Nord du Mali, Acte I : les grands dossiers secrets


En tête des signataires, un certain Mohamed Ag ERLAF, dont le domicile sied à Magnambougou, comme par hasard lieu où la réunion d’élaboration du document a été tenue.

De la Culture à l’Indépendance

Quelques jours après large publication de ce document dans la presse nationale et sur Internet, des groupes de jeunes, se réclamant justement du MNA et des idéaux diffusés dans le document de Magnambougou, descendaient dans les rues de Tombouctou et de Kidal pour revendiquer, avec drapeau à l’appui, la reconnaissance d’une entité territoriale dédiée à leur communauté. A la suite de heurts, notamment à Tombouctou, quelques manifestants furent vraisemblablement appréhendés.

Que ne fut dès lors le tollé d’une partie des cadres et intellectuels touaregs, basés à Bamako dont notamment Assadeck, le professeur de mathématiques, qui ne ménageront ni efforts et ni temps pour fustiger, dans la presse locale la féroce répression du gouvernement du régime vomi de ATT (une partie de la presse malienne, animée par des confrères du nord, est, au-delà de toute déontologie hélas, constamment acquise à ces cadres, nonobstant leurs motivations réelles).

Le régime était ainsi accusé de s’en prendre à de simples jeunes manifestants pacifiques (en oubliant que dès lors que les revendications prennent le ton d’une réclamation irrédentiste, le pacifisme disparaît, d’ailleurs, on n’en sait que trop bien la suite).

Car en effet, encouragés par le peu de réactions en face, ces manifestations de la frange de la jeunesse amazighe vont finir par annoncer la création, dans l’indifférence générale, d’un Mouvement National de Libération de l’Azawad. La mue n’étonnera personne dans le landernau politique malien, habitué aux sautes d’humeur de leaders touaregs le plus souvent ruant dans les brancards pour de juteux avantages, mais qui n’en manifestait pas moins une certaine inquiétude face à la curée occidentale sur la Libye.

Ag Erlaf et ses compagnons signataires, un moment inquiets des suites de l’initiative de Magnambougou, vont s’investir auprès de Koulouba pour gommer les aspérités d’une démarche, considérée par le Palais à la limite de l’outrecuidance. Ag Erlaf avait si peu le choix que d’autres leaders touaregs, à l’instar de Assarid Ag Imbarcaouane le second vice-président de l’Assemblée nationale depuis plus de vingt ans ou Ibrahim Ag Oumarou, unique président du Haut Conseil des Collectivités Territoriales depuis plus de 15 ans, s’étaient nettement démarqués de la fronde irrédentiste en gestation.

L’autonomie par… Ag Erlaf

Visiblement, le culot avait porté puisque du mouvement d’humeur du Colonel Najim, à propos de non respect des engagements par ATT pour de subsides financiers, au déclenchement des hostilités, le Président de la République fera de Ag Erlaf le principal et d’ailleurs l’unique négociateur au détriment du Général Kafougouna KONE (certes signataire du honni Accord d’Alger de 2005 que tout le monde s’empressait de déchirer, mais véritable vainqueur de la rébellion de 91).

Et pour cause : contrairement à ce que croit, ou feint de croire la diplomatie burkinabé à l’image de Djibril Bassolé, le Vade Me cum actuel du MNLA, où le mot qui fâche, ‘’l’indépendance’’, aurait été remplacé avec par ‘’autonomie’’, élaboré avec l’appui, semble-t-il, d’experts de la CEDEAO, n’est en réalité qu’un remake du document dont Mohamed Ag ERLAF se servait pour négocier seul avec la rébellion, MNLA d’alors avec un Iyad Ag Ghali en équipée solitaire certes, mais pas encore Ansar Eddine..

