Mamadou Sinsy Coulibaly est une référence dans le secteur de l’entreprenariat au Mali. C’est ce qui lui a valu la confiance de ses pairs pour le mettre à leur tête. Pour lui, la passion, la persévérance et l’abnégation constituent la clé de la réussite. Le PDG du Groupe Klédu Mamadou Sinsy Coulibaly dirige désormais un bureau de 20 membres du Conseil national du patronat du Mali pour un mandat de 5 ans. Il remplace ainsi Mamadou Sidibé.
Enfin vous avez accepté d’être le patron des patrons au Mali, quelles seront vos tâches ?
L’objectif fondamental du CNPM est le renforcement de la capacité institutionnelle de l’organisation afin de lui permettre d’offrir directement les meilleurs services à ses membres et le développement de sa capacité d’anticipation aux nouveaux défis et enjeux. L’extension du CNPM sur toute l’étendue du territoire national, qui va se poursuivre. Nous allons même faire des tournées dans les régions nord du Mali, voir les structures à la base. Nous allons faire de l’innovation afin d’éviter l’assistanat. Parce que seule l’entreprise peut créer de l’emploi, ce n’est pas le gouvernement, il ne peut, il n’a pas d’argent pour faire cela. Ce n’est pas son boulot, ce sont les entreprises seulement qui peuvent créer de l’emploi. C’est comme ça qu’on fait partout dans le monde. Le travail s’annonce immense mais insurmontable.
Je remercie tous les membres du CNPM pour la confiance placée en moi. Je suis conscient du vaste chantier et des nombreux défis à relever. C’est pourquoi j’inviter chaque membre du bureau à être un exemple dans le milieu de l’entreprise. Le nouveau bureau élu pour 5ans se fixe comme objectifs : la protection et la sécurisation des entreprises ; favoriser une relation harmonieuse entre CNPM, syndicats et le gouvernement à travers la signature d’un accord tripartite, entre autres…
Si vous devriez vous présenter à nos lecteurs et nous dire comment vous êtes venu dans le monde de l’entreprenariat, que répondriez-vous ?
Je suis Mamadou Sinsy Coulibaly. Je suis promoteur de plusieurs sociétés privées en République du Mali et actionnaire dans pas mal de structures privées. J’ai débuté ma carrière en France. J’ai travaillé aux USA où j’ai eu à créer des entreprises. Rentré au Mali, j’ai continué à créer des entreprises. Mon père était fonctionnaire de l’Etat colonial français. Moi-même, je suis né à Dakar ; mon père est né à Thiès (Sénégal) et ma grand-mère vient du Bénin.
Mon grand-père était policier, de la génération des premiers formés après la première guerre mondiale en 1918. C’est dire que je ne suis pas issu d’une famille d’entrepreneurs. Je me suis lancé dans les affaires par vocation et aussi parce que j’ai un esprit créateur. Je n’ai pas de formation académique dans le sens de la création d’entreprises ou de gestion d’entreprises. Je suis mécanicien de formation.
J’ai fait l’école supérieure de l’automobile du Man. Avant j’étais à l’Université Paris 7 Jussieux où j’ai eu un diplôme universitaire en sciences et structure de la matière (SSM) et l’Ecole supérieure aéronautique en URSS (spécialité moteurs Gordini). Je n’ai jamais travaillé dans l’administration sauf que, quand j’étais étudiant, j’étais agent consulaire à l’ambassade du Mali à Paris. Je m’occupais de la délivrance des passeports, cartes consulaires et des pièces d’état-civil. Quand je suis rentré au pays, j’ai continué avec les affaires. J’ai commencé à vendre des véhicules d’occasion en Guinée, particulièrement les ‘’404’’.
À Bamako, j’ai commencé à m’occuper de tout ce qui est audiovisuel à l’époque où j’ai eu la chance de participer à la création de la télévision malienne avec les Libyens à travers le centre du Point G. J’ai eu donc ce premier marché avec l’Etat libyen, et c’est la Balima (Banque Malienne) qui m’a financé. Voilà en gros, comment je suis venu dans l’audiovisuel. Il y a eu la vente de magnétoscopes, ensuite il y a eu Radio Klédu, Télé Klédu, Imprim-Color, Tam voyage, qui s’occupe du tourisme et de la vente de billets, etc.
