Dans le silence de la nuit, j’imagine l’errance des badauds désoeuvrés des rues de Bamako, je perçois les bribes des discussions lancinantes et perpétuelles des grins animés, j’entends distinctement les soupirs des mères, tourmentées dans leur sommeil par la gestion du quotidien et la préoccupation de l’avenir de leurs enfants …
Machinalement, mes pensées me mènent à cette après-midi de discussion avec des amis. Je ne peux m’empêcher d’émettre un sourire amer, au souvenir de ce moment d’échange, si édifiant sur l’état de notre pays.
Je venais de lancer, d’un air détaché : « hey, faites des douas, insh’Allah je vais rentrer définitivement au Mali bientôt ».
Je me rappelle le regard inquiet de la plus âgée, et ses propos très forts :
« A quoi bon ?! Dans ce pays, ils ne nous donneront jamais la place qui nous revient ! Nous avons mené nos études avec brio, les entreprises à l’étranger se battent pour nos services ! Au Mali, tout ce qu’ils veulent, c’est nous faire servir du café et du thé à longueur de journée, et pis, si nous réussissons à obtenir des postes, ils nous mettent toujours des bâtons dans les roues. Nous n’aurons jamais la paix pour faire notre travail sereinement. Sans compter les salaires de misère qu’on propose ! Imagine, 150.000 FCFA pour un cadre ! Et encore, pas pour tous ! Qu’est-ce qu’on peut faire avec 150.000 FCFA par mois, dans le monde d’aujourd’hui, avec une famille à charge, et tous ceux qui vivent à vos dépens ? ».
Et un autre de répliquer :
« Mais pourquoi dis-tu cela ? Le Mali, c’est notre pays ! Si elle ne rentre pas pour contribuer, pour bâtir, qui le fera ? Elle a effectué ses études primaires, secondaires ainsi que son lycée au Mali. C’est l’argent du contribuable malien qui a permis cela, en partie. Si tout le monde parle comme toi, quid de l’avenir du pays ? Nous devons rentrer ! C’est un devoir pour elle et pour nous tous de rentrer ! ».
J’écoutais patiemment les arguments de l’un et l’autre.
Je me demandais qui étaient ces « ils » pointés par l’une. Et je me demandais quel était ce « devoir » asséné par l’autre.
D’une oreille, j’entendais la voix de la majorité des jeunes maliens !
Oui, ils avaient perdu foi dans ce système, en la capacité d’assurer l’égalité des chances, peu importe qui l’on soit, en la possibilité de faire régner un Etat de droit, en la volonté de faire rayonner les talents ….
Les jeunes maliens, de l’intérieur et de l’extérieur, ont perdu espoir … Pour la plupart …
A juste titre, un autre de mes amis me disait il y a quelques jours :
« Te rends-tu compte Hawa ? Encore aujourd’hui, rares sont les occasions où on ne te demande pas systématiquement : « tu es le fils de qui ? la fille de qui ? » Encore aujourd’hui au Mali, la société te regarde comme si le passé de ta famille déterminait forcément ton avenir !
Dans le subconscient collectif, tu es systématiquement classé dans une catégorie de laquelle tu sortiras difficilement ! Oui, tu seras toujours « Fantan den, Faama den, Kaarsa den ». Est-ce que mon avenir sera forcément le miroir du passé de mon père ? A entendre le regard social, oui. Alors comprends que le « Fantan den » veuille s’enfuir vers le Nord, pour accéder enfin à l’espoir de ne plus être « fils de, fille de » mais tout simplement « lui-même » ! ».
C’était un cri du coeur ! Touchant !
Les constats sont clairs : l’écrasante majorité des diplômés n’aura jamais mis un pied en entreprise au cours des années d’étude … Les plus chanceux erreront de stage en stage. Le statut de stagiaire est-il réglementé ?
Lorsqu’on pense aux jeunes ruraux qui vivent de la terre pour la plupart, force est de constater que leur seule option d’échapper au manque d’espoir, est l’immigration, coûte que coûte.
Vous est-il arrivé de visiter un village au fin fond de la région de Kayes, où il n’y a que femmes et enfants, les hommes ayant tous quitté pour aller vivre au foyer en France ? C’est une caricature, encore si vraie de nos jours.
