Mémorandum sur le fiché électoral L’opposition tacle Soumeylou Boubèye 

 

Lors de son séjour à Ké-Macina (région de Ségou), le 3 mars dernier, le Premier ministre, Soumeïlou Boubèye Maïga, avait déclaré que : « Certains  croient que la vie du Mali s’arrête aux élections. Et qu’elles n’auront pas lieu parce qu’ils veulent être président de la République sans élections… ». Le Chef du Gouvernement avait réitéré la même chose lors d’une rencontre avec les associations de jeunes à Bamako le 10 mars : «Ceux qui veulent le pouvoir sans aller aux élections n’ont qu’à le savoir…. Même si le président IBK est le seul candidat, il y aura élection ».

Il n’en fallait pas plus pour que l’opposition sorte de son gong et prenne à partie le Premier ministre. En effet, dans un document mémorandum en date du 12 mars 2018, les partis politiques de l’opposition qualifient ces déclarations du PM de « surprenantes et intrigantes », traduisant sans aucun doute « le subconscient d’un Premier ministre qui ne veut pas d’élection dans les délais constitutionnels et qui a besoin de six à douze mois pour, espère-t-il, consolider son emprise sur le pays. D’où des propos incohérents d’une semaine à l’autre ». Le Premier ministre est-il en train de préparer les esprits à la tenue d’élections bâclées dont le président sortant serait le seul candidat ?  A-t-il conscience que son gouvernement est dans l’incapacité de respecter  les délais? S’interroge l’opposition qui trouve que le Président et ses gouvernements successifs ont eu cinq années pour préparer l’élection présidentielle, mais ils ont traîné les pieds. « Pire, si leur tentative de révision constitutionnelle avait réussi,  il n’y aurait pas eu d’élection présidentielle en juillet 2018. Ils avaient en effet, glissé subrepticement dans leur projet un article 36 nouveau qui aurait permis, « en cas de force majeure » que le président de la République reste en fonction jusqu’à « l’élection de son successeur ». « Fort heureusement », s’exclame l’opposition, la mobilisation du peuple malien, à l’intérieur comme à l’extérieur, a mis en échec ces plans. Pour l’opposition, il n’y a jamais eu de plan B.  Il faut tenir l’élection présidentielle dans les délais prescrits par la constitution de 1992. Mieux, s’indignent-ils, les dirigeants de l’opposition, respectueux de la Loi fondamentale, n’ont jamais évoqué ni report, ni boycott de l’élection présidentielle. Ils ne s’énervent pas en évoquant « ceux qui croient que la vie du Mali s’arrête aux élections ». C’est dans cet esprit que le 11 janvier 2018, lors de la visite du Premier ministre au siège de l’opposition, les dirigeants ont insisté sur un audit indépendant du fichier électoral et sur la mise en place d’un comité paritaire pour convenir de toutes les étapes du processus électoral afin que toutes les décisions se rapportant à la présidentielle soient prises de façon consensuelle.

Aussi, lors d’une réunion, le 31 janvier, avec le ministre chargé des élections, un comité paritaire d’experts a été désigné. Ce jour-là, l’opposition s’est étonnée de la publication dans la presse d’un appel d’offres pour confectionner, entre autres, huit (8) millions de cartes d’électeurs sans discussion préalable avec les parties prenantes au processus électoral.

Interpellé sur le sujet, le ministre a répondu que la publication de cet appel d’offres était une « erreur » et que l’appel d’offres allait être annulé. Et si le comité d’experts a siégé pendant un mois, ses travaux, regrette l’opposition, ont été boycottés par la Convention de la majorité présidentielle (CMP). N’empêche qu’en dépit de la mauvaise foi de la majorité, étalée sur la place publique, le comité d’experts a rendu compte de ses travaux les 1er et 2 mars au cours d’une rencontre présidée par le ministre de l’administration territoriale et facilitée par la MINUSMA. Une réunion qui a pris acte d’importantes propositions  pour la transparence des opérations électorales, dont entre autres : – un audit international du fichier électoral ; – des cartes électorales biométriques avec photo et indication du bureau de vote en lieu et place des cartes NINA ; – la prise en charge par l’État d’un assesseur de l’opposition et de la majorité dans chaque bureau de vote ; – les bulletins de vote comportant, au dos,  les signatures du président du bureau de vote et des assesseurs de la majorité et de l’opposition ; – la consultation des partis politiques avant la détermination du nombre et  l’emplacement des bureaux de vote.

