marche à suivre POUR UNE TRANSITION REUSSIE Les vérités de l’écrivain Moussa Cissé  

 Ecrivain talentueux, connu au-delà du Mali, Moussa Cissé ne peut rester en marge de la grave crise que connaît son pays. L’auteur de nombreux écrits, dont « D’Aguelhok à Konna. Chronique d’un an de chaos », « Tombouctou à tout prix. Récit d’une passion pour le Mali », « Ibrahim Boubacar Kéita. Un destin d’exception », livre ici ses vérités au titre de contribution pour sortir le Mali de l’impasse.

Après la période d’euphorie marquée par l’adhésion populaire au renversement du régime, le temps des réalités revient. Les Maliens attendent des actes forts pour marquer la nouvelle ère qui s’annonce. Ces actes doivent s’inscrire dans la continuité des revendications portées par les différentes couches de la société avec en priorité les réformes institutionnelles favorisant des élections incontestables et le retour à la démocratie.

  1. Le préalable : la levée des sanctions de la CEDEAO

Le maintien des sanctions par le sommet spécial de la CEDEAO en vidéo-conférence, pourrait inexorablement avoir des effets à courts termes sur le marché tel qu’il semble être dit par les opérateurs économiques lors de leur rencontre avec le Comité. Ce qui ajouterait à une situation conjoncturelle déjà intenable pour les populations. Même si la tendance actuelle est à la désapprobation générale de la CEDEAO, la réalité politique et diplomatique commande de voir les choses en face.

Le rapport de force se mesure à l’aune des moyens dont dispose chaque partie. Si le CNSP a le soutien populaire jusque-là qui est déterminant, il doit l’entretenir et éviter par un rapide compromis, que les sanctions ne perdurent. A cet effet, le CNSP doit s’appuyer sur le M5-RFP, fer de lance de la contestation, et les autres forces politiques pour se garantir une assise populaire et légitime. Toutefois, la demande de position prédominante du M5-RFP, même si elle est légitime au regard du rôle qu’il a joué en amont, ne peut se justifier vu le contexte qui appelle plutôt au rassemblement nécessaire et urgent pour sauver la nation. La transition ne doit pas être vue comme le couronnement de la victoire d’un camp sur l’autre. Certes des Maliens ont défendu l’ancien régime mais ils demeurent des maliens devant tirer les leçons et continuer de l’avant avec les autres pour le Mali. Si la transition devient un partage de gâteau, ceux qui s’en sortiront avec la portion congrue ne tarderont pas à prendre la rue. Alors que tous, nous tirons les leçons !

Si c’est l’ensemble des forces politiques qui demande la pleine souveraineté sur la forme et la durée de la transition, la CEDEAO n’a d’autre choix que d’accompagner la volonté du peuple. Et c’est en raison de cela que le CNSP a tout intérêt à inscrire son action dans le cadre d’une large concertation permanente avec les forces vives de la nation. Les concertations débutées le 5 septembre et se poursuivant dans la semaine, sont en cela une opportunité particulière de prouver le consensus autour de ce que sera la transition par la volonté de l’ensemble du peuple malien.

Même si la CEDEAO n’a pas perdu de vue la capacité de résistance et la détermination du M5-RFP, il ne faudrait cependant pas être dupe pour tomber dans un discours populiste consistant à faire croire que le Mali peut se passer de la CEDEAO ou tenir un bras de fer avec elle. Ce discours est ambiant dans le pays ; mais il ne doit pas prospérer, car ne traduisant pas la réalité des faits. Les sanctions sont le corollaire de l’adhésion volontaire du Mali aux textes de la CEDEAO, qui est née de la volonté du Mali en 1975 de s’engager avec d’autres Etats pour créer l’espace communautaire qu’elle est devenue aujourd’hui. D’autres pays en ont subi les effets ; c’est à notre tour d’en subir tout comme il en été le cas en 2012. L’important n’est pas d’installer un bras de fer contre l’organisation communautaire, c’est de trouver comment lever les sanctions le plus rapidement possible. En cela, les concertations sont une belle idée d’affirmation de votre souveraineté sans vague et pourraient servir d’école à l’Afrique.

