Mary Beth Leonard, ambassadeur des Etats Unis d’amerique / « Le CNRDRE doit se retirer du processus

Le CNRDRE doit se retirer du processus de la transition.  S’ils y restent alors ce dont on a affaire n’est pas un coup d’état renversé, mais plutôt un coup d’état reporté. Le communiqué  de la réunion à Abidjan, que vous auriez sans doute vu,  dit très concrètement, très clairement qu’il faut qu’il se retire et même se dissoudre. On a parlé aussi de l’insécurité au Nord. C’est une question qui touche tous les pays de la région. Et dans le cas du Mali, tout le monde est ferme pour exiger le respect de son intégrité territoriale. Certes, il y aura des choses à négocier avec la rébellion parce qu’il est insensé de vouloir résoudre de façon violente une chose qui peut être résolue avec des négociations. Dans le même esprit, on ne discutera ni avec les terroristes ni avec les trafiquants de tous bords.

Le peuple Malien subit une crise humanitaire grave. Le peuple malien au nord n’aurait pas besoin d’encore subir de telles perturbations, comme des actions militaires au sein de leurs communautés déjà en difficulté.  Alors, vaut mieux négocier avec ceux qui le veulent. Nous avons évoqué enfin la question de l’envoi d’une force extérieure pour aider le Mali à résoudre le problème du Nord. C’est une éventualité qui a souvent soulevé pas mal d’émotions au Mali pour rejeter cette idée. On a même vu des militaires qui ont dit non. Dans ces conditions difficiles, il faut accepter le coup de main qui vous est offert, ce n’est pas honteux de l’accepter, surtout étant donné que la menace est partagée par ces voisins.  Je crois pour ma part qu’il faut aller au delà de l’émotion et regarder en face la réalité qu’impose le pays, accepter peut-être le coup de main offert.

Le Républicain : Ce que vous dites là, reflète-t-il la position du Gouvernement des Etats Unis ?

Là je parle des travaux qui ont eu lieu à Abidjan. Je ne suis pas en mesure d’évaluer la réaction du gouvernement américain à  un propos possible au conseil de sécurité qui n’a même pas été déposé, clarifié, qu’est-ce qu’on propose, quel mandat, quel stratégie, etc.  Je ne compte pas m’y adresser dans ces circonstances.  En général, la communauté internationale, en général, les Etats-Unis seraient disposés de voir dans quelle mesure ils peuvent soutenir un effort de la région. Cette approche régionale, soutenir les efforts des partenaires, a toujours été notre approche.

Le Républicain : Aujourd’hui, l’aide, l’accompagnement des Etats Unis  est à l’arrêt : le   Millénium Challenge, le Flintlock, et même les échanges universitaires … quelles sont les conditions de leur reprise ?

La législation américaine est très claire dans ce domaine. Quand il y a une situation de renversement d’un régime démocratique d’un pays, nous sommes obligés de couper l’aide bilatérale. Nous ne concevons que celle humanitaire et certaines activités visant le bien-être du peuple malien qui ne passe pas par le biais du gouvernement du Mali.  C’est pour cette raison que la semaine dernière j’étais à Kayes, pour souligner que nous avons fourni une aide d’environ 26.5 millions de dollars au Mali sur un montant global de 250 millions de dollars pour l’espace sahélien. Nous accompagnons dans le même esprit les producteurs agricoles établis par nos soins, et des activités dans le domaine de la santé. Nous ne travaillons point avec le gouvernement, mais nous étudions, cas par cas, quelles activités remontent dans le domaine de l’humanitaire, de la préservation de la productivité agricole, la santé, etc.

La  terminaison du compact « Millénium Challenge » est une reconnaissance d’une position de gouvernance et de démocratie. Si la démocratie est rompue, la prime à la gouvernance et à la démocratie est naturellement rompue.  Nous allons laisser la piste à l’aéroport Bamako-Sénou en bon état, mais la terminale ne sera pas complétée par le MCC.


Le Républicain : Et pour  que la coopération reprenne ?

Pour que la coopération reprenne, les clés de cette décision passent par la mise en place d’un Gouvernement du Mali légitime, élu. Pour nous, ce n’est plus qu’une simple question de politique étrangère. C’est une politique d’attachement à la démocratie très ferme. C’est même une question législative. C’est un empêchement, à ce niveau.

Le Républicain : Le Gouvernement américain a demandé au CNRDRE de s’effacer de la scène politique. Le capitaine Sanogo et son équipe vous ont-ils écouté ?

Quelqu’un m’a infirmé que les forces de sécurité autour de l’ORTM ont disparu, si c’est le cas ca serait une bonne chose. Mais pour moi, quant il y a toujours des contrôles à l’aéroport,  des postes militaires devant les médias d’Etat. Cet effacement, ce retrait ne sont pas effectifs, ce n’est pas encore clair qu’ils se soient retirés. Pour moi, je crois que, vraiment, cela doit être plus que clair. C’est un coup d’état qui doit être renversé. S’il y a un rôle pour eux c’est sur une réflexion sur la situation des militaires, généralement, peut être. Je  doute que le CNRDRE puisse avoir un rôle dans les questions militaires de façon active. Pour les Etats Unis, la coopération militaire, devant un coup d’état, serait la dernière forme d’assistance bilatérale à revenir et nous maintenons les sanctions de voyage contre tous ceux qui, membres du CNRDRE et autres, empêcheraient la transition de fonctionner normalement.