Parlez-nous davantage de cette riche expérience !
Quand on est mécanicien de formation, il y a une logique qu’il faut suivre. C’est cette logique qui m’a permis de créer toutes ces entreprises. Il y a eu la première école informatique au Mali, le CEFIB. À l’époque où personne n’y croyait, mais je l’ai créé avec des micro-ordinateurs alors qu’il y avait que de gros systèmes dans les banques. J’ai été le premier à introduire les micro-ordinateurs en République du Mali pour faire comprendre que l’avenir, c’est les micro-ordinateurs. On avait le plus grand centre avec quelque 50 micro-ordinateurs dans nos salles de formation. Aujourd’hui, l’histoire me donne raison, parce que ce n’est plus les gros systèmes IBM, mais les micro-ordinateurs qu’on a pu relier ensemble.
C’est la SITA qui m’a donné cette idée bien qu’elle ne m’ait pas suivi dans mes autres initiatives. La passion est la clé de l’expérience, il faut aimer d’abord ce qu’on fait, dès qu’on aime, on est passionné, forcément on aura de l’expérience. Il faut être passionné dans tout ce qu’on fait. Ça peut prendre du temps, mais on réussit toujours. Il ne faut pas être pressé. Pour les jeunes, quand ils sortent de l’école, diplôme Bac+X, tout de suite ça vaut 500.000F par mois.
S’ils n’ont pas ça, ils ne feront rien. Le diplôme est un passeport qui vous ouvre des portes, ça vous donne un emploi, mais le diplôme ne vous donne pas un métier. Il faut que les jeunes comprennent cela. C’est le métier qui vous anoblit et le métier ne s’apprend pas à l’école. Il faut avoir quelqu’un qui vous accompagne dans la vie comme on le faisait dans le temps, le compagnonnage. Les Allemands continuent à le faire ; les Français l’ont abandonné et vous voyez comment les gens sont au chômage en France.
L’économie allemande est différente de celle de la France. Quand il entre dans une usine, l’ingénieur allemand fait le compagnonnage. Il commence à zéro. Les gens qu’il doit commander dans cinq ans, c’est eux qui le forment sur les machines, les outils de production. L’ingénieur apprend ainsi son métier avec les anciens qui ont plus de 20 à 25 ans d’expérience. Il faut que les jeunes comprennent cela. Il faut apprendre un métier, il ne faut pas chercher un emploi. Sortir tout de suite de l’école et gagner 500.000F/mois, c’est des emplois précaires, ça n’ira pas loin. Mais, si vous avez un métier, c’est garanti. Ce sont ceux qui ont un emploi qui vont au chômage.
Nous supposons que tout n’a pas été rose pour vous. Parlons des difficultés. En avez été confronté le long de votre parcours ?
C’est vrai, il y a des difficultés auxquelles on fait face. Elles sont d’ordre économique, social et culturel. J’en ai personnellement été confronté. Ce n’est pas l’apanage des entrepreneurs maliens, partout il y a des difficultés dans le monde pour entreprendre. Rien n’est facile dans ce monde, il faut se battre pour se faire une place. C’est pourquoi, il faut être motivé. Dire que je ne fais rien, l’économie malienne ne supporte pas, il y a ceci, il y a cela. Au Mali, il y a des avantages comme on a des inconvénients et c’est pareil en Occident aussi. Il faut savoir tirer le maximum de ton profit. Il faut réfléchir, penser et innover pour réussir, mais si on n’a pas un esprit d’innovateur, on ne peut pas avancer. Si on n’innove pas, on disparaît. Les difficultés, elles existent, il faut les transcender et surtout les prendre avec philosophie pour aller de l’avant.
Si l’on vous demandait de brosser la situation de l’entreprenariat au Mali, que diriez-vous ?
D’abord, il faudra qu’on fasse confiance aux entrepreneurs. C’est la première des choses. Si l’on ne fait pas confiance aux entrepreneurs, on ne va pas s’en sortir. La confiance, ce n’est pas seulement au niveau des dirigeants, c’est les entrepreneurs entre eux, les entrepreneurs avec la population et les pouvoirs publics. Il faut qu’à tous les niveaux, qu’on leur fasse entièrement confiance, sinon, on ne va pas avancer parce que le capital, c’est quelque chose de très important et qui est chargé très souvent d’affects.
