Mon intervention au Parlement européen à Bruxelles sur le thème: LA CRISE MALIENNE: QUEL PROCESSUS..

invitation. Elle est, à mes yeux, à la fois, une marque de délicatesse et le signe d’une réelle volonté d’appréhender, avec les acteurs politiques maliens, les enjeux de la crise majeure que traverse le Mali. Je n’ignore pas que ce Parlement, qui nous accueille, cœur vibrant de la démocratie en Europe, a été parfois le théâtre de confrontations entre Maliens, qui n’ont pas toujours permis le triomphe des idées.

Je veux me hisser à la hauteur de votre considération et souhaiter que la sérénité soit le maître-mot de nos échanges, loin des outrances qui font le lit des extrémismes, mais aussi de la complaisance qui s’apparenterait à un déni de réalité.

Permettez-moi aussi de saluer les membres du parlement européen et de remercier chaleureusement le groupe Verts/ALE pour son initiative pour le Mali. À vous tous, je dis merci au nom du peuple malien tout entier.

Permettez-moi enfin d’avoir une pensée émue pour toutes les victimes civiles et militaires de la crise qui secoue encore mon pays, le Mali.

Puisse Dieu bénir nos actions pour honorer leur mémoire, leur combat pour la paix et la prospérité du Mali.

Monsieur le Président,

 

Il y a quelques années, entre un officier de police qui examinait mon passeport et moi, a eu lieu, dans un aéroport américain, au cours d’un de mes nombreux voyages professionnels, ce curieux dialogue :

– « vous êtes né à Tombouctou? demanda-t-il, dubitatif.

– oui, répondis-je, le plus naturellement du monde.

-TinBuktu existe donc vraiment? reprit l’officier.

– Bien sûr! rétorquai-je, au grand bonheur du fonctionnaire, visiblement heureux d’avoir fait une grande découverte !

Oui, je suis né à Tombouctou, je suis originaire du Nord du Mali, c’est le « royaume » de ma tendre enfance.

Mon père, juste après la 2ème guerre mondiale a ouvert les écoles nomades de Rharous et de Menaka.  C’est dans ce nord du Mali, qu’il a passé les dix premières années de sa longue et riche carrière d’instituteur, et moi, les six premières années de mon existence, souvent à dos de dromadaire au gré du déplacement des élèves, de leur famille et de tout le campement nomadisant au rythme des saisons et des pâturages.

Quand en janvier 2012, j’étais de passage à Rharous, dans le cadre de ma campagne politique, j’ai encore une fois mesuré la générosité de cœur des populations locales par l’accueil fait au fils, en souvenir du père, le fondateur des « écoles des sables » et de son épouse.

Vous comprenez, Monsieur le Président, à quel point, je suis doublement concerné et combien je suis moralement interpellé.

Aujourd’hui, personne sur cette planète, ne doute de l’existence de Tombouctou.  Hélas, des groupes terroristes liés à l’Islamisme radical et à la criminalité organisée à travers le trafic de drogue et d’armes, des enlèvements ou l’immigration clandestine, se sont chargés de faire connaître le Mali. De bien triste manière, hélas !

Ces envahisseurs barbares, sans foi ni loi, ont soumis les populations à toutes sortes d’exactions, de violences et d’humiliations, entraînant le déplacement d’environ un demi-million de personnes à l’intérieur et hors du territoire national.

Mesdames, Messieurs,

Je suis fier de le dire : la communauté internationale a répondu à l’appel du Mali : ainsi, aujourd’hui, grâce à l’intervention de l’armée française et des armées africaines, aux côtés des forces armées du Mali, dans le cadre des résolutions 2056, 2071 et 2085 du Conseil de Sécurité des Nations Unies, le Mali recouvre progressivement son intégrité territoriale. Mais nous sommes conscients que, cette assistance militaire, pour aider le Mali à recouvrer sa souveraineté sur l’ensemble de son territoire, doit être rapidement relayée par un PROCESSUS POLITIQUE et une RECONCILIATION NATIONALE pour apporter une réponse rapide, efficace et surtout durable à la crise de développement et de gouvernance qui sont les causes profondes de cette crise .

