Euphorie des défenseurs des nouveaux droits, ceux édictés par les sommets du Caire en 1994 et de Beijing en 1995, l’ancien et le nouveau testaments de la société unisex. Mais courte euphorie. Le pays ne s’est pas révolutionné. Mené par un Haut Conseil Islamique sur les dents, les forces conservatrices s’insurgent contre le projet de code. Le spectre de la colère est large. Il comprend les révolutionnaires progressistes comme Mohamed Tabouré et Victor Sy qui fustigent « la capitulation de l’Exécutif malien » devant les conditionnalités de l’Occident. On peut y recenser, également, des universitaires choqués par un projet qui n’a pas pris le temps de vérifier sa conformité avec les valeurs sociétales du pays.
Boum boum et ping-pong
Même les femmes ne comprennent pas qu’on les insulte ainsi, car la contre-communication des conservateurs, de Bamako à Tombouctou, en passant par Kayes et Ségou, prête au projet de code d’inciter à la débauche. Mais les opposants les plus déterminés se recrutent dans les organisations islamiques. Président du Hci, l’Imam Mahmoud Dicko en tête, elles battent la pavé, se répandent dans la presse et montrent les muscles. Elles exigent le retrait pur et simple du code. Même le Cherif de Nioro rapplique à Bamako pour obtenir l’abandon du code. Dans un meeting de protestation sans précédent dans la capitale, le front islamique remplit le stade du 26 mars comme un œuf et fait savoir que toute promulgation de cette loi équivaudrait à une déclaration de guerre.
Att n’a qu’une issue : renvoyer le code en seconde lecture. Ce qu’il fit immédiatement, clouant le bec à ses collaborateurs qui penchaient pour la promulgation, par cette formule profonde « je n’ai pas vu marcher les partisans du code ». Début août, avec la mention « seconde lecture », le projet atterrit sur la table de Dioncounda Traoré, président de l’Assemblée nationale. Avec l’embarras qu’il suscite.
Et dans une ambiance survoltée car jamais les députés n’avaient été auparavant pris à partie dans les mosquées, dans les rues et dans les ménages hostiles au projet. Le sort du projet était alors clair, même pour les observateurs les plus perspicaces : l’Assemblée ne commettra pas le suicide de revoter ce texte. On va jusqu’à prédire la forme des obsèques : différer les débats de session en session jusqu’à la fin de la législature. L’Exécutif n’y aurait pas d’inconvénient majeur. Il pouvait toujours invoquer la mollesse du parlement. C’était sans compter avec la mouche qui a piqué le président du Parlement. Pour lui, hors de question de laisser le projet en plan. D’ailleurs, la lettre du président l’invite à une relecture consensuelle du texte. Il faut donc qu’il s’entende avec le Haut Conseil pour lequel l’exigence d’un nouveau code n’est pas négociable, non plus.
Une détermination signée Dioncounda
La machine se met en branle. Un Point focal : la présidente de la Commission des Lois dont le manque de ferveur aura été tout de même déplorée. Et deux chevilles ouvrières : Me Mountaga Tall et Me Amidou Diabaté. L’un avait dès 1994 appelé à la légalisation du mariage religieux et l’autre appartient à un parti qui dès 2002 a inscrit à son programme de campagne la nécessité de valoriser l’enseignement islamique. Comme Dioncounda Traoré lui-même, ils ont pourtant plébiscité le projet querellé par le Hci. Qu’importe ! Un an et demi plus tard, le code relu est voté. De surcroît un vendredi. Avec une concession : le mariage religieux peut-être légalisé. Et quelques compromis : le mari reste le chef de famille, l’héritage est régi par la coutume sauf autrement disposé, de dix-huit ans, l’âge du mariage pour la fille est revu à 16 ans. Et puis une dose de subtilité. Par exemple, alors que le projet combattu n’en parlait pas, le nouveau conduit à une position implicite sur l’excision et renvoie la responsabilité au corps médical de la déclarer problème de santé publique ou non, comme le fait la fatwa de l’Imam Tantawi en 1994.
Alors percée ou recul ? Un code contre nos épouses ou un code pour nos filles ? Dioncounda Traoré qui a été salué par ses collègues députés, avec une appréciation plus appuyée et plus émouvante de Ibrahim Boubakar Kéita, ne voit pas les choses en ces termes. Les sociétés avancent à leur rythme, se contente t-il de dire, le triomphe modeste. Naturellement, il est inévitable, au vu du bébé, de savoir lequel des Dioncounda a pris le dessus: le matheux réputé incollable en… calcul, y compris électoral ou l’ancien adepte du matérialisme historique qui expérimente le concept de compromis dynamique ou encore l’alchimiste convaincu que l’Afrique peut aller à la synthèse tout en restant celle « des fiers guerriers dans les savanes ancestrales ». Réponse synthétique : les trois.
Adam Thiam
Le Républicain 05/12/2011