Le capital est synonyme de vol dans notre pays, il est synonyme d’un homme sans cœur, qui ne pense qu’à l’argent, d’un homme qui ne croit pas en Dieu. Du côté des dirigeants, le capital est synonyme de quelqu’un qui est anti-économiste vu tout ce qu’on a dépassé depuis l’indépendance (régimes socialiste, militaire et démocratique). L’entrepreneur a toujours été comme le mal de l’économie malienne.
Les socialistes à l’époque, dans les années 1960, on ne pouvait faire d’échanges ni de commerce, bref on ne pouvait même pas créer d’entreprise. Quand vous avez des initiatives entrepreneuriales, on faisait tout pour détruire votre personnalité. C’était l’Etat providence ! Dans le système socialiste, on faisait tout pour vous détruire et vous forcer à rentrer dans les rangs.
Après, c’était le régime militaire. Là, c’était possible, mais dès qu’il y a une crise, c’était la faute aux entrepreneurs. Après, c’est la démocratisation du pays. Voyez, vous-même, le niveau de corruption dans notre pays, l’état économique du pays où les entrepreneurs n’ont droit à rien ! Vous pouvez vous faire agresser par n’importe quel agent de l’Etat ! Que ce soit un policier, un agent économique ou même un agent de service sanitaire, vous êtes à la merci de tout le monde, y compris vos propres parents.
C’est pourquoi il faut d’abord faire confiance aux entrepreneurs. Au Mali, l’entreprenariat souffre pour plusieurs raisons. Premièrement, l’idée même du capital, dont les gens ne voient pas la nécessité pour la création d’emplois. Le capital que l’on investit est fait pour le travail et non pour l’entrepreneur lui-même. Cela est très important car la plupart de nos décideurs, je parle de nos gouvernants, ne voient pas cela.
Les gens n’ont pas toujours assimilé l’idée que le capital est nécessaire au travail. Deuxièmement, les gens ignorent l’importance du capital investi par l’entrepreneur pour financer un emploi. Quand vous créez votre entreprise à hauteur de milliards, on dit que vous êtes riche. Or, ces milliards étaient nécessaires pour créer des emplois. C’est après cet investissement que je fais bosser les ingénieurs, les techniciens, les prestataires de services, les producteurs pour gagner ma vie. Il n’est pas donné à tout le monde d’entreprendre.
Aussi, il faudrait que les gens retiennent que dans un monde concurrentiel, aujourd’hui, aucun entrepreneur n’est à l’abri d’une surprise, on peut perdre à tout moment le capital investi. Les gens ne voient pas également ce côté. L’entrepreneur prend trop de risques et c’est ce qui fait le charme dans ce domaine.
Il n’est pas donné à tout le monde de prendre des risques. C’est le risque qui anoblit le capital. Dans une population, si vous n’avez pas des individus qui sont prêts à risquer leur argent, ce pays est voué à ne pas pouvoir garder ses emplois. C’est l’entrepreneur qui crée des emplois. Ce sont des problèmes que nous rencontrons souvent, sinon tout le reste n’est que supputations. Les impôts ont fait ça, les douaniers ont fait ceci. Cela existe dans tous les pays. Si toute la population comprend ce que je viens de dire, l’entrepreneur malien ne peut que créer des emplois à travers le pays.
En parlant d’entreprenariat, vous avez mis l’accent sur le risque que prennent les entrepreneurs. Qu’en est-il de l’accompagnement des pouvoirs publics ?
On a tendance toujours à dire que le pouvoir doit accompagner les entrepreneurs. Après, on dit que le pouvoir est régalien. Dès que ça marche, on ne veut plus que l’Etat s’en mêle et dès que ça ne marche pas, on demande à l’Etat de venir à l’aide. Or, nous avons des Etats qui sont pauvres. Le code d’investissement au Mali ne cause aucun problème.
Si j’ai ce code en France, je vais investir là-bas, parce qu’on a un code d’investissement meilleur qu’en France ! Mais le problème, c’est l’application. La corruption est telle que son application est la croix et la bannière. Mais, c’est notre droit, on va se battre contre ces fonctionnaires véreux qui gâtent le nom des autres qui travaillent bien et faire en sorte que cette génération puisse disparaître. Entreprendre n’est pas une chose facile dans ce monde mondialisé.
