Le Républicain : Quelle appréciation faites vous des arrestations de civils et de militaires qui ont suivi l’action des bérets rouges en date du 30 avril 2012 ?
Me Brahima Koné : En tant qu’homme de droit, je déplore la situation dans laquelle ces arrestations interviennent. Nous avons eu connaissance d’une tentative de contre coup d’Etat contre la junte qui elle-même a fait un coup d’Etat. Il y a eu des échanges de tirs entre les différents hommes en uniforme, occasionnant des morts et de nombreux blessés, aussi bien du côté des militaires que du côté des civils. Nous déplorons cela. S’agissant des arrestations, je pense que s’il y a des indices contre des personnes qui seraient à la base de ce contre coup, elles pourraient se justifier par cela. Mais, je souhaite qu’elles se fassent dans le cadre de la justice qui va mener tout le processus jusqu’à l’organisation d’un procès équitable. Autrement, nous ne sommes pas d’avis que l’on procède à des arrestations arbitraires comme ce fut souvent le cas. Il faut que les arrestations se situent dans un cadre purement légal.
Quelle est la lecture que vous faites de la situation globale du pays ?
La situation globale du pays est cristallisée autour de deux points. D’abord sur le plan politique, nous avons constaté, depuis l’avènement du putsch du 22 mars 2012, une division terrible au sein de la classe politique avec la création de différents fronts. Un front qui lutte contre le putsch et l’autre pour le soutenir. Avec par ailleurs, une société civile totalement divisée. Ceci est déplorable. Depuis lors, on n’a jamais connu la moindre stabilité politique. Ce qui a amené le Mali à se retrouver dans les mailles d’une certaine communauté internationale : la CEDEAO. Elle est pratiquement devenue l’institution qui décide du sort même du peuple malien souvent dans des conditions qui laissent à désirer.
De l’autre côté, nous avons également la partition du territoire, avec la prise des régions de Kidal, Tombouctou et Gao, par le MNLA et les groupes islamistes armés comme Anne Sardine, Aqmi, Boko Aram et MJUAO. Le nord du Mali est coupé de l’autre partie du territoire avec des violations graves et massives des droits de l’homme et du droit international humanitaire, avec le massacre des soldats maliens à Aguel Hock, les viols des femmes et des filles, le pillage généralisé des biens de l’Etat et des personnes. Franchement la situation d’ensemble du pays n’est pas du tout bonne.
Quelle est votre appréciation de la décision du Professeur Dioncounda Traoré de quitter les fonctions du Président de la République au soir du 40ème jour de l’intérim ?
La situation par rapport à la transition résulte d’un mauvais postulat du départ. A mon avis, on ne devait pas se limiter à l’article 36 de la constitution pour envisager cette transition, pour la simple raison que cet article concerne une situation normale. Mais, nous sommes dans une situation exceptionnelle. Il y a eu un putsch où les institutions ont été déstabilisées, sinon même dissoutes. Alors s’il faut aller dans le sens de l’article 36, les 40 jours à mon avis devraient certainement être consacrés à l’élection du nouveau Président de la République. Il est clair qu’il n’est pas possible d’organiser quoi que ce soit en 40 jours, surtout en période exceptionnelle. Dès le départ, les données ont été faussées. Je pense que les hommes politiques maliens, la société civile sont d’une certaine maturité qui devait leur permettre de s’asseoir pour définir les règles de la transition, notamment les organes, la durée. Cela ne devait pas être laissé à une structure régionale qui connaît certainement quelques réalités du Mali, mais pas mieux que les citoyens maliens et les hommes politiques de ce pays.
Cela a faussé les données. A mon avis, il faut rapidement se retrouver pour échanger autour de la transition. Et, je n’exclus pas l’idée d’organiser une conférence nationale souveraine ou même une convention nationale avec des termes de références pour que chaque composante y prenne part afin de donner son point de vue sur la période qui sera consacrée à la transition. Il y a eu des problèmes parce que l’Accord cadre a clairement délimité la période de l’intérim et dit qu’à la fin de l’intérim, le Comité devait se retrouver avec la CEDEAO pour déterminer la durée de la transition. Mais de façon unilatérale, la CEDEAO a décidé de la durée de transition. Et cela a été considéré comme un mépris pour le peuple malien, mais également une violation de l’Accord cadre.
Comment vous entrevoyez la transition malienne ?
Nous avons déjà un gouvernement en place. Il faut maintenant s’entendre sur la présidence de cette transition. Et, comme, je l’ai dit, il faut que l’on organise une conférence nationale souveraine pour décider de cela. Je trouve aussi qu’une période d’un an ne suffit pas à régler le problème auquel le Mali est confronté aujourd’hui. Il ne faut pas oublier aussi l’organisation des élections. Ce sont les trois priorités : la situation du nord, la mise en place des organes de la transition et surtout l’organisation des élections. Or nous savons que le fichier électoral actuel n’est pas du tout crédible. Il a fait l’objet de beaucoup de critiques et de façon unanime les acteurs politiques l’avaient rejeté. Donc, la révision du fichier va prendre certainement un peu de temps. Il va falloir aussi gérer la situation du nord pour libérer le Mali, parce que tenir des élections pendant que le pays est en partition, ne semble pas répondre à l’esprit démocratique. Voilà des priorités qui prendront pour leur résolution au moins 18 mois.
Assane Koné
Le Républicain Mali 14/05/2012