  1. Le dégagisme intégral

Le débat sur la mise de côté de la classe politique de 1991 à nos jours, est revenu avec plus d’acuité depuis les évènements du 18 août. Il tire argument essentiellement du bilan de 30 ans de pratique démocratique. Ce bilan est loin d’être flatteur en bien de points qu’il ne sied pas de citer ici. C’est ce qui explique le raccourci « d’échec collectif » par lequel les tenants de cette tendance justifient leur position. « Le résultat ne peut pas être négatif et que les acteurs dudit résultat soient positifs », a si bien dit Adam Dicko à l’émission En toute franchise de l’ORTM, le 30 août 2020. L’échec est évident au niveau de l’école, au niveau de l’outil de défense, au niveau de la justice, au niveau de la demande sociale… la liste n’est pas exhaustive, mais il ne donne droit à personne d’exclure un Malien du champ politique en vertu de droits liés à sa personne reconnus par la Constitution. Il est vrai qu’après 30 ans de pratique démocratique, et au regard du résultat, on soit tenté de vilipender les acteurs, porteurs de ce résultat ; mais le bon sens commande de poser la vraie question sur les causes réelles de cet échec. Pourquoi avons-nous échoué, qu’est-ce qui n’a pas marché ? Voilà des questions simples et pleines de contenu qui permettraient de situer les points d’échec, les responsabilités respectives et les conclusions à en tirer. Tout le monde n’est pas bon à la fois comme tout le monde n’est pas mauvais à la fois, c’est une lapalissade. Il est aussi évident que tout n’est pas négatif dans le bilan, même si de façon globale, il est déficitaire au regard des attentes des populations et des efforts fournis. Ceux qui ont exercé jusque-là ont l’expérience de la pratique institutionnelle et la sagesse de l’âge qui sont deux éléments importants qu’il convient de capitaliser pour assurer le passage du flambeau. Toute autre posture de rupture brutale peut conduire à des lendemains incertains. Pour la période de transition qui s’ouvre ainsi, il serait de bonne inspiration d’exploiter le capital immense d’expérience et de sagesse, porté par ces femmes et hommes qui ont eu à gérer le pays durant ces 30 ans dans différentes positions. Le Mali n’est pas un pays de brutalité ni d’ingratitude et ne saurait s’accommoder d’une rupture brutale entre la génération émergente de 2020 et celle de 1991. La France a presque vécu ce vent violent de dégagisme en 2017 avec l’arrivée des Marcheurs au pouvoir. Tous de jeunes fringants, la trentaine en majorité, ont décrété cette rupture avec la classe dirigeante et le clivage traditionnel gauche-droite sans toutefois renverser la table complémentent. Changement ne veut pas dire « dégagisme total» ! Il est hasardeux de croire que des jeunes seraient mieux à l’ouvrage. Même si l’expérience s’acquiert au fur et à mesure de la pratique, il n’échappe à personne que le minimum est requis pour exercer dans l’administration et les fonctions politiques. Les jeunes doivent s’inscrire dans cette logique de connaissance élémentaire et prôner la compétence et le mérite. Il n’y a pas dans l’absolu de postes pour jeunes au détriment des vieux, il y a le mérite seul qui doit déterminer les nominations et les promotions. Si c’est pour reprendre les mêmes pratiques qui ont existé jusque-là on ne s’en sortira jamais et d’autres mouvements populaires seraient créés.

  1. La révision constitutionnelle

La Conférence nationale (29 juillet-12 août 1991) a balisé le terrain pour un exercice démocratique tirant les errements de l’ère du Parti unique. La Constitution du 25 février 1992 qui en a résulté, est de ce fait un acte majeur qui a tout le mérite d’arrimer le Mali au port des démocraties modernes. Cependant elle reste perfectible ; et cela d’autant plus que le monde évolue et les réalités changent. Mais hélas, les calculs politiciens aboutissant à des divergences souvent inconciliables, ont rendu impossible toute évolution de la constitution. La suspicion inhérente à toutes les initiatives de révision constitutionnelle trouve son justificatif dans le subconscient collectif qui incline à croire que le prince du jour à des intentions inavouées. Ainsi d’Alpha O. Konaré à IBK, aucun président n’a été épargné par cette suspicion rendant tous les projets mort-nés. La dernière initiative en date a buté contre un mouvement de contestation inédit porté par Anté Abana qui fait date dans les annales de l’histoire contemporaine du pays. Au regard de ce qui se passe dans la sous-région, il y a fort à parier qu’un mur se dressera sans aucun doute contre toute initiative de révision, tant qu’elle émane d’un président en cours de mandat. Alors, la transition qui par définition, a vocation à doter le pays d’instruments et d’organes pour un nouveau départ, peut servir à réunir le consensus autour de l’initiative étant entendu que le chef de l’Etat (de la transition), n’a aucune visée immédiate qui pourrait fonder la suspicion. Et n’oublions pas, la constitution de 1992 est fille d’une transition.

La transition n’est pas un remède de perlimpinpin 

On considère à tort souvent les transitions comme des périodes propices à résoudre les problèmes qui ont constitué des blocages ou provoqué la chute du précédent régime. C’est une erreur grave. Le Mali fait face depuis quelques années à des vagues successives de contestations politiques et de revendications syndicales. Facilement on peut être tenté de croire que la transition pourrait être la panacée pour résoudre tous ces problèmes. Eh bien, sa vocation est tout autre ! Elle doit servir à faire le toilettage des textes institutionnels voire constitutionnels en vue de faciliter le passage à l’ordre démocratique normal par le biais d’élections propres. Dans le cas d’espèce du Mali, il y a de nombreux préalables comme les résultats du Dialogue national inclusif et du Comité d’experts Me Mamadou Ismaël Konaté (du nom du président de ce comité), de 2017 sur la révision constitutionnelle. Ils n’attendent qu’à être renforcés par un dialogue encore plus inclusif.

Le CNSP se doit éviter de donner l’impression de pouvoir trouver solution aux problèmes cruciaux et lancinants du pays. En écoutant les syndicats et d’autres regroupements de revendication, il donne espoir à ceux-ci qui pourront vite se révéler ses contestataires si cet espoir venait à s’éteindre. Au regard de la situation de trésorerie et d’économie du pays, il est évident que nombre des revendications ne peuvent trouver solution dans l’immédiat. A cet effet, le CNSP serait bien inspiré d’appeler les syndicats à une trêve sociale par patriotisme ; y compris dans l’application de l’article 39. Sur ce point précis, il serait d’une grande sagesse et d’un intérêt stratégique que le Comité appelle par déclaration officielle, la coalition des enseignants à une trêve et à la mise en place d’un véritable cadre de concertation.

  1. Profil du Premier ministre

Il doit être d’une neutralité absolue pour assurer autant (de neutralité), aux élections de manière à éviter toute contestation ultérieure. Il doit être d’une rigueur reconnue pour veiller à la bonne application de la feuille de route mais aussi à la bonne gestion des ressources publiques.

Il doit avoir la capacité de rassembler tout le monde et d’inspirer confiance. Il doit avoir une fine connaissance du microcosme politique national et des enjeux liés à la crise sécuritaire du Nord et du Centre. Il doit être doté d’une expérience de l’Etat et de la capacité à rassurer les partenaires étrangers.

Moussa M. CISSE

Ecrivain, Paris