Modibo Sidibé : «S’il n’y a pas de direction politique, le pays a l’impression de ne pas être véritablement conduit vers un port donné»

Du 12 au 20 juin 2016, l’ancien Premier ministre du Mali et non moins président du parti Fare Anka Wuli, Modibo Sidibé, à la tête d’une forte délégation, a séjourné à Paris. Là, il a eu des rencontres avec les militants et sympathisants de son parti. Avant d’animer un meeting à la Bourse du travail de Paris et une causerie-débat avec la diaspora dans un Foyer parisien. Le président des Fare a aussi accordé des interviews et des entretiens à certains médias. Dans l’émission «Invité Politique» sur RP Media, Modibo Sidibé est revenu sur l’état de santé du parti et son approche de la politique et de la gouvernance. L’accord d’Alger n’a pas été occulté.
Comment vont les Fare après trois ans de participation au sein de l’opposition parlementaire, opposition que vous ne connaissiez pas avant ; ça fait trois que vous êtes estampillé opposant. Comment se passe la vie d’opposant ?
Modibo Sidibé : Ça se passe très bien. Vous savez que lorsque je présentais ma Déclaration de politique générale, à l’époque, un certain nombre de partis politiques avaient décidé d’être dans l’opposition. Je me rappelle que j’ai salué fortement ce choix, qui est un choix démocratique. En même temps, je leur ai formulé le vœu que nous espérons, avec la qualité de gens qui animent cette opposition, le Parena, le Rpm et le Sadi, que nous allons pouvoir, sur les questions majeures de la Nation, avoir des majorités de progrès. Pour notre pays, pour notre peuple. Et pendant tout le temps, j’ai pu recevoir à deux ou trois reprises l’opposition, ou la majorité, pour discuter des questions majeures. Avoir leur avis, mais peut-être pas qu’ils sortent avec le mien, mais qu’ils sachent aussi quelles sont les contraintes que le gouvernement rencontre dans la gestion de certaines questions. Et nous aussi, pour que nous entendions des choses qu’on n’entend pas toujours dans notre Cabinet. Donc, c’est vous dire que, pour moi, c’est un jeu naturel. Et les Fare avaient, durant la précampagne, indiqué que la majorité et l’opposition, étant deux mamelles essentielles absolument indispensables, quelle que soit la situation, nous allons choisir d’être dans l’opposition constructive. C’est l’engagement que nous avions pris, si les Maliens, par la grâce de Dieu, ne nous apportaient pas leurs voix pour le mandat qui est en cours. Donc, c’est une position que nous vivons. Je n’étais pas non plus dans l’arène politique comme président de parti. Ça se passe très bien. Nous avons notre manière d’être dans l’opposition. Nous avons notre culture de la politique et de l’opposition. Ça se passe bien.
Si vous êtes dans l’opposition parce que les Maliens ne vous ont pas accordé le suffrage suffisant pour être président de la République, sinon vous serez du côté de la Présidence ou peut-être du côté de la mouvance présidentielle. À votre avis, vous avez dû analyser, avec votre staff autour, à quoi vous imputez le fait que vous n’avez pas été choisi par les Maliens pour diriger la destinée du Mali pendant les 5 ans à compter de 2013 ?
Nous avons bien entendu, comme chaque parti politique, fait le point de la situation, quand on affronte les élections majeures. Il est certain que pour nous, ça n’a pas été facile. Notre parti avait juste un an, même moins d’un an quand l’élection présidentielle se jouait. Nous avons été handicapés par le fait que moi-même j’avais dû, pendant 10 à 11 mois, être en situation de clandestinité entre guillemet, pour préserver ma sécurité. Pas en dehors du Mali, mais au Mali. Donc, tout ceci a été des handicaps avec toute la campagne, des trucs concernant ce que vous savez. Je ne vais pas revenir là-dessus. C’est un handicap, mais nous nous sommes battus.
Et deuxièmement, nous nous sommes dit : pas d’argent, pas de fraude. Nous voulons que le vote des Maliens soit transparent, nous voulons que le vote des Maliens soit respecté. Donc nous avons tiré un certain nombre d’éléments d’analyse. Vous et moi savions très bien qu’il y a eu énormément de choses qui n’auront pas dû être : l’armée dans la politique, l’administration partisane, la religion ou certains courants religieux impliqués. Je passe sur les autres éléments de fraude, etc. Le problème de NINA… Mais on s’était dit tous que mieux vaut une légitimité, quelle qu’elle soit, pourvu que ça soit une légitimité venant de notre peuple, plutôt que la situation que nous vivions, et donner ainsi une chance à notre pays, de pouvoir résoudre rapidement le problème de sécurité, le problème du nord, d’affronter donc le problème de développement économique, politique et économique. Nous avons tiré les conclusions et les éléments d’analyse, et nous nous sommes dit que nous avons eu raison de considérer que la politique, sans éthique, sans morale, sans valeur, ne peut être que caricature ; et nous ne serons pas caricatures aux FARE. Ça peut être dur, ça peut être difficile. D’aucuns pensent que nous sommes des idéalistes. Très bien. Mais nous savons aussi, vous et moi, que la République et la démocratie, le socle, c’est le citoyen. Le renouveau citoyen, le renouveau de la démocratie, il faut que nous nous battions pour ça ; et ça passe par le respect du vote des Maliens. Nous allons construire une alternative crédible sur le rôle d’une opposition. Nous voulons être une force politique qui ne convainc pas par la force de l’argent, mais par la force de ses arguments. Nous voulons être une force politique qui tient ses engagements. Et jeune force politique, nous avons montré que nous savons tenir nos engagements. C’est ce qui s’est passé entre les deux tours, et même après, parce que nous avions eu 6 députés, mais on n’en perdu 5.
