Le Collège de l’émergence des nouveaux entrepreneurs agricoles (CENEAG) est une structure créée et co-présidée par Mmes Aminata Konaté Bouné et Koné Hawa Touré. Dans le cadre de leurs activités, elles envisagent très prochainement des initiatives au Mali. Pendant le court séjour qu’elle vient d’effectuer au Mali, nous avons eu un entretien avec Mme Aminata Konaté Bouné. Elle nous a parlé de son séjour, des projets du CNEAG, de la diaspora… Interview !
Le Matin : Quel est l’objet de votre séjour au Mali ?
Aminata Konaté Bouné : L’objectif principal de ce séjour de travail était de rencontrer les acteurs du secteur agricole, nouer les partenariats nécessaires au bon déroulement du projet de Forum et nous imprégner du terrain, de l’existant afin de mieux calibrer notre action. Mais, chaque séjour est également pour nous une occasion supplémentaire de nous ressourcer, de revoir la famille, les amis et de faire le plein de vitamine, le soleil manquant en Occident (Rires).
Quel sera le thème du Forum envisagé ?
Aminata Konaté Bouné : La thématique de notre Forum est la vulgarisation de l’Agro-écologie et la transition écologique pour les agriculteurs avec l’objectif de promouvoir une agriculture saine, productive et durable, génératrice de revenus pour les porteurs. Nous avons aussi à cœur la sensibilisation sur les effets du réchauffement climatique sur les pratiques à éviter grâce à l’implication de tous.
Quels sont les objectifs visés par le CENEAG à travers cette initiative ?
Aminata Konaté Bouné : En tant qu’objecteur de conscience, le Collège de l’Emergence de Nouveaux Entrepreneurs Agricoles (CENEAG) mène un plaidoyer en faveur de l’agro-écologie par l’utilisation de méthodes pédagogiques accessibles au plus grand nombre avec pour objectif, un positionnement clair et affiché du politique en la matière. Il n’y a aucune innovation car ces procédés existent déjà, notamment dans l’agriculture paysanne.
Tout l’enjeu sera donc de concilier rentabilité, productivité et santé environnementale, donc physique. Il s’agit aussi de favoriser l’émancipation des femmes par l’entrepreneuriat agricole durable et leur permettre de sortir de l’informel et de devenir à leur tour actrices majeures de la société en créant de l’emploi, donc en contribuant à la réduction de l’exode rurale.
Quel sera l’impact sur la modernisation de l’agriculture souhaitable au Mali ?
Aminata Konaté Bouné : Le Mali deviendra de ce fait la vitrine de l’agroalimentaire durable ouest africaine et l’agriculture sera le plus grand secteur générateur de revenus pour les femmes, socle de la société africaine. Pour chaque femme accompagnée, un acacia sera planté et nous sensibiliserons également les agriculteurs favorables à la transition écologique afin qu’ils plantent également des arbres afin de devenir de réels contributeurs à la lutte contre le réchauffement climatique.
L’objectif est donc de produire des aliments de qualité générateur de revenus pour les femmes en zone rurale et d’emploi pour les jeunes avec un accroissement du chiffre d’affaires pour les agriculteurs qui auront valorisé leurs productions.
Quelles peuvent être les dividendes de ce salon pour les femmes rurales au Mali ?
Aminata Konaté Bouné : Notre Forum s’inscrit pleinement dans la continuité du «Forum genre et développement» qui s’est tenu en marge du Sommet-Afrique France en décembre 2016. Forum pour lequel nous avions été rapporteurs de la «Déclaration de Bamako». Au cours de ce Forum, nous avons évoqué les nombreuses difficultés rencontrées par les femmes.
Bien qu’elles représentent 70 % de la force de travail agricole et génèrent entre 60 et 80 % des denrées alimentaires du continent, elles demeurent marginalisées, par une insuffisance politique en faveur de leur émancipation. Notre initiative vise à les approcher afin qu’elles comprennent la nécessité pour elles du passage du secteur informel vers le formel. Notre rôle sera de les accompagner à leur rythme vers cette transition.
Avez-vous réussi à nouer des partenariats pendant votre séjour autour du Forum ?
Aminata Konaté Bouné : De nombreux partenariats ont été initiés avant notre séjour. Notre participation à la conférence donnée lors de la Journée du Mali au Salon de l’agriculture de cette année en France en est une des résultantes.
