Pour Mohammed VI et sa diplomatie, il s’agit d’un périple politique et diplomatique somme toute classique : à Abidjan comme à Libreville, il n’a que des amis et des partenaires auprès desquels les opérateurs marocains de la banque, de la téléphonie et de la finance consentent d’importants investissements en partenariat avec des groupes français et mondiaux.
Dans ces capitales d’Afrique de l’Ouest, l’élite politique et économique aime Rabat et Marrakech et apprécie beaucoup l’hospitalité marocaine au point qu’elle préfère ne pas entendre parler ni du Polisario ni de la cause sahraouie pour laquelle elle n’a pas de sympathie. C’est sur cette élite issue principalement d’Afrique francophone et ayant ses relais à Paris et en Europe que compte le Maroc pour défendre depuis trente ans ses thèses sur le Sahara occidental et développer un « panafricanisme » hors des circuits de l’Union africaine qu’il a quittée en 1984 lorsque cette dernière, l’OUA à l’époque, avait décidé de reconnaitre la RASD.
Depuis, l’objectif principal de la diplomatie marocaine est d’élargir ce cercle et de l’étendre à d’autres pays comme la Guinée Conakry maintenant et de mener, comme l’Algérie jadis, une politique africaine tournée vers la coopération économique et scientifique : une sorte de « soft power » qui s’exprime notamment à travers l’université et l’enseignement supérieur. En 2014, plus de 8000 étudiants africains fréquentent les universités marocaines et plus de 6500 d’entre eux bénéficient de bourses de formation octroyées par le Royaume.
Cet engagement « panafricaniste » du Maroc, centré principalement sur l’Afrique de l’Ouest, est relancé par l’attention particulière et historiquement significative qu’accorde Rabat au Mali. Première étape de la tournée africaine de Mohammed VI, ce pays constitue pour la diplomatie royale une escale à part et dont l’importance n’est pas étrangère au très vieux contentieux diplomatique opposant le Maroc à l’Algérie.
Au sommet de l’OUA de juillet 1979 à Monrovia, le président Moussa Traoré, qui gouvernait alors le Mali, est parmi les chefs d’État du continent à aborder la question du Sahara occidental et à proposer un cessez-le-feu et un référendum d’autodétermination, une proposition rejetée par le Maroc. Lors du sommet de l’organisation panafricaine de juillet 1980 à Freetown, le Mali de Moussa Traoré est des pays qui allaient constituer le « comité des sages » pour se pencher sur la question de l’admission de la RASD dans l’organisation.
Si Rabat n’a pas rompu ses relations avec Bamako, contrairement à ce qu’elle a fait avec d’autres capitales africaines soupçonnées de sympathie pro sahraouie, donc pro algérienne, du point de vue du Palais royal, elle a toujours eu du ressentiment vis-à-vis de ce pays, qui a suivi l’Algérie dans ce qu’il considère comme une guerre contre son territoire et ses intérêts vitaux.
Jusqu’à la visite historique de Mohammed VI au Mali, pour la cérémonie d’investiture du nouveau chef de l’Etat malien, Ibrahim Boubacar Keïta, à Rabat comme à Bamako, on parlait d’ailleurs volontiers de gel des relations entre les deux pays.
Une brèche nommée MNLA
Les difficultés que l’Etat malien a connues depuis fin 2011 et la contribution marocaine à l’effort de guerre international et initié principalement par Paris contre les djihadistes qui avaient pris le contrôle du Nord-Mali en 2012 ont permis à Rabat de reprendre pied par le biais du renseignement et du militaire.
Ce processus de rapprochement avec un pays qui reconnait à la RASD le principe du référendum pour l’autodétermination des Sahraouis se poursuit à travers la « diplomatie des imams », allusion faite à l’initiative du Maroc de former des imams maliens pour contrer le radicalisme religieux.
Il se renforce sur le terrain ouvert de la médiation entre le gouvernement malien et les groupes touaregs rebelles du Nord.
Le groupe le plus sollicité, aujourd’hui, est le MNLA, un groupe indépendantiste qui développe des relations de méfiance et d’hostilité à l’égard de l’Algérie, le plus souvent pour des raisons doctrinaires, Alger étant fervent partisan de l’intangibilité des frontières héritées de la décolonisation, mais pas seulement. Ce groupe, dont le chef Bilal Ag Chérif, a été reçu à Marrakech fin janvier dernier par Mohammed VI, constitue non seulement une brèche ouverte à la diplomatie marocaine, mais aussi l’argument par lequel elle veut justifier son «utilité», selon l’expression utilisée par certains médias marocains. Pas seulement auprès de Bamako, qu’on voudrait bien voir abandonner sa sympathie et son soutien pour les Sahraouis, mais aussi sous le regard intéressé de Paris et de Washington : deux acteurs clés intéressés à ce que des acteurs régionaux considérés comme des alliés sûrs puissent jouer un rôle complémentaire ou concurrentiel, c’est selon les variations de la géopolitique, de ce que tente de faire l’Algérie.
Pour le Mali, qui veut profiter de toutes les opportunités qui lui sont offertes, tant au plan sécuritaire qu’économique, il n’y a pas de choix que d’applaudir le déploiement marocain. Samedi dernier, à Nouakchott, le ministre des Affaires étrangères, Zahabi Ould Sidi Mohamed, a déclaré que « Sa Majesté est l’ami du Mali auquel il porte un intérêt particulier». « Nous attendons beaucoup de cette visite royale qui devra relancer la coopération économique », a-t-il dit, relevant « le grand intérêt pour les hommes d’affaires marocains de venir investir au Mali ».
Halim Midouni
Source: L’Indicateur du 18/02/2014