Si l’on en croit Jeune Afrique et notre jeune confrère Baba Ahmed, le document dont se prévalait Mohamed Ag Erlaf avait eu la caution de ATT. En substance, le document proposait aux rebelles une large autonomie des trois régions du nord du Mali, la mise en place d’une assemblée régionale unique commune aux trois régions, indépendante du pouvoir central de Bamako dans ses prises de décisions, dont le financement du fonctionnement et la rémunération, à l’indice de cadres de catégorie A, des mille membres devant la composer, seront néanmoins à la charge du Trésor public malien ; le déguerpissement des forces de sécurité maliennes de toutes les régions du nord ainsi que de toute l’administration, remplacée par des cadis ou juges religieux et l’application de la charia, comme source de la législation et d’administration du territoire.

Ag Erlaf négociait seul, sans l’implication d’aucune structure de l’Etat, y compris celle de l’armée malienne alors en butte aux attaques armées des partenaires aux discussions du double patron de l’ANICT et du PSPSDN. Sauf quelques visites épisodiques du Chef d’Etat Major général des armées d’alors, le Général Poudiougou, à AG Erlaf à son bureau sis à Dar Salam !

Les  rebelles refuseront cette offre unilatérale de Ag Erlaf et de ATT, tout guillerets qu’ils étaient du soutien de Alain Juppé qui saluait presque le chapeau bas ‘’les succès incontestables remportés par les touaregs sur l’armée malienne’’ (en réalité, ce sera sous peu Aguelhoc…). Toutefois, on retient de cette équipée solitaire, dans une matière aussi grave, le rôle prépondérant du même Mohamed Ag Erlaf, investi d’une confiance aveugle du Chef de l’Etat qui écarte même le Chef d’Etat Major et toute la hiérarchie militaire et administrative nationale au moment où le pays est confronté à la plus grave crise militaire depuis les indépendances. On comprend qu’ayant été à deux pour conduire cette négociation et que ATT n’étant pas une lumière en matière d’élaboration d’un tel document complexe, ce soit alors l’œuvre du seul Ag Erlaf.

Si entre-temps, le MNLA a reçu une raclée de ses ‘’amis’’ (le Mouvement a refusé le poste de Secrétaire Général à Iyad qui s’est refait une virginité salafiste avec Ansar Eddine), tout le nord du Mali, à savoir les trois régions concernées par le document de Ag Erlaf, connaît aujourd’hui exactement la même situation que celle proposée : l’application intégrale de la charia comme source de la législation et de l’administration, le déguerpissement de l’Etat, administration et forces de sécurité, l’assemblée unique de mille membres au frais de la princesse (bien dénudée aujourd’hui) en moins.

Une victoire par procuration de Mohamed Ag Erlaf, grâce à Iyad Ag Ghali son ami de toujours, un Ag Erlaf d’autant plus triomphant que, fort des attentions du Maître de Kati et de son nouveau mentor, le Colonel Sinko Coulibaly, il peut assurer avoir prédit la déculottée de l’armée malienne. En effet, lors d’une rencontre des ressortissants du nord à l’Hôtel Kempinsky, peu avant Aguelhoc et la débandade généralisée de l’armée malienne, le double patron de l’ANICT et du PSPSDN sans être pourtant un spécialiste de la question militaire mais visiblement au fait de l’état des forces, avait assuré le plus sérieusement du monde que l’armée malienne ne faisait pas le poids face à la puissance de feu de Najim et de Iyad.

Question alors de savoir comment un cadre, touareg soit-il, a-t-il pu élaborer et négocier un tel document, trahissant tout ce que ce pays qu’il proposait à l’émiettement et au sabordage, avait fait pour lui et qu’il avait revendiqué peu avant dans une rencontre avec la presse ?

L’homme de ATT et de… Sanogo

Les débats et controverses nourris autour de la question actuelle du nord omettent de signaler que justement Ag Erlaf n’est pas qu’un vil serviteur d’intérêts sordides, en l’occurrence et in fine les siens, et rien d’autres. Il est d’abord l’architecte patient d’une œuvre de démembrement de l’Etat malien, comme il ressort de la maturation du PSPSDN, de la manière dont les activités auront été conduites et de l’apport matériel (volontaire ou non de véhicules) dont bénéficiera la rébellion (un dossier sur lequel nous reviendrons en temps opportun).

