Dans une interview qu’il nous a accordée, le coordonnateur politique du Mouvement pour le salut de l’Azawad (MSA), Moussa Ag Acharatoumane, évoque les difficultés, pour les groupes armés et l’Etat, à contrôler le territoire du Nord. Il réitère aussi son appartenance à la CMA et dément avoir rejoint la Plateforme. Ag Acharatoumane confirme avoir des rapports avec le général El-Hadji Ag Gamou depuis les assises d’Anefif. Il laisse surtout entendre que le problème de Kidal est destructeur pour les Touaregs. Un entretien exclusif.
Pensez-vous que le conflit de Kidal est communautaire ?
Le conflit en cours à Kidal est interprété de différentes manières. Certains diront qu’il est communautaire, d’autres qu’il est idéologique CMA-Plateforme ; d’autres encore parleront de guerre pour la drogue depuis l’affaire de Tinza. Une chose est sûre : le problème existe et il est destructeur d’abord pour les Touaregs en particulier et les « Azawadiens » en général, car ce sont eux qui meurent de tous les côtés pour des raisons souvent mouvantes et floues, même si certaines interprétations s’expliquent dans l’histoire et d’autres dans le contemporain. Mais c’est une tragédie à laquelle il faut immédiatement remédier par tous les moyens, l’essentiel c’est de l’arrêter à tout prix. Peu importe l’appellation qu’on lui donne.
On parle avec insistance d’une guerre pour le contrôle des routes de la drogue ? Quel commentaire en faites-vous ?
Tout se dit dans cette guerre comme mentionné plus haut, mais le mensonge domine la vérité.
En tant que chef de la coordination des Daoussahak, vous soutenez qui entre Imghad et Ifoghas ?
Les Idaksahak sont une communauté de nature paisible qui a toujours eu dans l’histoire de bonnes relations fraternelles souvent de sang et de même origine avec les communautés Ifoghas et Imghad. Notre intérêt le plus grand et le plus cher, c’est la paix entre nos parents au-delà de ces deux communautés, entre tous les Touaregs.
Où en sommes-nous avec les autorités intérimaires ?
Sur papier, on a beaucoup avancé, mais, sur le terrain, l’absence crève les yeux et laisse le doute s’installer dans l’esprit de nos populations quant à leur effectivité et il faut pallier cela rapidement, car elles sont inscrites comme premier point de la mise en œuvre de l’accord.
Vos hommes sont-ils prêts pour le cantonnement ?
Nous nous en tenons aux clauses de l’accord. Tout dépendra de cela. Mais, avec la dégradation de la situation sécuritaire sur le terrain, si une solution n’est pas trouvée rapidement, rien ne pourra se faire dans ces conditions-là.
Un an après la signature de l’accord, certains estiment qu’il y a eu peu d’avancées. Est-ce votre analyse ?
Il est incontestablement établi que rien n’a avancé dans le cadre de l’application de l’accord pour la paix et la réconciliation nationale depuis la signature jusqu’à présent. Nous en vivons les conséquences aujourd’hui sur tous les plans et dans tous les domaines. Nos pauvres populations aujourd’hui souffrent beaucoup de cette situation de non application de l’accord d’Alger.
Etes-vous satisfait de l’application de l’accord par les autorités maliennes ?
Quand il y a un problème dans une famille, le premier responsable indexé est le chef de famille, nous sommes dans le même cas de figure en politique. Tout ce qui ne va pas aujourd’hui au Mali, la première responsabilité incombe au gouvernement. De ce fait, nous restons tous sur notre faim et ne comprenons pas cette lenteur, voire l’inexistence d’avancée dans l’application des accords.
Beaucoup de réunions sont organisées à Bamako entre les parties et beaucoup de postes, voire des structures sont créés pour l’application de l’accord, mais les résultats sur le terrain sont absents dans tous les domaines. Les populations souffrent et attendent dans l’incompréhension totale. Plus que jamais, les autorités maliennes en premier sont interpellées face à cette impasse. Elles doivent agir vite, sinon le Mali sera dans une situation compromettante.
La création de nouvelles régions dans le Nord est tout de même un geste salutaire non ?
A mon avis, ces régions datent d’avant l’accord. L’accord les a juste réactivées pour leur donner vie pour une meilleure gouvernance pour nos populations. L’accord les a rendues effectives pour leur opérationnalisation, ce qui est une bonne chose et contribue à donner l’occasion aux populations « azawadiennes » de se prendre en charge sur le plan politique.
Comment jugez-vous l’accompagnement de la communauté internationale dans le processus de paix ?
La communauté internationale fait de son mieux pour aider les parties dans le cadre de l’application de l’accord, même si elle n’use pas de tout son poids pour régler certaines situations qui compromettent gravement la paix et la stabilité. Elle doit aller au-delà de ce qu’elle fait présentement.
Lors de la dernière réunion de New York, on a parlé de sanctions individuelles contre ceux qui compromettent le processus. Il est temps que ces sanctions soient appliquées contre nous tous si nous sommes fautifs pour que cela serve d’exemple. On met beaucoup de choses sur papier, mais peu de choses se réalisent sur le terrain en termes d’application de l’accord.
La communauté internationale est aussi garante de cet accord, elle ne doit pas rester muette face à certaines situations et doit œuvrer activement et rapidement pour la protection des populations dans leur ensemble et sans distinction d’appartenance à X ou Y.
Comment se passe la cohabitation entre groupes sur le terrain ?
Le terrain est vaste et large. Dans certains endroits, le calme est là, mais précaire, car rien n’est sûr et rien n’est durable. Les garanties sont mouvantes et floues entre les acteurs. De ce fait, il y a des endroits où la cohabitation est mauvaise. L’exemple aujourd’hui de Kidal est frappant et cela doit trouver une solution rapide.