Il y a aussi l’état de dégradation de notre pays au niveau économique et financier. Un pays sous ajustement structurel est un pays qui est appelé à mourir. C’est un système qui n’a jamais marché et qui détruit les initiatives dans nos pays.
Ne pensez-vous pas que le manque de ressources humaines qualifiées est un peu le talon d’Achille dans le développement du secteur privé ?
Au Mali, on a toujours dit que dans le système d’éducation, il n’y a pas d’adéquation entre l’emploi et la formation. On met tout ça sur le dos de l’Etat. Vous savez, aux USA, les grandes universités, ce n’est pas l’Etat américain ; ce sont les privés qui financent ces universités de pointe. L’Etat providence n’existe pas, il faudrait que nous-mêmes nous approprions tout cela. À côté de cela, il faut que le compagnonnage se fasse, c’est rapide et c’est moins coûteux. Aucun pays n’est en adéquation avec sa formation et l’emploi, ça n’existe nulle part. Si quelqu’un veut créer une grande école hôtelière au Mali, il faut que les grands hôtels participent à sa création.
L’Etat ne financera pas, il ne peut qu’accompagner ou faciliter. Financer la santé, financer les routes, assurer la sécurité, l’éducation, etc., l’Etat ne peut pas tout financer ! Si en plus de tout ça vous demandez encore plus à l’Etat, son capital va tellement être élevé pour faire face à ces charges qu’il va vous pénaliser et le niveau des impôts ne peut qu’exploser.
‘’Les gens doivent investir pour entrer dans la postérité’’
L’école n’a jamais été un métier, mais elle a toujours été une formation de base. Si l’Etat fait tout, on n’aura pas de capital, parce que l’Etat pompe dans les entreprises privées pour financer ce que vous lui demandez. Plus vous demandez à l’Etat, plus vous payez d’impôts et plus vous payez, plus vous vous appauvrissez. Donc, que chacun fasse son travail. Le service universel d’accord, tous les Maliens ont droit à ça. On est prêt à payer des impôts pour le service universel, mais les formations propres à nos différents secteurs d’activités, cela doit nous revenir.
Je dis tout cela parce que les gens doivent prendre leurs responsabilités. Il faut que les gens se disent, notamment les entrepreneurs à un certain niveau, qu’ils n’investissent plus pour gagner de l’argent, mais pour entrer dans la postérité. C’est cela qui fait avancer une économie. Les gens qui financent les grandes écoles en France et les grands immeubles, savent par exemple que de leur vivant ils n’auront jamais de retour, mais ils veulent rentrer dans la postérité.
Quand je créais la première école informatique au Mali de ma poche, les gens me prenaient pour un fou, surtout avec des micro-ordinateurs ! C’était dans les années 1978, avant même qu’il n’en existe au Sénégal ou en Côte d’Ivoire. Aujourd’hui, combien de personnes vivent de l’informatique au Mali ! Rien que pour cela, je peux dire que je suis entré dans la postérité !
‘’Question bateau’’, que nous vous posons tout de même : quel rôle joue le secteur privé dans le développement du Mali ?
Le secteur privé est tout pour le développement. Ce qu’est le Prophète pour les musulmans, le secteur privé l’est aussi pour le développement. Sans secteur privé, il n’y a pas de développement, l’Etat ne va pas exister. Les Etats africains souffrent de cette réalité. Ce sont des Etats qui n’existaient pratiquement pas, des Etats faibles. C’est parce que le secteur privé n’existait pas contrairement en Occident où l’Etat existe réellement et est fort. Quand l’Etat est fort, il peut mettre ses citoyens au pas, les protéger et les soigner. Sans le secteur privé l’Etat ne pourra pas faire tout ça. Si ce n’est pas le cas, on va toujours continuer à végéter avec les nombreuses crises.
Alors que nous traversons une période très importante pour l’humanité et les sociétés maliennes qu’est la numérisation. Tout le monde part à pied d’égalité, il faudrait qu’on en profite. On peut prendre ce train à tout moment, mais ça dépend du dynamisme du secteur privé. C’est le secteur privé qui créé l’emploi, la richesse et donc le développement économique d’un pays. Il est au début et à la fin. Les acteurs, qu’ils soient politiques, économiques, doivent comprendre cela.
