La mise en place de ces autorités était prévue dans l’accord d’Alger signé par Bamako et les groupes armés du septentrion, mais elle n’avait pas vu le jour en raison des divergences dans l’interprétation du contenu de cet accord.
Il a fallu attendre le 31 mars dernier pour voir l’Assemblée nationale du Mali adopter la loi y relative, sur fond de batailles rangées entre les députés de la mouvance présidentielle et ceux de l’opposition qui ne voulaient pas en entendre parler.
Depuis, plusieurs rencontres ont été initiées par le Gouvernement malien pour convaincre les élus du nord d’accepter de se dépouiller de leurs attributs au profit des membres de la CMA et de la Plateforme, afin de pacifier cette partie éruptive du pays.
Les multiples missions de bons offices dépêchées par Bamako n’ont manifestement pas atteint leurs objectifs, puisque les élus locaux ont vivement protesté contre ce qu’ils qualifient de hold-up, les futurs représentants des populations du nord manquant à leurs yeux de légitimité pour avoir usurpé leur titre par la force et la puissance de leurs armes.
Alors que le terrain n’a pas été proprement balisé pour accueillir à bras ouverts les nouvelles autorités administratives, fussent-elles provisoires, voilà que Bamako décide de passer de la parole aux actes en installant les « usurpateurs » dans leurs fonctions ce vendredi 15 juillet 2016.
En prenant cette décision marquée plus par la transpiration que par l’inspiration en raison du vacarme et de la polémique au début et à la fin de la session parlementaire, les députés de la majorité et par la suite le gouvernement malien, ont fait preuve de myopie sociopolitique, d’autant qu’en plus de la vive protestation de l’opposition, c’est tout un « niragongo » social qu’ils ont réveillé chez la plus grande partie des populations du nord. Et comme à l’accoutumée, c’est Gao qui a d’abord sonné la charge, en manifestant publiquement et malgré l’opposition du gouverneur de la région, contre à la fois la composition de ce que d’aucuns ont qualifié de délégations spéciales, et le principe même de l’installation de ces membres, car cela consacrerait à leurs yeux la partition du Mali.
Ce serait une erreur de vouloir appliquer une disposition qui fait trop de gorges chaudes
La situation s’est vite dégradée depuis que les forces de l’ordre à la gâchette facile ont tiré à vue sur les manifestants, occasionnant la mort de 3 d’entre eux et en en blessant une trentaine.
Il n’en fallait pas davantage pour que d’autres villes du Mali comme Bamako, Kati et hier Tombouctou se mêlent pour ainsi dire à la danse, mettant ainsi le gouvernement malien et ses suppôts dans l’embarras, puisqu’ils doivent faire face désormais à un choix cornélien : passer outre les signaux d’alerte lancés par les élus locaux, les mouvements citoyens et les associations des jeunes des régions nord du pays et installer les autorités provisoires au risque d’ouvrir un front, social cette fois-ci, dont ils auraient dû se passer, ou reporter sine die les cérémonies d’installation et inévitablement s’attirer les foudres des autres parties signataires de l’accord d’Alger, qui ont commencé déjà à saliver à l’idée de jouir des pouvoirs exorbitants que leur confère leur statut d’autorités intérimaires.
Dans un cas comme dans l’autre, Ibrahim Boubakar Kéita (IBK) et ses ouailles ont du souci à se faire, puisqu’ils sont pris entre le marteau de la résistance citoyenne et l’enclume de la rébellion armée.
Cette posture non enviable contribuera non seulement à éroder davantage le pouvoir déjà fragilisé de IBK, mais aussi à donner du tonus aux barbus et autres criminels qui ont repris leurs meurtrières parades entre le far west du nord et le nouveau no man’s land du centre.
Comment les futures autorités vont-elles, dans ce contexte, asseoir leur hégémonie dans cette partie du Mali alors que la majorité des populations qu’elles sont censées représenter ne les reconnaissent pas ou les méprisent ? Le problème ne se trouve pas seulement dans les erreurs de casting, mais aussi dans l’incompréhensible méconnaissance par les gouvernants, de la psychologie des populations locales qui sont traditionnellement opposées à tout parachutage du genre.
Dans cette crise malienne où on est passé d’une rébellion armée à une guerre civile à relents identitaires, il faudrait éviter de renforcer la conviction de ceux qui ne jurent que par la république du Mali, et qui pensent qu’il leur faut aujourd’hui abandonner leur sagesse et prendre des armes, puisqu’apparemment, c’est le seul langage audible par les autorités maliennes en panne de stratégies et d’approches politiques salvatrices pour la paix et l’unité du pays.
Le calme relatif revenu à Gao suite aux discussions entamées par les émissaires de Bamako et les représentants des protestataires n’est pas tout à fait rassurant, et ce serait une erreur, voire une faute politique de la part du gouvernement malien que de vouloir appliquer une disposition qui fait, avant même son application, trop de gorges chaudes, juste pour contenter ses partenaires étrangers et amadouer des groupes armés par qui le malheur a fait son nid au Mali.
Si la souveraineté du pays peut être discutée et partiellement remise en cause pour éviter à ce pays de sombrer définitivement dans le chaos, ce n’est pas un réaménagement ou un petit rétropédalage dans l’application d’un accord de sortie de crise qui pourrait remettre en cause tout le processus.
A condition toutefois que tous les acteurs soient de bonne foi, ce qui n’est malheureusement pas le cas dans ce pays devenu un danger pour lui-même et pour toute la sous-région ouest-africaine.
Hamadou GADIAGA
Lepays.bf