Vous venez de créer un nouveau mouvement. En quoi est-il différent du MNLA dont vous êtes un des membres fondateurs ?
Le MNLA tout comme le MSA sont des mouvements créés d’abord pour le bien-être des populations. Ils défendent leurs droits et dignité au-delà de leur appartenance de couleur ou d’ethnie. Et le nouveau mouvement poursuit les mêmes objectifs qui vont au-delà de ce qui a toujours été fait. Le MSA veut être une alternative d’abord et apporter ensuite sa contribution dans la protection de nos populations qui sont en danger de tout genre.
D’aucuns pensent que vous n’avez pas les moyens militaires pour tenir dans le Nord ?
L’Azawad (Nord du Mali) est un territoire très vaste. Même la puissance coloniale n’a pas pu tenir tout le territoire et l’Etat malien aussi a montré ses limites et ce ne sont pas des mouvements qui diront le contraire. Ce territoire n’est pas facile à contrôler, cela demande beaucoup de moyens que nous n’avons pas.
Les mouvements essayent de contrôler zone par zone ce grand espace ou des lieux ou endroits stratégiques qui peuvent leur permettre d’avoir un œil sur un grand espace. Chacun à ses moyens militaires et contrôle quelque chose, mais personne ne peut dire qu’il contrôle tout, car s’il reste encore un défi dans l’Azawad, c’est sa gestion sécuritaire. Le MSA a les moyens militaires qui sont connus de tous que nous n’avons pas besoin d’exposer en public au-delà de ce qui a été déjà dit.
Sitôt la création du MSA, vous avez eu une rencontre avec le Gatia. Est-ce que désormais vous êtes alliés ?
Il y a eu beaucoup de commentaires sur cette rencontre et beaucoup de gens sont passés à côté des objectifs visés, qui sont pourtant clairement expliqués dans ledit communiqué. Il faut d’abord rappeler que cette rencontre était programmée depuis et s’inscrivait en droite ligne avec toutes les réunions que nous avons eues depuis Anefif, en passant par Inwelan, Emassemess, Tinfadimata, Tedjerert, exclusivement faite dans le cadre du retour de la cohésion sociale et de l’entente entre nos populations qui ont beaucoup souffert des affrontements inter communautaires.
Le deuxième objectif était de lutter contre le banditisme florissant dans nos régions. Il a handicapé nos commerçants, nos civils qui ne peuvent plus quitter un marché pour un autre à cause des bandits armés en moto. Un certain nombre de dispositions ont été prises pour organiser des patrouilles séparément pour un départ et quand cela s’avère nécessaire ensemble de les traquer et les séparer de leurs armes, brûler leurs motos, ensuite les traduire devant des cadis pour les juger conforment à notre religion. Ce sont des mesures prises suite à une forte demande de nos populations, des acteurs qui viennent en aide à nos populations et tout cela aussi s’inscrit dans le cadre du retour de la quiétude et de la paix pour nos populations.
Cet exemple doit être fait partout, car toutes les populations souffrent de cette insécurité grandissante. Il ne faut pas voir derrière cela la construction d’alliance nouvelle qui va à l’encontre des uns ou des autres. Ces populations ont toujours été alliées, car elles ont toujours vécu ensemble avant l’arrivée des Etats et des mouvements. Et nous avons un devoir vis-à-vis de ces populations en sauvegardant ce qui peut leur permettre de tous de cohabiter ensemble, l’objectif est là, pas plus.
Et le général Gamou dans tout ça ?
Le général El-Hadji Ag Gamou est un acteur que nous avons officiellement commencé à côtoyer depuis les assises d’Anefif, car étant le chef de la communauté Imghad et continuons à avoir des échanges avec lui dans ce cadre-là pour ensemble ramener la cohésion entre nos populations et éviter tous genres d’affrontements qui vont faire plus de morts dans nos familles et creuser un fossé entre les communautés.
Quelle est la position du MSA par rapport à la CMA ? Vous êtes exclus d’office ou non ?
Nous tenons à préciser que la CMA n’est pas un mouvement, mais bien une coordination qui regroupe un certain nombre de mouvements.
Notre objectif dans cette construction politique a été de créer un espace qui va regrouper des mouvements progressivement, les amener à créer un seul mouvement par la suite, chose que nous avons toujours essayée mais qui se fait de jour en jour lentement. Nous avons politiquement, depuis la naissance de la CMA à Rome jusqu’à la signature de l’accord d’Alger, fait un travail gigantesque politique, médiatique pour donner une bonne image de la CMA sur le plan national et international, militairement aussi le même travail a été abattu par nos troupes.
Donc, aujourd’hui personne ne peut prétendre être plus CMA que nous. Certes, il y a eu la naissance du MSA, qui se justifie largement par le manque de capacité de nos anciens mouvements dans la protection de nos populations dans leur ensemble qui vont au-delà des appellations et des régions, l’essentiel est de persévérer dans cette démarche. Nous avons démissionné du MNLA, du HCUA, du MAA pour créer le MSA. Nous n’avons pas dit qu’on démissionne de la CMA en tant que coordination.
De ce fait, pour que cela ne suscite plus de débat déplacé, nous sommes de la CMA comme tous les autres mouvements « azawadiens » et des discussions doivent avoir lieu très prochainement entre nous et nos amis des autres mouvements pour clarifier tout cela et ensemble continuer à bâtir la CMA pour le bien-être des « Azawadiens ». J’en profite aussi pour démentir toute information qui dit que le MSA a rejoint la Plateforme.
Réalisé par Alpha Mahamane Cissé