Les rôles troubles de Ag Erlaf ne s’arrêteront pas là quand, aux lendemains du 22 mars, prêtant une allégeance fort sonnante et trébuchante aux nouveaux maîtres du pays, Ag Erlaf reviendra de ses multiples visites hebdomadaires à Kati (au moins trois fois par semaine et cela continue de façon constante plus de six mois après), investi de la confiance visiblement inébranlable du capitaine Sanogo, après celle tout aussi aveugle de ATT, dix ans durant. Ce qui le verra en mission très officieuse de Kati à Tombouctou qui chutera un jour après qu’Ag Erlaf eut quitté la ville des 333 Saints (des saints en démolition) et à Gao, la capitale du Gourma et des Assi Kaga (les…putschistes descendants de Mohamed Touré) qui chutera le jour du retour de Ag Erlaf en direction de Bamako. Au demeurant, que peut bien avoir rapporté Ag Erlaf à Kati, qu’il a rallié directement à son retour de Dakar où il a séjourné quelques jours après que son ancien mentor y est trouvé refuge ?

Les prébendes, toujours des prébendes

En réalité, l’irrédentisme actuel ne diffère singulièrement pas des autres mouvements récurrents du passé et seule la cécité diplomatique et les intérêts géopolitiques, parfois sordides, en font un fait aux racines historiques. En fait, il ne diffère en rien des autres quant aux motivations réelles qui animent ses principaux acteurs : les prébendes et les avantages obtenus chaque fois d’un Etat au demeurant faible qui a érigé depuis deux décennies la compromission au rang de compromis pour la tranquillité des dirigeants de l’heure.

Moussa Ag Assarid, porte-parole du MNLA s’égosille à longueur de temps et de médias bien disposés à Paris, en omettant de signaler que son oncle maternel qui l’a élevé, est actuellement Ministre des Sports au Mali, comme beaucoup de cadres touaregs l’ont toujours été depuis les premières heures de l’indépendance de ce pays. Sa propension à nier les faits va jusqu’à occulter le fait qu’après avoir étudié au frais de la République qu’il vomit aujourd’hui, il a milité à un niveau de responsabilité élevé de la jeunesse de l’URD, le deuxième grand parti du Mali après l’AEEM dont il a été l’un des responsables.

D’ailleurs, tous les partis politiques maliens, y compris Sadi, n’ont jamais dénoncé ou exclus leurs membres devenus rebelles, mais surtout l’ADEMA, l’URD et le RPM, les trois grandes formations à fournir le plus gros contingent d’élus du nord engagés dans la rébellion et l’irrédentisme ou même souvent le banditisme armé, avec parfois et très souvent même les trois combinés pour faire bonne… recette !

Le colonel Najim, Chef Militaire de la rébellion et véritable patron du MNLA, oublie que sa guerre contre le Mali est d’abord une guerre contre le régime de ATT, son principal complice dans le partage de l’important butin financier accordé par le régime du défunt Kadhafi. La guerre actuelle, à la lumière de ces faits, n’est en réalité qu’une guerre entre de deux coquins, l’un ayant simplement ‘’cocufié’’, si l’on peut dire, l’autre.

Encore deux coquins ? Iyad Ag Ghali et… ATT ! En effet, on se rappelle que la rébellion de 2005 a été déclenchée par Iyad lorsque ce dernier avait essuyé un revers du Président ATT, ce dernier lui ayant refusé une énième somme importante qu’il réclamait pour des motifs qui n’avaient cette fois pas convaincu son présidentiel interlocuteur. Dépité, les témoins assurent encore qu’Iyad avait vitupéré et éructé moult insanités à l’endroit d’un croisement de cochon et de chienne, entre autres joyeusetés dont il a le secret, acquis jadis dans la fréquentation assidue d’un certain hôtel discrètement situé à l’entrée de Boulkassoumbougou, sur la route de Koulikoro. Tiens, non loin d’ailleurs du second domicile de… Ag Erlaf !