Nous sommes tous liés. Si les Maliens ne sont pas dans de bonnes conditions, ils ne seront pas de bons consommateurs. Donc, il n’y aura pas de production. Or, aujourd’hui, il faut produire nécessairement et la production doit être faite par le secteur privé. La stabilité du pays dépend de l’émergence du secteur. Quand le secteur privé est développé, le pays est stable, et consomme, notamment une classe moyenne très large qui consomme beaucoup.
Au sommet de la pyramide, vous avez les entreprises les plus performantes qui tirent les autres entreprises vers le haut et la base ne va être constituée que de la société qui consomme, c’est-à-dire la classe moyenne. Ce sont donc les entreprises qui créent cette classe moyenne qui, à son tour, tire l’économie en tant que consommateur. Si l’on ne produit pas, on restera un pays sous ajustement structurel.
La numérisation de la production est donc vitale pour l’émergence du secteur privé ?
L’état de l’industrie au Mali est très précaire. Aucune industrie n’est numérisée au Mali ou informatisée à 100%. Ce sont des industries qui ne sont pas compétitives. Partout dans le monde, l’outil de production est un concentré d’informations, c’est-à-dire l’utilisation de gros systèmes informatiques.
Vous n’avez pas compris cela, vous êtes dépassé ! Il faudrait que les autorités (les ministères, faîtières), qui s’occupent du secteur privé, réfléchissent et conseillent les entrepreneurs à aller vers cette nouvelle donne. Et faire en sorte que les entrepreneurs ne risquent pas leur investissement dans des secteurs où ils vont perdre. L’outil de production aujourd’hui est très coûteux.
Par exemple, pour créer un seul emploi dans l’agriculture aujourd’hui, ce n’est pas moins de 150 millions, car les outils de production sont excessivement chers. Si vous prenez des tracteurs avec un moteur en ligne qui ne vous donnent pas les choses correctement, vous ne pouvez pas avoir de rentabilité. Un tracteur doit avoir un système de levage de vérin pneumatique informatisé qui tient compte de la profondeur et de l’hydrométrie du sol pour faire les sillons. Faute de quoi, le sol se retrouve dans deux ou trois ans complètement lessivé.
Pourquoi le secteur privé, si important pour le développement, peine tant à émerger ?
Le blocage est dû à plusieurs facteurs. Nous sommes dans un monde hyper concurrentiel et globalisé. C’est un problème réel pour notre économie. Le riz taïwanais est vendu au Mali. Ce n’est pas seulement la faute de nos dirigeants, c’est un peu la faute même de la société dans sa majorité car, les dirigeants sont issus de la société. Je ne dis pas qu’un coup d’Etat est le bienvenu, mais à chaque fois que ça ne va pas, il y a eu un coup d’Etat. En 1968, on a fait un coup d’Etat, il y a eu un petit boom.
En 1991, on a fait un coup d’Etat, on a fait un petit boom. Après Sanogo a fait un autre coup d’Etat en 2012. J’espère qu’on va faire un grand boom cette fois-ci. Quand on regarde tout ça, on constate que quand le peuple est fatigué, on va vers une révolution. Il y a un coup d’Etat et après, on a un semblant de développement. Dans un monde globalisé, il faut qu’on soit au diapason de la production.
Un pays qui ne produit pas est un pays qui va en dérive, sous tutelle où il ne fera pas bon de vivre, où la corruption sera généralisée. Il faut que l’entrepreneur malien réfléchisse sur comment il peut devenir leader dans son domaine, développer des stratégies pour innover et être compétitif. Il faut qu’on développe les différentes filières, qu’elles soient cotonnière, industrielle, élevage, riz, pour booster le développement dans notre pays.
Selon vous, quelles politiques pour booster le secteur privé au Mali ?
Toute prise de risque n’est pas garantie de réussite. On ne peut pas booster le secteur tant qu’on n’a pas cet esprit d’entrepreneur. Aujourd’hui, on a beaucoup plus de chance, sur les 147 députés, il y a au moins 120 élus qui sont issus du secteur privé. Je n’ai jamais vu ça dans un pays africain. Donc, c’est l’occasion et le moment idéal pour que le secteur privé émerge. Les députés aujourd’hui peuvent voter des lois pour faciliter la prise de risque et l’émergence des entrepreneurs parce qu’ils sont eux-mêmes entrepreneurs.