Et pourquoi justement vous avez perdu 5 députés ?
Nous avons perdu 5 députés parce que le parti a été confronté à des difficultés, parce que nous nous tenions à ce que, rejoindre la majorité ou pas, ce n’est pas d’abord une question de programme. Pendant toutes les discussions qu’on a eues avant, on n’a dit que nous ne discutions ni gouvernement, ni poste ministériel, ni poste d’ambassadeur, avec qui que ce soit. Nous discutons programme, nous discutons projet pour le Mali. C’est tout. Si Dieu fasse que les Maliens aient confiance à notre projet, en ce moment, nous pourrons discuter de la manière à traduire ce projet en réalité et en programme. Mais pas avant, et ce n’est pas une question de sinécure. C’est une question de compétence et de capacité, à un moment donné, dans un comportement donné, et pour un objectif donné, du programme à conduire. Voilà ce dans quoi nous étions. D’autres ne l’entendaient pas de cette oreille, qui veulent la real-politique, la bien real-politique à la malienne telle que nous avions connue, qui a amené toute cette désaffection du citoyen vis-à-vis de la classe politique. Donc, voilà les désaccords sur la base desquels les 5 députés nous ont quittés.
Est-ce que vous le regrettez ?
M.S : Je ne le regrette pas.
Et s’ils demandaient à revenir ?
M.S : Ça, c’est autre chose. Ce n’est pas à moi de décider.
Oui, mais, si on vous consultait ?
Nous avions peut-être des différences d’approche d’abord, d’analyse, de diagnostic, de ce que notre pays avait connu et vivait. Vous savez, avant même le coup d’Etat, nous, nous avons indiqué qu’un renouveau démocratique était indispensable. Nous avons indiqué que la question intergénérationnelle était une question fondamentale, et que ça ne se faisait pas dans le conflit et la confrontation. Ça se fait dans un partenariat, dans ces chainons que la succession des aînés et des cadets permettent de tisser. De s’ouvrir à l’innovation que porte la jeunesse, tout en ayant cette expérience indispensable pour conduire les choses, dans les ruptures, mais aussi dans la reconnaissance des fondamentaux et des assises. Alors, dans ce cadre-là, nous avons une différence de vue. Nous, nous pensions que ce que notre pays avait subi, c’était une fenêtre d’opportunité pour que les Maliens se reparlent, pour que les Maliens se remobilisent pour leur pays, pour leur donner foi au Mali, foi en la République. Et pour ça, il faut qu’ils parlent de refondation. Parce que, ce qui s’est passé, ce n’est pas une défiance des Maliens vis-à-vis de la démocratie. Je l’ai dit il n’y a pas longtemps : les Maliens ne voudraient pas revenir à un régime antérieur. Ce qui s’est passé, c’est que la démocratie et ses institutions ont apporté certainement des réponses, mais pas toutes les réponses, et aussi ont été en butte à un problème de confiance, de crédibilité vis-à-vis des populations. Cela a amené à contribuer à ce que nous avons connu. Donc, pour nous, il fallait absolument refonder, avoir un temps, un programme d’urgence, pour répondre aux préoccupations majeures des populations, qui ne peuvent pas attendre, et même lancer ce qui pourrait être dans la suite de l’accord de Ouaga, les premières négociations, comme c’était attendu dans les 60 jours. Mais surtout préparer le grand débat national pour que les Maliens se parlent, partagent les enjeux, les défis et voir comment construire un avenir commun. Parce que, comme l’autre l’a dit, un Prix Nobel, il soutient que la démocratie, ce n’est pas seulement le vote. C’est aussi des débats publics autour d’un projet commun. Quel est le projet commun que les Maliens veulent définir ? C’est pourquoi, nous, on parle toujours de dialogue national et de refondation de la nation. Pour apprécier la gouvernance du président actuel, il faudra d’abord savoir quelle est la différence. Ce n’est pas des critiques stériles, politiciennes, nous avons une différence d’approche et une différence de vue sur la manière d’aborder les questions. C’est cette différence que je suis en train de vous expliquer.
Deuxièmement, nous pensons que dans ce cas, à l’issue de cette discussion, les conclusions majeures de cette discussion entre les Maliens, il fallait engager le pays dans une transition. Une transition puisque nous étions en condition de pré-transition avant le coup d’Etat, maintenant atteindre les conditions d’une pré-émergence, mais vraiment une émergence pour le développement, parce que émergence ne se confond pas forcément avec le développement. Donc à l’issue de ce débat de transition institutionnelle, transition culturelle, économique, infrastructurelle, transition socio-économique, socio-éducative vers la création de l’émergence d’un véritable capital humain, de transition intergénérationnelle. Donc, nous sommes dans une approche différente. Aujourd’hui, la grande critique à partir de là, ce que la gouvernance qui ne s’est pas écrite dans ce cadre-là, ne peut pas être une gouvernance efficiente pour nous.
Troisièmement, nous l’avons toujours dit : il y a un déficit de direction du pays. Où veut-on conduire le pays ? Quel est le cap donné au pays ? On peut être d’accord, on peut ne pas être d’accord, mais le pays a besoin de cap. Ça, c’est très important. C’est notre plus grande critique d’observation à la gouvernance actuelle. Sans tomber dans les questions de gouvernance, de politique financière et d’autres questions. Vous voyez, je prends le cas de l’accord : pourriez-vous me dire quelle est la direction politique, quel est le projet politique qui habite l’accord ? On n’a en pas. C’est l’une de nos critiques majeures en disant qu’il n’y a pas de direction politique. S’il n’y a pas de direction politique, le pays a l’impression de ne pas être véritablement conduit vers un port donné. Vous avez le fameux adage : «Celui qui ne sait pas où aller, aucun vent ne le portera là-bas».
Source : RP Media