Le Mali est un des rares pays à avoir autant de ressortissants sur son territoire, qu’en dehors ! Une manne financière ! Pourtant je n’ai toujours pas une lecture claire d’une politique ambitieuse de suivi des étudiants à l’étranger ou encore d’une politique visionnaire d’incitation au retour …
Oui, la plupart des jeunes maliens, de l’intérieur et de l’extérieur, a perdu espoir …
Alors je me dis que mon pays a un grave problème. Plus grave que la menace terroriste, plus grave que le réchauffement climatique, plus grave que les mauvaises récoltes, …
Lorsque je parcours les lignes du « Cadre Stratégique pour la Croissance et la Réduction de la Pauvreté 2013-2017 », et aussi du « Programme d’Actions du Gouvernement 2013-2018 », je me dis que hélas, nos dirigeants auront beau mettre jeunesse, emploi, formation au coeur de leurs discours, ils auront beau scander leur objectif de créer 200 000 emplois à horizon 5 ans, ils auront beau mettre en place des politiques publiques incitatives, ils auront beau créer ou financer des agences ou des programmes pour l’emploi et l’entrepreneuriat des jeunes, ils auront beau mettre en place un Fonds Emploi Jeunes, … si nos jeunes n’ont pas la foi, n’ont pas espoir, ceci sera vain …
Un tel constat fait si mal …
Evidemment, une jeunesse sans espoir est une jeunesse qui n’a cure lorsqu’elle prend le chemin parfois sans retour de l’immigration. Elle n’a cure, lorsqu’elle s’enrôle dans des groupes armés aux idées obscures. Que valent les vagues de la mer méditerranée face au marasme qui sévit dans le pays ? Que valent les ceintures d’explosifs, face à l’inertie, à la perspective de l’absence de perspectives, aux années universitaires qui se succèdent et se ressemblent, à la
promesse de diplômes sans débouchés professionnelles, au regard et à la pression d’une société qui fait le culte du plus riche, fût-il le plus grand menteur, le plus fin voleur …
Oui, nos dirigeants auront beau parcourir le monde à la recherche de soutiens financiers pour mener des combats, ces derniers sont perdus d’avance si la jeunesse ne retrouve pas l’espoir.
Toutes ces réflexions ont fini par assécher ma gorge. Alors, je me dirige vers la table en verre posée au milieu de la pièce, et je me sers un verre d’eau parfumée au gongondili. Cet effluve familier me fait du bien. Je parviens à me détendre, et à ordonner mes idées.
Qu’allons-nous faire ? Que vais-je faire ? Quelle empreinte allons-nous laisser de notre passage sur cette terre ? Que diront les générations futures de nous, dans 50 ans, 100 ans, 1000 ans, 2000 ans ?
Tout comme je regarde les pyramides d’Egypte, jadis construites sous l’impulsion de grands rois dont les noms continuent de faire frémir nos coeurs, je me dis que j’ai choisi mon camp : celui de l’action. J’agirai.
Les jeunes maliens de moins de 25 ans sont au nombre de 9,4 millions d’individus, soit près de 65 % de la population …
Nous avons une jeunesse talentueuse et créative, qui, lorsqu’elle se met en marche, est irrésistible ! Lorsque l’on prend le temps de donner la parole à ces jeunes, et de les écouter, pleinement, l’on est époustouflé par la pertinence de leurs idées.
Je pense qu’il faut redonner espoir à la jeunesse.
Comment ?
Cette question mérite une réflexion collective, une réponse collective …
Il faut redonner espoir à cette jeunesse, et nous devons tous y contribuer.
Redonner espoir, signifie montrer l’exemple.
Redonner espoir, signifie inspirer.
Redonner espoir, signifie avoir foi et communiquer sa foi.
Mais pas que ! Ce serait trop simpliste, trop poétique ! Le monde est bien plus cruel que cela !
Je pense que pour nos dirigeants, les priorités que sont la gestion de la crise sécuritaire, les questions d’emploi, d’éducation et de santé …, doivent tous avoir le même fil conducteur : comment redonner espoir à plus de 70 % de la population ?
Comment montrer à notre jeunesse que les crimes ne restent pas impunis, comment persuader notre jeunesse qu’elle peut entreprendre sans crainte de tout perdre du jour au lendemain, comment communiquer cette force indescriptible à notre jeunesse afin de l’armer psychologiquement à réussir au Mali et pour le Mali …
Comment démontrer à notre jeunesse que oui, c’est possible ?!
Ceci doit être notre fil conducteur.
Oh, comme j’ai foi en la force de la volonté politique !
Je crois fermement que le pouvoir a la capacité d’être la locomotive du changement pérenne ! Ailleurs en Afrique et dans le monde, l’expérience du « top / down » a marché ! La volonté politique a réussi à faire respecter les lois, à donner naissance à des paysages sans sacs plastiques noirs accrochés aux arbres, à des habitants au comportement civique et soucieux de la salubrité de leur environnement.
Très souvent, je suis de ceux qui disent ne rien attendre de l’Etat ou du gouvernement pour agir.
Aujourd’hui, dans ma réflexion nocturne qui me mène inexorablement sur les bords du Djoliba majestueux, source de vie, témoin de nos actes passés, présents et futurs, j’ai envie de dire que j’attends tout de nos gouvernants !
J’ai envie de leur dire : « Allez, ne soyez pas timides ! Faites ! »
J’attends absolument tout de nos leaders politiques, pour user de leur pouvoir, de leur poids, de leur position, pour favoriser l’émergence d’un écosystème, le développement d’un climat des affaires alléchant, la préservation de notre sécurité.
Et pendant qu’ils font cela, j’attends fermement d’eux d’user de leur pouvoir pour nous donner espoir !
L’espoir que le travail paie, forcément !
L’espoir que nos coeurs ancrés dans ce beau pays, ne se laisseront jamais briser par la force de l’amour qu’on lui porte.
Oui, Mali, ta jeunesse est en quête d’espoir.
Alors dis-moi, que vas-tu faire ?
Le 16 mars 2016.
Hawa DÈME, MBA
Master en Finance Internationale
Manager Audit Interne
Consultante en Stratégie & Gestion de projets
Présidente d’ADEM-France (Association des Diplômés et Etudiants Maliens)
Par Hawa Dème, Présidente d’ADEM-France
Source: Hawa Dème.