« Avec l’ECO, la Cedeao pourra être la 18ème puissance économique au monde »
La création du franc malien était au cœur d’une conférence débat tenue le samedi 20 août 2022 par l’association pour la promotion des idéaux des Pères des indépendances africaines. Avec notamment Modibo Mao Makalou, il s’agissait de parler de la vision pour la mise en œuvre, les obstacles et la politique monétaire propre au Mali.
C’est au Mémorial Modibo Kéita de Bamako, que le débat relatif à la faisabilité de la monnaie unique, une recommandation de plusieurs Maliens, était à l’ordre du jour. « Il y a un adage qui dit que le passé de l’économie éclaire son avenir. Donc nous sommes ici pour tirer les enseignements de ce que nos illustres prédécesseurs ont fait, c’est-à-dire ceux qui nous ont donné l’indépendance en 1960. Ils sont à l’origine du franc malien qui a été créé, le 1er juillet 1962. C’était pour financer le plan de développement économique et social sur une période de cinq ans. Donc les infrastructures, le développement rural, le social, les services sociaux de base, la recherche minière entre autres », introduit l’économiste Modibo Mao Makalou.
Pour lui, il fallait des moyens pour atteindre ces objectifs et cela se fait sur financements interne et externe. « Si vous avez votre propre monnaie, ça vous donne plus de marge de manœuvre. Mais la monnaie, c’est d’abord la discipline et la rigueur. Et évidemment, toute monnaie doit être adossée à des avoirs, c’est-à-dire le stock d’or et le stock de devise (les avoirs extérieurs nets). Vous devez avoir les moyens de vos ambitions, cela est très important en matière de gestion monétaire », précise-t-il. Pour Modibo Mao, l’insuffisance du franc malien a été son manque de convertibilité. Une chose, dit-il, qui a d’ailleurs fallu que nous ayons recours encore à la France pour assurer notre convertibilité.
Selon ses explications, la parité, c’est-à-dire le prix d’une monnaie par rapport à une autre est fixé en fonction des échanges. De son point de vue, si votre monnaie est non convertible comme ça été le cas pour le franc malien, cela veut dire qu’elle n’est pas consommable en dehors du pays. Donc, dit-il, il va falloir des devises pour acheter et vendre à l’extérieur. « Mais si vous ne transformez pas, évidemment ça va être très compliqué. En récapitulatif, ça dépendra de ce que vous produisez chez vous, ce que vous achetez à l’extérieur et les produits surtout à transformer que vous vendez à l’extérieur », martèle-t-il.
Le charme du franc malien et son résultat remarquable ont été décrits par Daouda Tékété. Modibo Mao Makalou rétorque que le 12 décembre 1967, on a été obligé de conclure des accords avec la France pour pouvoir revenir dans le franc CFA. Le Mali n’a pu revenir que le 1 juillet 1984. « Nous avons attendu beaucoup. Pourquoi sommes-nous revenus si le franc malien avait autant d’avantages ? Il fallait mieux rester. Les difficultés étaient énormes », a-t-il fait savoir.
Quelle politique monétaire pour le Mali ?
Pour l’économiste Macalou, les pionniers du panafricanisme notamment le président Kouamé Krouma a toujours insisté sur une zone monétaire africaine et une banque centrale africaine. Pour lui, aujourd’hui, c’est ce que l’Union africaine veut avoir à l’horizon 2063. « Il faut que les Africains se donnent la main, c’est l’intégration africaine qui va rendre les Africains plus forts et non la balkanisation c’est-à-dire quand chaque pays fait sa propre monnaie » conseille-t-il. Il ajoute : « quand nous avons la défense, la politique extérieure et une monnaie commune, l’Afrique va compter parmi les nations les plus puissantes au monde » rassure-t-il.
Selon lui, le Mali est dans un regroupement économique et monétaire, c’est-à-dire l’Union économique et monétaire ouest-africain qui compose huit pays qui partagent le franc CFA. Aussi le pays est membre d’un autre regroupement qui est la Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest (Cedeao). « Nous allons vers une monnaie unique de la Cedeao à l’horizon 2027 qui se nomme l’ECO. Nous allons avoir une banque centrale de type fédérale avec une monnaie qui sera adossée à plusieurs monnaies et elle sera flexible. C’est ce qui va nous permettre en Afrique de l’Ouest d’aller vers l’intégration économique et monétaire. Si cela se fait, l’Afrique de l’Ouest c’est-à-dire la Cedeao pourra être la 18ème puissance économique au monde. Mais pour que les pays aient la même monnaie, pense-t-il, il faut qu’il ait une convergence économique, la rigueur et qu’on puisse harmoniser les politiques économiques c’est-à-dire monétaire et fiscale. « C’est la principale difficulté parce que les pays n’ont pas le même niveau de gouvernance », a-t-il dit.
Pour l’économiste malien, la monnaie nationale aujourd’hui n’a pas tellement de sens parce que l’idée est d’aller vers les grands regroupements. « Vous avez les Etats-Unis avec leur banque centrale, ils ont des difficultés pour faire face à l’inflation parce qu’elle est fixée à 2% par la banque centrale des Etats-Unis, mais elle est jusqu’à 9,1%. La banque centrale européenne, les 17 pays qui consomment l’euro ont fixé le seuil de l’inflation à 2% mais aujourd’hui, elle est à 8,9 %. Quant à nous, les huit pays qui sont en Afrique de l’ouest ont axé le seuil de l’inflation à 3% mais nous sommes à 7,3 %. Pour dire que toutes les banques centrales ont des difficultés et plus un pays est petit et a sa propre monnaie, il aura des difficultés », a-t-il laissé entendre. L’exemple type pour Mao est le cas du Ghana qui pour lui, malgré son statut d’un des pays les plus performants de la sous-région a une inflation de 30% aujourd’hui et subit de forte pression pour dévaluer sa monnaie.
L’ECO, une monnaie qui déjà fait polémique !
Pour l’économiste Modibo Mao Makalou, il y a une confusion, car il y a deux ECO. Les réformes monétaires qui ont été entreprises au niveau du FCFA en 2019, quand le président de la France et son homologue de la Côte d’Ivoire parlaient de la réforme du FCFA, c’est l’ECO-FCFA.
Par contre, dit-il, l’ECO dont nous parlons et que nous voulons, c’est l’ECO des 15 pays de la CEDEAO donc les pays anglophones, lusophones et francophones. Et c’est cet ECO qui sera la monnaie des 15 pays en 2027, s’il plait à Dieu » conclut-il.
Abdrahamane Baba KOUYATÉ