« Toutefois, l’opposition déplore le refus du ministre chargé des élections d’engager des discussions sur l’indispensable réforme des procédures de la cour constitutionnelle pour prendre en charge les pertinentes recommandations de la Mission d’observation électorale de l’Union Européenne.  Centralisant et proclamant les résultats, juge en dernier ressort (et  sans possibilité d’appel) du contentieux de la présidentielle et des législatives, la Cour constitutionnelle ne saurait continuer à user de critères et de procédures opaques, souvent « à la tête du client ».

Le Mali étant un des rares pays d’Afrique où les élections sont encore organisées par le Gouvernement, l’opposition avait demandé le renforcement des attributions de la commission électorale nationale indépendante (CENI) afin de remédier à la forte implication de l’Administration. Or,   la CENI qui n’a qu’un vague pouvoir de supervision verra ce rôle amputé,  sur insistance du ministre, dans l’article 83 nouveau qui sera proposé à l’Assemblée Nationale. La nouveauté la plus importante, et la plus inquiétante pour l’opposition, est l’introduction de tablettes informatiques.

Dans un souci louable d’identification de l’électeur et de transmission rapide des résultats, le gouvernement a déjà pris des mesures pour commander plus de 27.000 tablettes informatiques (une dans chaque bureau de vote du Mali). Ces tablettes seront manipulées par  des milliers d’opérateurs recrutés à cet effet et dépendants de l’Administration. Elles coûteront la bagatelle de 35 milliards de francs CFA.  Un marché gré à gré est en cours de signature. L’opposition estime que l’introduction de cartes biométriques et de  tablettes informatiques procède, a priori, d’une intention louable de transparence, mais elle pourrait être  de nature à alourdir un processus qui accuse beaucoup de retard.

Aucune innovation susceptible de compromettre la tenue de la présidentielle dans les délais  ne doit être prise, estime l’opposition qui recommande, entre autres : a. maintenir le principe « de la supervision par la CENI » dans l’article 83 de la loi électorale ; b. au regard du rôle critique de la Cour constitutionnelle, réformer les procédures de cette institution pour plus de transparence ; c. demander au Conseil de Sécurité d’ajouter au mandat de la MINUSMA qui sera renouvelé prochainement, une plus grande implication dans l’organisation de l’élection présidentielle allant jusqu’à la certification des résultats comme en Côte d’Ivoire en 2011 (Une telle décision contribuera fortement à la stabilisation du Mali et à la sortie de crise. En outre, elle sera une réponse appropriée aux inquiétudes et aux dernières déclarations du Premier ministre) ; d. publier le chronogramme des opérations préalables à la tenue du scrutin présidentiel ; e. convenir, le plus tôt,  avec tous les acteurs du processus électoral, des  modèles de : • procès-verbaux, • carte d’électeur, • bulletin de vote, • procuration. En conséquence, l’opposition invite le Gouvernement à se concentrer sur l’essentiel et à éviter toute  mesure pouvant entraîner des retards conduisant à un glissement du calendrier électoral. Enfin, prenant à témoin l’opinion nationale et internationale, l’opposition estime que si le Gouvernement signe, dans des délais  aussi courts, le  marché des tablettes informatiques, il sera seul responsable des conséquences imprévisibles qui seraient de nature  à remettre en cause les délais constitutionnels. Une question cependant : la confection de cartes électorales biométriques avec photo et indication du bureau de vote en lieu et place des cartes NINA, telle que proposée par le comité d’experts, est-elle matériellement possible, quant on sait que les élections présidentielles, c’est dans seulement un peu moins de quatre mois ?

Salif Diallo