Imam d’une petite mosquée sur la rive droite de la capitale, Ismaila -appelons-le comme ça- formé en Libye ne décolère déjà pas contre les « croisés occidentaux » qui « veulent assassiner Khadafi et s’emparer du pétrole libyen ». Depuis ce lundi où il apprend la mort de Osama Ben Laden, le jeune imam n’a pas de mots assez durs pour fustiger les « cafres ». Il confesse : « la nouvelle est dure à accepter ». Car, pour lui, le Saoudien a « toujours vengé les musulmans » et Dieu ne le laissera « jamais entre les mains de ses ennemis ». Intox donc ? Oui plus la diversion d’un Obama cherchant à « distraire les Américains sur l’histoire de son acte de naissance». Mais lorsque Al Qaeda confirme l’information, qu’Al Jazzira aligne les témoignages et que les fidèles venant pour les prières de l’après-midi expriment leur indignation les uns après les autres, Ismaila concède de son portable : « ces salauds l’ont tué mais pas dans la villa cossue qu’ils montrent. Osama était un héros, il ne peut être mort que sur le front, dans les montagnes ».
Cela s’appelle de l’anticipation, car à quelques kilomètres de là, dans un cercle de causerie de l’Est de la capitale, un administrateur civil, réputé pour sa ferveur musulmane, trouve pas « sérieux » que le chef jihadiste exhorte au combat des Talibans ravagés par les rigueurs de l’hiver et des grottes « alors que lui-même était dans les palaces ». Pourvu seulement que « l’info des Américains soit vraie », relativise t-on dans plusieurs endroits de la capitale. Comme à cette station de taxis dont la majorité des chauffeurs sont convaincus que « tout ça c’est un coup monté de la Cia ». Mais pourquoi, la Cia ferait t-il cela ? Pour une raison bien simple : « ils ont raté Khadafi qui est en train d’en faire de toutes les couleurs aux Blancs et il faut qu’ils inventent cette nouvelle pour masquer leur défaite ». Le fait que dans l’après-midi, le corps de l’auteur des attentats du 11 septembre n’avait pas été exposé est une preuve suffisante, à leur avis, pour disqualifier l’info. « Des images d’ailleurs truquées, France 24 s’en est excusée ».
Un bluff des Yankees
Et puis, pourquoi la première puissance du monde qui connait le bienfondé de la preuve jetterait-elle un tel trophée à la mer ? Un économiste formé au Maghreb et qui semble bien connaître les pratiques de l’Oncle Sam, prévient : « faites attention, ne soyez pas nihilistes » s’adressant à une audience sceptique : « un Président américain ne peut jamais impunément pour lui annoncer une nouvelle aussi grave que la mort de Ben Laden sans qu’elle soit vraie ». L’économiste sait qu’il sera lynché s’il répète ces propos au grand-marché de Bamako. Heureusement, ce marché est fermé ce lundi férié et chômé sur l’étendue de la République. Mais c’est là que se recrutent les inconditionnels du jihadiste disparu.
Semi-grossistes, revendeurs de pièces détachées, camelotiers, réparateurs de montres, adultes comme adolescents, ils ont en commun d’appartenir surtout à l’Islam wahabite et un rejet sans fard de l’Amérique. Alors que l’Occident était en émoi dans l’après 11 septembre immédiat en 2001, ils ont porté et vendu des T-shirts de leur héros. Et dans leur sillage, des minibus bamakois dédiés au transport en commun avaient affiché le poster du barbu, sur l’avant, les côtés et l’arrière de leurs voitures. Dix ans après, la ferveur, il faut bien l’admettre, s’était tassée. Mais pour ce connaisseur de la psychologie de la rue malienne, « le raid américain a réveillé quelqu’un qui était déjà presque mort ici et dans beaucoup de pays africains ».
Adam Thiam
Le Républicain 03/05/2011