Une fois les négociations menées à terme (en réalité, un accord bancal, mais Iyad rafle la mise de façon très bien sonnante et trébuchante), l’irrédentiste est récompensé en sus d’un consulat à Djeddah en Arabie Heureuse, une demeure somptuaire où il passait le plus clair de son temps à ‘’méchouiller’’ qu’à faire le tour de la Kaaba, comme une certaine radio et une certaine structure du culte musulman aiment à le faire croire. Les fonds en cours d’épuisement, Iyad se tourne, non directement vers les salafistes (trop dangereux, les autorités d’Arabie ne badinent avec cela), mais par l’intermédiaire de riches qataris (les mêmes toujours en activités de financement du salafisme actuel au Nord Mali). Expulsé pour conduite incompatible avec son statut de diplomate, Iyad regagne le bercail où il s’investit dans une activité autrement plus lucrative, l’échange (car il ne s’agit pas de libération) contre plusieurs dizaines de millions d’euros, d’otages occidentaux (dont les pays d’origine feignent d’oublier que ce sont d’abord les communautés touarègues d’accueil qui enlèvent leurs hôtes pour les revendre ensuite au salafistes plus ‘’armés’’ pour les garder et les négocier). C’est ainsi que l’on verra Iyad très actif en compagnie de son ami… Mohamed Ag Erlaf, au bureau duquel ensemble, ils vont négocier et obtenir avec un succès total et éclatant l’échange de l’espion français Pierre CAMATTE contre environ un peu plus de 8 millions d’€uros et la libération de terroristes emprisonnés au Mali. La rumeur, savamment distillée depuis les officines de Paris, assure que les numéros des billets d’euros ayant servi à la transaction CAMATTE, se sont retrouvés dans le circuit du luxe français après des visites officielles du sommet de l’Etat malien… Ce qui aurait indisposé sérieusement Sarkozy et le bien disposé aux thèses du MNLA qui prétendait, comme maintenant d’ailleurs, faire de la libération des autres otages, une priorité de son indépendance.

Que dire du sénile Président autoproclamé de l’Azawad, sinon que personne n’oublie qu’il a longtemps été Ministre de Moussa TRAORE ? Idem pour l’effarouchée Wallet, ministre de la culture par défaut sous Alpha Oumar Konaré et dont l’époux, malgré l’exil de sa femme ministre de l’Azawad, demeure un des grands commis informaticiens de l’Etat malien (au demeurant, il rend régulièrement visite à son ami… Mohamed Ag Erlaf au bureau de ce dernier à l’ANICT). Au fait, le frère d’une autre Wallet, celle-là Nina Ag Intalou et également Ministre de l’Azawad après avoir été membre du Haut Conseil des Collectivités Territoriales (l’équivalent malien du Sénat, transformation prévue si ce n’est un certain 22 mars), est un grand financier d’une importante agence publique de financement du Mali.

En fait les records de présence au gouvernement en tant que Ministre sont détenus respectivement par Mohamed Ag Hamani (plus de dix ans Ministre sous Moussa TRAORE et trois ans sous ATT II comme Premier Ministre), Modibo Sidibé (Ministre de Alpha Oumar durant dix ans et trois ans Premier Ministre de ATT II) et un certain… Mohamed Ag Erlaf (Ministre dix ans durant sous ATT I et Alpha Oumar Konaré). Deux touaregs pour un ‘’noir’’, pour une population qui frôle à peine les 1% de la population malienne.

Alors, pour qui ou pour quoi roule Ag Erlaf ? Certainement pas pour les naïfs de Kati qui songeaient sérieusement à récompenser un tel dévouement sonnant et trébuchant par un poste de… Commissaire au Nord avec rang de ministre dans le gouvernement !

A suivre…

Le Matinal 2013-01-08 03:10:16