort inexpliquée de nombreux poissons dans les affluents du Sankarani que sont le Banakoro Ko et le Ko Boroni, des ressortissants de la Commune rurale de Tagandougou ont alerté les membres de la Commission Gestion des Eaux de la retenue de Sélingué sur les conséquences dramatiques de l’utilisation de produits toxiques par les orpailleurs, le 8 août 2012. La décision fut donc prise de diligenter urgemment une mission sur le terrain, chose assez rare dans nos contrées pour être relevée.
Des agents de la Direction nationale de l’assainissement et du contrôle de la pollution et des nuisances (DNACPN), de la Direction nationale de la Santé (DNS) et du Laboratoire national des eaux (LNE) furent commis à faire leur travail, à savoir se rendre sur le site et effectuer des prélèvements d’échantillons d’eaux pour analyse. Après des prises de contact avec les autorités administratives et communales, la mission mènera à bien ses activités, dont le déroulement et les constats font l’objet d’un rapport très instructif daté d’août 2012. Primo, la mission révèle qu’à part un poste de garde de la Gendarmerie (que les habitants que nous avons rencontrés considèrent comme favorable aux orpailleurs burkinabè, corruptible et habitué des pratiques d’intimidation des récalcitrants), aucune «structure technique» n’encadre les activités d’orpaillage dans la localité.
Secundo, deux méthodes, tout aussi dangereuses l’une que l’autre, sont utilisées pour séparer l’or des minerais obtenus par creusement des puits (les daman). La 1ère consiste à laver les minerais avec de l’eau additionnée de mercure et la seconde à creuser des bassins de décantation pour traiter les «boues rejetées par la 1ère technique avec du cyanure, du zinc et de l’acide nitrique», avant de récupérer l’or ainsi extrait après filtration. D’où de forts risques de contamination des «cours d’eau, d’empoisonnement de la faune aquatique», dans un cas et la mort par asphyxie que peut entrainer «l’exposition des nappes aux risques de pollutions chimiques».
Venons-en maintenant aux résultats des analyses des échantillons d’eau prélevés sur 4 sites, 2 avec traitement au cyanure et 2 avec traitement au mercure, en regrettant fortement que l’analyse de deux derniers ne puisse être effectuée dans notre pays. Les valeurs pour le cyanure sont, tenez-vous bien, de 42,75 mg/l pour un site du 1er groupe et de 36,75 mg/l pour l’autre. La norme internationale prescrite par l’OMS est de 0,07mg/l de cyanure pour l’eau de boisson. Dans le 1er cas, la valeur est donc 610 fois supérieure à la norme et dans le 2ème, 525 fois.
Selon le Center for Diseases Control d’Atlanta, la référence en la matière, «le cyanure d’hydrogène, sous le nom de Zyklon B, fut utilisé comme agent génocide par les Allemands pendant la seconde guerre mondiale. On peut être exposé au cyanure en respirant de l’air, en buvant de l’eau, en mangeant des aliments ou en touchant de la terre, si ces derniers en contiennent, car il pénètre dans l’eau, le sol ou l’air par suite de processus naturels et d’activités industrielles».
On peut donc même s’étonner que l’on n’ait pas déjà eu à déplorer plus de morts! La recommandation de la mission d’interdire aux orpailleurs l’usage du cyanure fut confirmée par un courrier de la Directrice nationale de l’Hydraulique à son homologue de l’Assainissement et du contrôle des pollutions et des nuisances, lui demandant «vivement de prendre les mesures urgentes et appropriées pour, d’une part, interdire l’utilisation de produits dangereux comme le mercure et les cyanures dans le traitement de l’or dans la zone et, d’autre part, traiter les eaux usées existantes contenant des cyanures et du mercure afin de protéger les ressources en eau contre toute contamination et préserver la vie des populations».
Aujourd’hui, on oscille toujours localement entre interdiction relative et laxisme bienveillant, sinon monnayé, alors que l’extraction a pris une ampleur démesurée, des bennes charriant désormais les boues vers les bassins de décantation. Les structures dont relèvent les agents qui ont mené cette mission ont fait leur travail, fort bien d’ailleurs. Où se situe donc le blocage? Les autorités régionales ou locales ont-elles plus de pouvoir que les services techniques de l’Etat?
Il serait bienvenu que les ministres de l’Environnement et de l’Assainissement, des Mines, de la Santé, du Développement Rural, de la Justice et de l’Administration Territoriale se coordonnent pour mener une enquête conjointe exemplaire sur ce qui se passe à Farabacoura, comme dans de nombreuses autres localités et régions du Mali, afin de sévir durement contre ceux qui ont failli et mettre fin à cette tuerie silencieuse, pourtant dénoncée maintes fois par ses premières victimes.
La mise en œuvre d’une politique emblématique de retour de l’Etat, pour rompre avec la léthargie d’antan, pourrait aisément démarrer à Tagandougou, où il s’agit tout simplement de faire respecter la loi, en préservant les droits fondamentaux des riverains et de tous les autres Maliens à la santé, à l’alimentation, à un environnement sain et durable et à la justice. Car un affluent du Sankarani aura toujours tôt ou tard un impact, si minime soit-il, sur le Djoliba! A suivre.
Ramata Diaouré
Le 22 Septembre 2013 2013-10-27 22:47:32