Le Républicain : l’Union Africaine va saisir le Conseil de sécurité des Nations Unies pour organiser l’envoi des troupes au nord du Mali. Quelle sera la position des Etats Unies d’Amérique ?

Je comprends bien la position de l’Union Africaine. Celle de se réunir pour voir dans quelle mesure après avoir envisagé l’option du dialogue, favoriser les négociations avec ceux avec lesquels cela doit se faire, d’envisager aussi de concert avec toute la région Sahel-Sahara et communauté internationale comment s’attaquer à la situation sécuritaire. Cela reviendrait à une forme d’intervention sur la base d’un mandat et d’une stratégie donnée, qui reste à définir. Je crois vraiment qu’il faut prendre un tel scénario au sérieux au moment où il se présente.

Le Républicain : Quelle lecture faites-vous de la déclaration d’indépendance du MNLA mais aussi de la présence d’Ansar dine, d’Aqmi et autres dans le nord du Mali et dans la zone Sahélo- Saharienne ?

Nous avons à plusieurs reprises dit ici que nous défendons l’intégrité territoriale du Mali, c’est très important. Dans ce cas, il me semble qu’il y a, peut être, une base de concertation sur la situation des gens du nord et qui dépasse et le MNLA et Ansar dine. Il y a pas mal d’autres populations qui vivent dans ces espaces là sans compter les déplacés et ceux qui, à tort ou à raison, prétendent parler pour les Maliens du nord. Tant qu’il s’agit de revendications politiques et sociales  qui ne remettent pas en cause les fondements du pays et de la vie des gens on les résout, de façon consensuelle, politiquement. Ce qui est inadmissible c’est la menace sur la sécurité, sur les idéaux que les Maliens se sont donné. Ce qui est inadmissible c’est l’extrémisme, le terrorisme, Aqmi.  

Le Républicain : On dit que le Sahel-Sahara, c’est la fontanelle du monde, une zone très sensible?

C’est un espace difficilement contrôlable qui lie des régions importantes. Une région qui tient la sécurité et le bien être de tant de pays et mérite grande attention, à sécuriser à tous prix.

Le Républicain : Est-ce que  les Etats Unis auraient des intérêts géostratégiques au Nord du Mali ?

Les Etats Unis ont participé aux efforts internationaux pour la sécurisation du Nord. En tant que partenaires nous nous devions de le faire.

Le Républicain : Ça veut dire quoi ? Que vous n’êtes pas intéressé par le probable pétrole, ni la base de Tessalit, ni … ?

Non, les ressources du Mali appartiennent au Mali et à son peuple. Ce Peuple mérite un Gouvernement qui gouverne et qui utilise ces ressources à son développement, à son bien être. C’est cela le souci des Etats Unis. Et quand il y a des menaces sécuritaires qui dépassent le seuil d’un seul pays, ou risque d’aller un peu plus loin, nous soutenons les efforts de réconciliation.

Le Républicain : Pensez-vous que le Conseil de sécurité va faire intervenir au Mali ?

Je ne vais pas préjuger. Quand l’Union Africaine proposera cette décision d’y aller, je ne vais pas préjuger encore une fois de la réaction, de la  réponse du Conseil de sécurité, avant de voir tel en est le propos, mais nous en tant que partenaire responsable et engagé dans cette région, on va, bien sûr, étudier de près, de très, très près ce qui peut être proposé et quels appuis la communauté internationale pourrait et devrait apporter.

Vous y aller seul ou de concert avec l’Union européenne, par exemple ?

Bon, encore une fois, je crois qu’il est encore trop tôt pour parler de formule, de scénario précis avant que la requête soit formulée et étudiée.

Dans la reconquête du nord du Mali, pour revenir à ce niveau là, de quelle façon envisagez-vous y participez si cela  devait  se faire ?

Comme toujours et c’est une constante de notre politique, nous soutenons les efforts des partenaires dans la région et les aidons à s’attaquer aux problèmes.  Et donc, en principe, je crois que ça continuera d’être la même chose notamment sur le plan des équipements, de la logistique.

Est-ce que vous partagez vos réflexions et vos analyses avec les autorités du pays ?

Comme je disais, pour l’instant, la coopération militaire directe avec le Mali est interrompue. Ce n’est plus un sujet de premier plan comme c’était le cas par le passé. Pour l’instant, nos contacts avec le Gouvernement du Mali, c’est dans l’effort de l’établissement d’un Gouvernement intérimaire. Je veux voir le CNRDRE se retirer des affaires. Parce que toute solution aux difficultés du Mali passe par ce biais, la voie d’un gouvernement crédible pouvant fonctionner. Sans qui, il n’y aura personne avec qui on peut coopérer, même sur l’assistance humanitaire, il n’y aura pas une entité avec qui les groupes du Nord peuvent négocier. Il n’y aura pas un gouvernement qui peut prendre contact avec les pays voisins et amis pour les efforts conjoints liés à la sécurité, qui peut organiser les élections et qui vont ramener le Mali dans la communauté de la démocratie.

Un  dernier mot ?

Le Mali traverse une période très difficile de son histoire, il y a beaucoup de défis. Mais quand je regarde ce pays et son histoire, ce Peuple qui, depuis des siècles, se penche tellement sur le consensus et le dialogue, je me dis toujours que s’il y a un pays qui peut s’en sortir, ça ne doit être que le Mali. J’ai beaucoup confiance aux esprits des Maliens,  en ses caractères essentiels pour nous mener à bien cette période. Nous saurons être à leurs côtés.

Interview réalisée par S. Elkounta

 

Le Républicain Mali 12/06/2012