LE PROCESSUS POLITIQUE

Le processus politique doit comporter deux volets.

1.      Le premier volet est UN DIALOGUE POLITIQUE INCLUSIF SUR L’AVENIR DES RÉGIONS DU NORD.

La première leçon à tirer de la crise, c’est, en effet, le besoin impérieux de rupture dans la manière de gérer l’ensemble du Mali en général et les régions du Nord en particulier. C’est pourquoi, il est indispensable et urgent de mettre en place un dialogue politique inclusif afin d’écouter les différentes composantes des régions du Nord sur leur vision et leur conception de l’avenir, de leur avenir, vivant ensemble, en harmonie et en complémentarité comme par le passé.  C’est aux habitants de ces zones qu’il revient d’abord d’analyser objectivement leurs préoccupations et les solutions préconisées, afin d’y apporter des réponses à la hauteur des enjeux, compatibles avec les exigences d’un Etat où continue de prévaloir la riche diversité ethnique, culturelle et religieuse. Dans un conflit, la cessation des hostilités n’est en effet qu’une étape vers le règlement définitif. Après la reconquête militaire des territoires occupés, le Mali ne pourrait faire l’économie d’un dialogue inter-malien pour régler ce douloureux conflit fratricide. Il s’agit de libérer la parole pour que les gens puissent dire ce qu’ils ont sur le cœur et indiquer leurs réelles attentes : c’est, peut-être le plus gros défi.  Il faut absolument amener les gens à s’élever au-dessus de la mêlée pour garantir la paix et éviter des situations de règlement de compte.

Avec qui négocier et à quelles conditions ?

Par définition, un processus politique inclusif ne doit exclure personne à priori.

Ainsi, les mouvements armés, les groupes ethnoculturels de résistance, les associations de la Société civile, les élus, les leaders religieux et coutumiers des régions du Nord, en premier lieu, et ceux des autres régions du Mali aussi, ont tous vocation à prendre part au nécessaire dialogue inter-malien.

Toutes et tous, oui, car, il faut assurer la prise en compte des intérêts de toutes les populations maliennes sans distinction de race, d’ethnie et de religion dans la refondation d’un Etat malien républicain et laïc, dans la restauration de la nation sur le socle de la justice et de la démocratie : c’est cela le fondement du vivre et du construire ensemble. Ensemble ? oui, car il n’y a pas d’autre choix : ce pays appartient à tous, il nous est prêté par nos petits-enfants, nous devons le leur léguer, plus prospère, plus intégré et plus solidaire. C’est le minimum des devoirs pour les « descendants des bâtisseurs d’Empire », titre que tous, et, ensemble, nous revendiquons, légitimement !

Ainsi, tous doivent accepter:

–  Le respect sans équivoque de la Constitution du Mali dans son essence, en particulier dans ses dispositions relatives à l’intégrité du territoire, à son indivisibilité, à la laïcité et au caractère républicain de notre Etat.

–  L’acceptation de la traduction devant la justice nationale /et ou internationale des personnes (de tous bords) sur lesquelles pèsent de sérieuses présomptions de crimes à l’occasion du conflit.

Quoi négocier ?

Deux sujets sont à négocier: l’avenir institutionnel des régions du Nord, et leur développement socioéconomique intégré.

–  L’avenir institutionnel des régions du Nord

La pluralité des communautés vivant dans le Nord du Mali est riche d’une diversité comprenant nomades comme sédentaires, blanc comme noirs qu’ils soient d’ethnie sonrhai, Touareg, Peul, Maures, Arabes, Bozos et bien d’autres.