C’est pourquoi je lance un cri d’appel pour dire que les gens ne soient pas fatalistes. Deuxième chance, nous avons un gouvernement majoritairement issu du secteur privé et la plupart des membres des cabinets ministériels, soit 70 à 80%, sont aussi issus du secteur privé. Donc, les conditions sont réunies pour que le secteur privé sorte la tête de l’eau.
On ne peut plus dire comme naguère que l’on compte sur les politiques, nous-mêmes, on est politiques aujourd’hui, le boulevard est ouvert. J’ai vraiment confiance pour les cinq ans à venir. S’ils ne font rien pour développer l’économie malienne, on ne va pas se laisser faire, ils nous connaissent, on va les combattre pour que le secteur privé émerge. Personne ne viendra le faire à notre place. Il faut aussi sensibiliser la société civile malienne sur l’importance du secteur privé dans l’économie. La société civile malienne doit savoir que le secteur privé doit être le moteur de l’économie.
Les autorités actuelles ont à cœur l’emploi des jeunes. Elles promettent de créer 200.000 emplois. Selon vous, comment doivent-elles s’y prendre ?
On ne décrète pas l’emploi, personne n’a de recette miracle pour la création d’emplois. Il n’y a que la production qui peut créer de l’emploi. Si l’on produit, on crée l’emploi, c’est l’outil de production qui est à la base d’un métier. Un emploi, c’est précaire, mais un métier, c’est à vie. L’Etat n’a pas vocation à créer des emplois, même s’il en crée, ce sont des emplois précaires. C’est nous, privés, qui devrions créer les emplois. Aujourd’hui, que l’Etat regarde et mette l’ordre et la discipline dans le secteur privé et lutte contre la corruption qui appauvrit les entreprises. L’idée même de l’Etat qui promet de créer 200.000 emplois est bien, j’applaudis, mais ce n’est pas à l’Etat de créer, c’est nous privés, nous entrepreneurs, qui allons créer les emplois.
Je pense donc que les autorités vont prendre des décisions qui vont permettre et faciliter la création d’entreprises, la création de richesses et la création d’emplois. Le rôle de l’Etat, c’est d’assainir le secteur privé, instaurer les conditions de production (fournir de l’électricité de bonne qualité et à tout moment), empêcher la corruption et instaurer la libre concurrence entre les entreprises. L’Etat doit veiller à cela et que tout le monde paye ses impôts pour permettre à l’Etat de faire ce travail. Nous privés, nous créons les emplois et en créant les emplois, nous créons la richesse et c’est cette richesse qui va permettre le développement du pays.
Vous êtes, aujourd’hui, une référence dans le domaine de l’entreprenariat. Quels conseils avez-vous à l’endroit des pouvoirs publics et de la jeunesse malienne ?
Les conseils sont d’abord adressés à la société malienne. Nous sommes dans un système économique libéral où l’économie est tellement avancée par rapport à la société malienne. La société civile, au lieu de faire de la politique, doit faire évoluer les mentalités de la société vers le libéralisme. C’est toujours source de conflit dans les familles parce que l’économie libérale n’est pas rentrée dans la cellule familiale malienne.
Ce rôle incombe à la société civile aujourd’hui. Les dirigeants actuels doivent jouer leur rôle, l’administration doit jouer son rôle. IBK a promis de créer des emplois, il faut qu’il le fasse, c’est une obligation morale pour lui. Quant aux entrepreneurs, il faut qu’ils investissent et bien investir. Un capital perdu, c’est une perte pour toute la nation et non pour l’entrepreneur lui seul. S’il perd trois milliards, c’est la société malienne qui a perdu trois milliards, car c’est la société malienne qui a perdu des emplois. Aux jeunes, je leur conseille d’accepter le compagnonnage. Le diplôme vous donne un emploi, mais ne vous donne pas un métier. Avant de penser financier, je coûte tant, il faut d’abord apprendre son métier. Si la jeunesse rate cela, on est encore dans le sous-développement pour les 20 prochaines années.
Kassim TRAORE/Yaya TOGOLA
Source: Le Reporter Mag 31/10/2015