Ici nous avons été au plus près des agriculteurs pour expliquer notre démarche et récolter leurs commentaires. Notre démarche s’adresse à tous sans distinction de taille (agriculture paysanne, familiale ou agro-business). L’objectif est d’accompagner toute personne désireuse d’investir dans le domaine agricole et de l’amener à intégrer la dimension écologique dans son projet.
Qui sont ces partenaires déjà engagés ?
Aminata Konaté Bouné : Nous avons les partenariats institutionnels classiques, à travers le ministère de l’Agriculture et des partenariats privés avec des entrepreneurs, des agronomes et des coopératives. Toutes ces valeurs sûres viendront enrichir le contenu du Forum par leur retour d’expérience.
Pourquoi tant d’attachement au Mali ?
Aminata Konaté Bouné : Pour paraphraser le célèbre humoriste Djamel Debouze, «On ne choisit pas entre son père et sa mère». En d’autres termes nous appartenons au Mali et à la France. Telle est notre richesse. Notre attachement premier nous vient forcément de nos parents, de cet héritage culturel empreint de nobles valeurs qui constituent aujourd’hui le ciment de notre identité. Mais ce sont également nos engagements respectifs, toujours dans la continuité de ceux initiés par nos aînés. Engagements d’abord associatif, entrepreneurial ou politique.
En somme le Mali fait partie intégrante de ce que nous sommes. Et cette question qui nous est régulièrement posée nous étonne tout autant à chaque fois. Notre identité multiple, puisque binationales pour Hawa et moi, est complètement assumée et vécue comme une plus value au sein des deux espaces. Même si par moment on tente de nous mettre dans des cases qui ne sauraient être nôtres.
Le CENEAG nourrit-il d’autres projets au Mali ?
Aminata Konaté Bouné : Notre structure, jeune et ambitieuse, se développe pour l’instant sur les deux territoires malien et français. Nous avons ainsi initié un projet d’Agro-Boots, des camps pour enfants avec le soutien de la Première Dame. Un groupe d’enfants viendra cet été se familiariser avec la terre, substance méconnue pour eux en France, tant tout est bétonné. Ils visiteront de nombreuses installations agricoles, ferme pédagogique et activité annexe de ferme… L’objectif étant de les familiariser au plus tôt à un environnement jusque là très éloigné d’eux.
-Quel appel lancez-vous aux Maliens de la diaspora par rapport à la reconstruction et au développement durable du Mali ?
Aminata Konaté Bouné : Vous savez la Diaspora n’a jamais attendu pour s’impliquer dans le développement du Mali. Nul besoin d’appuyer sur l’effort financier consenti annuellement par celle-ci, toute diaspora confondue. La participation de la Diaspora à la conférence des donateurs de Bruxelles à travers ma personne et celle de Mahamadou Camara venu de Côte d’Ivoire en 2013 en est la preuve.
Nous avons été les porte-voix de cette Diaspora consciente et impliquée au niveau des plus hautes instances. Concernant la reconstruction, elle ne pourra se faire qu’ensemble, donc Diaspora et Maliens de l’intérieur unis. Et je pense que le processus est engagé.
La question du développement durable demeure encore timide selon nous. Personne n’a le monopole de l’écologie. Il s’agit d’une question de survie de notre espèce. Nous devons donc tous nous saisir de la question au quotidien, dans nos pratiques et dans notre éducation.Quel appel lancez-vous à vos sœurs du Mali en perpétuelle quête d’autonomisation ?
Aminata Konaté Bouné : L’appel lancé à nos sœurs sera forcément empreint d’humilité car nous n’avons pas de leçon à donner. Cependant à nos braves et vaillantes sœurs, nous dirons ceci : Le leadership féminin doit et peut être mis au profit des résolutions de nombreuses crises que nous traversons.
Le monde est en mutation et les femmes sont à l’avant garde. Mais l’objectif d’autonomisation ne sera atteint sans solidarité féminine. À ce niveau là de grands efforts sont à entreprendre.
Et aux hommes, nous dirons que le féminisme n’est pas une question de genre, mais bien de respect et d’égalité. Nous devons donc mener ces combats conjointement et non séparément, pour un meilleur vivre ensemble.
Propos recueillis par
Moussa Bolly
Le Matin,