Avec la crise et ses effets pervers, avec les divergences sur l’analyse de l’avenir institutionnel de ces régions, et la crispation due aux évènements actuels, tout cela fait qu’il est difficile d’avoir des discussions productives et apaisées dans le contexte actuel.  Dans ces conditions, toute idée d’autonomie, à fortiori de fédéralisme, ne manquerait pas d’exacerber les tensions communautaires au Nord d’une part,  et entre le Nord et le Sud d’autre part, car cela touche au partage de compétences et de ressources, entre autres.

De plus, il faut avoir à l’esprit qu’avec une population représentant 10% de la population malienne sur un territoire représentant les 2/3 de la superficie du pays, avec des ressources très limitées, les plus faibles du pays, le fédéralisme serait un très grand défi. En revanche, on s’accorde généralement sur le fait que la décentralisation en vigueur au Mali n’a pas été exploitée à fond.

Cette crise nous offre donc l’opportunité de donner un nouvel élan à la décentralisation notamment à travers un certain nombre de pistes:

–  un transfert effectif des compétences et des ressources sur le terrain dans les domaines légalement transférés comme l’hydraulique, l’éducation et la santé, ainsi que sur des questions sensibles comme les aspects culturels et linguistiques pour une meilleure prise en charge des diversités.

–  un rééquilibrage de la décentralisation en faveur des régions, dépassant le simple cadre communal, par une politique de grands travaux et une politique offensive d’aménagement du territoire qui valorise l’échelon régional.

Il faut donc un véritable plan Marshall pour le Mali en vue de rééquilibrer le développement du territoire. Un véritable centre névralgique d’activités dans le nord du pays pourrait être une piste à explorer car c’est le développement économique qui permettra d’éradiquer le terrorisme.

–  l’allégement de la tutelle des collectivités et le renforcement de la déconcentration administrative pour rapprocher l’Etat de ses administrés.

Comment dialoguer ?

Nous proposons un dialogue en deux étapes : une concertation entre les populations et acteurs des régions du Nord, et une validation avec l’ensemble des autres composantes de la nation malienne dans le cadre d’un forum national sur le Nord.

2.      Le deuxième volet du processus politique est L’ORGANISATION D’ÉLECTIONS TRANSPARENTES ET CRÉDIBLES.

La crise que traverse le Mali nous amène à nous interroger sur la qualité de notre processus électoral, processus marqué par des dysfonctionnements longtemps critiqués. Progressivement, nous avons assisté à une défiance des citoyens vis-à-vis de leurs dirigeants, et même de la chose politique.

Remettre sur pied un processus électoral fiable et crédible devient donc un enjeu stratégique de la transition. Pour installer le Mali dans un cercle vertueux nous proposons trois pistes de solutions :

–  D’abord mettre en place des mécanismes vigoureux aptes à enrayer la fraude.

–  Ensuite accroître le taux de participation

–  Enfin mettre en place des mécanismes solides de recevabilité pour tous les élus.

En tout état de cause, LE PROCESSUS POLITIQUE A METTRE EN PLACE DOIT REFONDER LA DÉMOCRATIE MALIENNE A TRAVERS UNE RÉCONCILIATION NATIONALE VERITABLE ET DURABLE

La gestion de l’après crise doit interpeller tous les Maliens soucieux de l’avenir et de la stabilité de la nation, tant le conflit a créé des déchirures dans la société.

Comment réparer les blessures et réduire les fractures ? Comment reconstruire le « vivre ensemble » entre les divers groupes ethnoculturels du pays ? Ce questionnement aussi complexe que pertinent constitue tout l’enjeu des prochains mois, voire des prochaines années.  Il s’agira de reconstruire les liens sociaux brisés, et de prendre en charge la gestion adéquate des problèmes aussi bien des populations résidentes que des déplacés et des réfugiés.

