Mouvements à Bamako-Sénou / Les coups bas et les non-dits

Et ce n’est pas une partie de plaisir. Tous les jours que Dieu fait, ce collectif assiège la Direction pendant quelques heures, à grand renfort de casseroles et de graffitis sur les murs. Elle ne se rend plus au bureau que sous protection policière. Le pic du désagrément c’était cependant mardi 6 décembre où peu avant onze heures, une vingtaine d’employées principalement venues de Hamdallaye Aci débarquent dans le bureau de Mme Thiam à Sénou. « Nous sommes venues vous remettre votre lettre de démission » entend-elle. « Qui est votre porte-parole » s’enquiert-elle ? « Nous toutes ». « Avez-vous  d’autres points à discuter ? » Aucun, répond le groupe. « Très bien, vous allez donc quitter ce bureau ». « Non, au contraire, Mme la directrice, c’est vous qui allez quitter ce bureau ». Suivent alors éclats de voix et noms d’oiseaux. La pauvre essaie de se donner une contenance. Mais les injures l’affectent encore profondément.

Pourtant ce n’est pas elle…

D’ailleurs, ce mardi, il aura fallu l’arrivée sur les lieux du ministre de tutelle pour mettre fin au désordre. Séméga n’obtenant pas des manifestantes de lever le siège, réussira à faire rentrer la directrice à la maison, avant de se réunir avec le « Collectif des femmes » qui l’applaudit à tout rompre quand il les assura que le gouvernement a obtenu des garanties que l’entreprise qui aura la concession pour la gestion des Adm  préservera l’intérêt des travailleurs.

Peu avant lui, Siaka Diakité, l’inamovible secrétaire général de l’Untm dont on parle de la retraite administrative depuis plusieurs années, est venu signifier sa solidarité avec les troupes. Mme Thiam avait eu ce coup de fil surréaliste avant de se décider de rejoindre ses bureaux : « les manifestants sont au comble de l’excitation et la directoire de l’Untm est là avec eux » ! Mais Mme Thiam a la réputation d’être têtue… Concession, privatisation : ces mots sont au cœur des griefs du « collectif » qui n’en veut pas du tout. Et outre son plan de réorganisation qui n’eut pas l’heur de plaire à tout le monde, la Pdg passe à tort pour une irréductible de la privatisation. Il se trouve justement que ce dernier grief relève simplement de l’amalgame. Pendant les discussions sur le mode de gestion des aéroports, Millenium Challenge qui finance les travaux de modernisation ne voulait pas entendre parler de gestion publique. Pas plus que la Banque mondiale. Et la direction des Adm ?  Mme Thiam avait un autre point de vue qu’elle a essayé, en vain, de faire valoir durant les concertations avec les bailleurs, avec les syndicats Untm et Cstm et même au Parlement où elle fut auditionnée courant 2011.  On tombe des nues en apprenant les variantes qu’elle a proposées. D’ailleurs la privatisation de la gestion des Adm a commencé bien avant son arrivée.  Mais elle est un bouclier très commode.  

Paralysie pour quatre personnes

Car les vrais griefs sont ailleurs et ce n’est pas sûr qu’ils honorent la République. Début 2008, la nouvelle Pdg qui succède à deux autres femmes, trouve sur sa table le rapport du Vérificateur Général qui avait passé à la loupe la gestion des Adm en 2006 et démontré, dans son rapport 2007, que les droits et taxes d’aéroport étaient souvent perdus. Mais jamais pour tout le monde. Le procureur est saisi pour que l’Etat soit remis dans ses droits : des centaines de millions sur lesquels il reste encore près de 500 millions à éponger. Ensuite, les recommandations formulées doivent être appliquées. Et cela a nécessité une réorganisation de la direction. Le cabinet Maeco est commis mi 2007 pour ce faire. Et quand Mme Thiam arrivait, ce cabinet était assez avancé dans son travail qui, était du reste, « participatif » donc impliquant les travailleurs dans le processus.

Fin 2008, le nouvel organigramme est prêt. Il est « recentré ». C’est-à-dire expurgé des multiples postes d’adjoints qui plombaient l’ancien. Dix sept employés en sont les principales victimes. Il n’y aurait, sans doute, pas eu de suites fâcheuses si les dommages collatéraux ne concernaient pas des indemnités juteuses (liées aux postes supprimés) et quatre syndicalistes. Il faut dire que les Adm paient des salaires décents et que pour les indemnités qui y avaient cours, personne ne cracherait même sur le poste de responsable adjoint des salles d’eau. Mme Thiam ne le savait pas ? « Bien sûr que je le savais. Mais en même temps, j’avais bien un organigramme et des recommandations à appliquer ».

Têtue comme il se dit ? Elle a pourtant cédé aux requêtes de recaser treize employés pour qu’ils puissent garder leurs revenus. Il restait quatre syndicalistes qui lui montreront de quel bois ils se chauffent. Ne cherchons pas loin : c’est du bois dont est faite l’Untm. Laquelle poussera  la défense de ses syndiqués jusqu’au point de faire passer par pertes et profits l’énergie, les ressources et la cohésion d’ensemble du nouvel organigramme.

En tout cas, quand Séméga reçoit Mme Thiam, juste revenue la veille de son hadj, il ne rit pas : « ce problème fait partie des points de négociations gouvernement-Untm qui n’est pas contente. Faites quelque chose ». En fait, le gouvernement, avait en juillet concédé pour les Adm « quatre postes de responsabilité avec des indemnités équivalentes ». Avec en plus règlement rétroactif des primes non perçues et notification de la décision aux intéressés avant le 20 octobre 2011.

Tout ce qui pouvait être négocié, c’était le paiement du différentiel des primes sur le budget 2012 des Adm. Jurant sur sa bonne foi, la Pdg assure qu’elle n’avait d’autre moyen que de muter les syndicalistes concernés dans les aéroports secondaires dont Kayes qui est tout de même devenu important. Hors de question, s’insurgent les puissants protégés de l’Untm qui crient à la déportation sur les antennes des radios libres et engagent le bras de fer. Jusqu’au jour où nos visiteurs, se rendant à l’aéroport, sont bloqués à l’entrée et forcés de revenir en ville où ils peinent à renégocier une autre chambre d’hôtel. A l’instar de ce célèbre opposant africain qui, même victime de ces désagréments, a tenu à louer la résistance des travailleurs maliens contre la privatisation. Lui, non plus, ne savait pas que cette histoire scandaleuse n’a rien à voir avec la privatisation mais avec les errements de l’Etat-otage.

Adam Thiam

 

Le Républicain 21/12/2011