Accusée de dépassements, l’armée française est de plus en plus indésirable au nord du Mali, singulièrement à Kidal. Qu’est ce qui explique une telle tension entre populations et la force française censée lutter contre le terrorisme ?
Loin de l’image colportée par les responsables politiques et relayée par la presse parisienne, les unités de l’armée française en poste depuis plus de quatre ans dans les régions du Nord du Mali sont de plus en plus honnies par les populations locales qui les accusent de brutalité et d’exactions systématiques.
A Kidal, principale ville du Nord-Mali, l’agence de presse française AFP a rapporté que la population a manifesté lundi, pour la troisième fois depuis vendredi, pour réclamer le départ de la force française « Barkhane » de cette ville contrôlée par d’anciens rebelles touaregs. Mais cette information n’a pas été reprise par les principaux médias français.
« Nous avons manifesté, et nous continuerons de manifester, parce que les troupes françaises doivent dégager », a déclaré l’un des organisateurs de la manifestation. « Elles n’ont rien à faire ici. Elles sont trop brutales, elles interviennent sans précaution dans des domiciles privés ».
Sur des banderoles déployées par les manifestants, on pouvait lire : « Barkhane dégage » ou encore « Quittez Kidal ». Selon des témoins, des civils ont jeté des cailloux sur les véhicules appartenant aux militaires français, obligeant les conducteurs à rouler à vive allure pour se mettre à l’abri.
Des arbres ont été brûlés et les commerces ont baissé leurs rideaux pendant ces rassemblements. Aucune réaction officielle de la part du commandement militaire français qui pilote l’opération « Barkhane », ni d’ailleurs des autorités maliennes, ce qui aggrave encore leur cas.
Cette révolte populaire contre la présence militaire française au Nord-Mali vient s’ajouter aux déconvenues successives essuyées par ces unités depuis plusieurs mois. Car les groupes terroristes ont réussi non seulement à régénérer dans les régions du Nord et à réinvestir le terrain mais, aussi, à étendre leur action à d’autres régions du pays et atteindre la capitale Bamako par des attentats meurtriers visant des édifices publics mais, aussi, des postes et des patrouilles militaires.
Cette recrudescence inquiétante du terrorisme s’est aussi étendue au Niger, autre pays censé être « couvert » par l’opération « Barkhane » où une attaque contre une patrouille militaire de l’Africom, la semaine dernière, a fait plusieurs victimes.
Inopérant
Requalifier la crise malienne selon ses paramètres maliens permet de mieux cerner les impasses du contre-terrorisme musclé, qui, s’il peut remporter des succès militaires ponctuels, ne saurait faire émerger des solutions durables à la crise.
Régulièrement, les officiers de Barkhane déplorent, avec un soupçon de condamnation morale, la « porosité sociale ou économique » entre populations, mouvements signataires des accords de paix et mouvements jihadistes. Cette porosité, qui en aucun cas ne signifie alignement politique, est pourtant un paramètre difficilement dépassable de la crise, qui met en exergue l’inanité de son traitement strictement militaire.
A quoi sert-il de sommer les populations de s’éloigner de « terroristes » qui ont les traits familiers de voisins, parents, et parfois – au prix de grandes souffrances psychologiques – de vos propres enfants ? Quel sens y a-t-il à choisir le camp étatique lorsque l’Etat est vu comme l’origine même de vos tourments ? Quelle confiance accorder à l’injonction de se distancer des terroristes émanant d’hommes surarmés, envoyés par l’ancien colonisateur, qui ne partagent ni votre langue ni votre religion ?
Les soldats français partiront bien avant les « terroristes », qui mettent continuellement sous pression les populations et n’hésitent pas à faire de quiconque collaborerait avec les « Croisés » une cible légitime. Quelle que soit la manière dont les troupes françaises se comportent sur le terrain, elles s’engagent avec les populations dans une partie intrinsèquement viciée. Et malgré des standards professionnels exigeants, elles n’évitent pas les bavures.
A. M. C. avec algeriepatriotique