A cet égard, le « Vivre ensemble » passera aussi par l’apurement des situations conflictuelles récurrentes comme les questions foncières. Au-delà du règlement du conflit, la réconciliation doit ainsi viser son dépassement par la reconstruction d’une société capable d’affronter une histoire commune en acceptant ses aspects souvent douloureux.  La réconciliation doit en effet s’accompagner d’un pardon sincère non pas par l’effacement du passé, mais par son dépassement pour envisager un avenir commun qui reconnaît les droits et devoirs de chaque communauté à travers des solutions équilibrées et respectueuses des identités.

Pour y arriver, le Mali devra puiser dans son socle culturel les moyens et  instruments endogènes de médiation sociale pour ré-incarner et ré-inventer les solutions les mieux adaptées à sa situation.

La société malienne dispose en effet de formules socioculturelles rodées de réconciliation qu’il nous faudra nécessairement revisiter et valoriser.

Nous devons rechercher dans notre mémoire collective les mythes, les us et coutumes, les faits culturels propres aux différents groupes ethnoculturels capables de nous aider à refonder ce « vivre ensemble » largement entamé.

Il faudra, à cet effet, encourager le dialogue inter et intra-communautaire inclusif, en commençant par sécuriser, et accompagner le retour des déplacés et des réfugiés.

En tout état de cause, la tolérance, le dialogue et l’affirmation de valeurs communes en matière de libertés fondamentales et de droits humains doivent être les piliers de cette nécessaire reconstruction.

Dans le même ordre d’idées, l’institution de « Comités Vérité et Réconciliation » pourrait être envisagée, de même que l’adoption d’une « Charte du Vouloir Vivre Ensemble ».

Cette charte viserait la promotion et la diffusion de la culture de la paix et des droits humains fondées sur des valeurs, attitudes, et comportements qui favorisent le respect de la vie, de la personne humaine et de ses droits, le rejet de la violence sous toutes ses formes, la reconnaissance de l’égalité des droits et des chances entre les hommes et les femmes, le droit de tout individu à la liberté d’expression, d’opinion et d’information, l’attachement aux idéaux de démocratie, de liberté, de justice, de tolérance, de solidarité et au principe du pluralisme politique, ainsi que l’acceptation des différences et de la compréhension entre les groupes ethniques, religieux, culturels et entre les individus.

Monsieur le Président

Chers amis,

La tâche paraît ardue.

C’est pourtant un défi que nous pouvons relever en nous basant sur la grande tolérance de la société malienne.

Des liens sociaux ont certes été brisés par le conflit, mais il n’y a pas de haine irréversible entre les communautés.

Dans notre grande majorité, nous avons tous cet atavique sentiment d’appartenir à une même nation. Dans notre grande majorité, nous avons cette forte volonté de rebâtir une nation forte où la diversité sera respectée. Dans cette tâche, nous savons compter sur nos amis à travers le monde, dont l’Union européenne qui a toujours été aux côtés du Mali dans les heures les plus difficiles.

Chers Amis,

J’ai commencé par vous parler de Tombouctou la ville qui m’a vu naître, j’aimerais terminer sur une question personnelle.

Une réflexion qui résume la pensée humaniste de TOMBOUCTOU et qui est à la base de sa tolérance et de son mythe fondateur axé sur son cosmopolitisme, hérité de la générosité de ses habitants et l’érudition de ses intellectuels.

Né à Tombouctou, la Cité des 333 Saints, mon père est Sonrhai, ma mère est Peule, ma femme est Bambara, ma belle-fille est Arabe.

Alors dites-moi, dites-moi vraiment, de quelle ethnie est Soumaila Seyni, mon petit-fils, qui a juste un an?

Je souhaite qu’il ne se pose jamais cette question, mais, si d’aventure on la lui posait, qu’il réponde tout simplement : « JE SUIS MALIEN ET FIER DE L’ÊTRE ».

Je vous remercie

Par Soumaïla Cissé, ancien Président de la Commission de l’UEMOA

Membre Fondateur de l’Union pour la République et la Démocratie -URD-

DiasporAction 2013-03-01 01:49:38