D’entrée de jeu, le principal conférencier, Etienne Fakaka Sissoko, a mis le pied dans le plat en relevant qu’aujourd’hui pour les économistes, comme pour les politiques, la question n’est plus de savoir si faudrait-il, oui ou non, sortir de ce système actuel de coopération monétaire avec la France, mais plutôt quel nouveau système monétaire pour l’Afrique en général et la CEDEAO, en particulier.
« Oui sortir du CFA est une nécessité pour les Africains si nous voulons amorcer un processus de développement économique à hauteur de nos ambitions et celles de nos peuples » a martelé le conférencier. A ceux qui ont encore des doutes sur le fait que cette monnaie n’a ni favorisé l’intégration des pays africains, ni contribué à leur développement, l’orateur a développé un argumentaire en trois points pour les faire changer d’avis.
En premier lieu, la monnaie étant symbole de souveraineté, le CFA apparait, dès lors, comme une propriété de la France. Le Franc CFA a été créé par le Général de Gaulle, le 25 décembre 1945, selon l’article 3 du décret 45-01 36, avec publication du texte dans le Journal Officiel français, le 26 décembre de la même année.
« Cela veut dire que la monnaie utilisée actuellement par quinze pays africains est une propriété à part entière de la France qui en contrôle naturellement les mécanismes de fonctionnement dans le sens de ses intérêts légitimes » de relever Etienne Fakaba. « La dévaluation du franc CFA en janvier 1994 fut, sans doute, la preuve la plus humiliante de la perte de souveraineté de nos pays sur cette monnaie. Les Chefs d’Etat et de Gouvernement africains furent séquestrés pendant des heures dans un hôtel de la capitale sénégalaise par le ministre français de la Coopération et le Directeur du Trésor français, accompagnés du Directeur Général du FMI, venus les informer de la décision de dévaluation, décidée unilatéralement par la France et le FMI » a rappelé l’orateur.
Le deuxième élément de l’argumentaire du conférencier a trait aux résultats de la coopération avec la France. M. Sissoko de citer un passage du Journal Officiel de France, N°3 du 15 avril 1970 où on pouvait lire « La coopération monétaire doit permettre à nos Etats d’avancer sur la voie du développement plus vite qu’ils ne pourraient le faire seuls ». En regardant dans le rétroviseur, M. Sissoko de constater que « les résultats observés de cette coopération sont meilleurs pour la France et défavorables aux Africains. A titre d’illustration, on peut lire les différents classements des pays établis par les Nations Unies.
Dans le classement des pays établi par le PNUD selon le critère de l’Indice de Développement Humain (IDH) ce sont le Mali, le Burkina Faso et le Niger, trois pays de la zone Franc, qui occupent le dernier rang mondial avec la Sierra Leone. En parallèle à cette dégradation croissante du niveau de vie des PAZF (Pays Africains de la Zone Franc) la France tire son épingle du jeu et se classe, après le Canada, comme le pays ayant le meilleur Indice du Développement. Cela veut dire que, contrairement aux idées reçues, la coopération monétaire franco-africaine ne profite pas aux Africains ».
Troisième et dernier élément de l’argumentaire développé parle conférencier : les principes de la Zone Franc sont un obstacle au développement des pays africains. Ces principes vont de la convertibilité à la mise en commun des réserves en passant par la « création monétaire et inflation ». S’agissant de ce dernier chapitre, le conférencier a déclaré que « les planches à billets étant sous contrôle de la Banque de France, aucun pays n’est en mesure de créer de la monnaie selon ses besoins, ce qui peut ralentir l’économie ou, au contraire, favoriser une inflation relativement basse, à comparer avec les taux nettement supérieurs de leurs proches voisins ».
Pour toutes ces raisons et d’autres, le conférencier a plaidé pour l’avènement d’une monnaie unique africaine, émancipée de la tutelle française. En attendant, il s’agit de hâter la création d’une monnaie unique au sein de l’espace CEDEAO, à l’horizon 2020 comme prévue. D’autant que, a soutenu l’orateur, toutes les conditions techniques sont réunies pour ce faire, en l’occurrence les critères de convergences économiques multilatérales. C’est la volonté politique seule qui manque, a estimé le conférencier. M. Sissoko d’interpeller les hautes autorités africaines à s’engager plus vigoureusement dans ce processus.
Quant à Dr Abdoulaye Niang, fidèle à lui-même, il a prêché la rétention de la richesse dans le cadre d’un capitalisme global inclusif. Au nom de ce principe, nos pays doivent se faire forts de retenir pour les nationaux au moins 40% des richesses secrétées par leurs sols et leurs sous-sols, 45% étant dédiées au reste du monde, en l’occurrence les multinationales et 15% au reste de l’Afrique. Cette conférence-débat a été suivie avec un grand intérêt par de nombreux jeunes parmi lesquels des étudiants, des jeunes chercheurs, des membres et responsables d’associations de jeunes qui avaient pris d’assaut, en cette pluvieuse journée du 10 octobre, la salle de conférence du Carrefour des jeunes.
Yaya Sidibé
Source: Le 22 Septembre 15/09/2015