En l’espace de dix jours, fin mai, six Tchadiens et cinq Togolais ont péri dans des embuscades probablement menées par des groupes jihadistes. Et le 31 mai, une attaque a fait quatre morts dont un Casque bleu chinois, deux prestataires de services maliens et un expert français du déminage. À la même période, au moins 7 soldats maliens sont tombés dans des embuscades au Nord du pays. Des revers qui prouvent sans doute que les Forces armées maliennes et celles de la Minusma perdent dangereusement du terrain face aux réseaux terroristes visiblement remis en selle par les blocages dans la mise en œuvre de l’accord pour la paix signé, il y a un an.
Pour la seule seconde quinzaine du mois de mai 2016, au moins une vingtaine de militaires dont 14 Casques bleus et 3 civils travaillant pour les Nations-Unies ont perdu la vie dans divers actes terroristes. De sources concordantes, au moins soixante six soldats de la paix sont morts dans le «bourbier malien» depuis près de trois ans. Mais ce sont les Fama qui payent le prix fort, malgré leur montée en puissance reconnue à tous les nouveaux. Sans compter qu’à la différence des contingents de la Minusma, les Forces armées et de sécurité maliennes n’hésitent pas à en découdre avec l’ennemi, mieux armé et attaquant toujours par surprise. Cet engagement explique en partie le repli constaté un moment au niveau de la nébuleuse terroriste.
Mais, après une période d’accalmie, les réseaux terroristes semblent reprendre le dessus. La dernière attaque contre la Minusma à Gao en est la preuve pour de nombreux observateurs. «L’erreur stratégique du Mali et de ses partenaires est certainement de ne s’être pas donné suffisamment les moyens d’éradiquer les groupes terroristes dont certains, tels que Ançar Dine, sont manifestement frustrés de n’avoir pas été considérés comme interlocuteurs et parties au processus de paix», déplore un diplomate malien sous couvert de l’anonymat. Il ajoute : «À la fois, l’armée malienne et les forces internationales doivent adapter leur stratégie et leur mode opératoire aux réalités du terrain rendu encore plus dangereux par le facteur terroriste». La multiplication des attaques découle d’un changement de stratégie prévisible. En effet, dans la nuit du 15 au 16 mai, le Commandant Mahamadou Camara a été froidement assassiné à Gao. Ce médecin militaire très expérimenté était le directeur de la zone de santé de Kidal, mais basé à Gao. Ce lugubre coup d’essai laissait présager d’autres attaques audacieuses des jihadistes.
Attaquer la nuit pour faire diversion
Trois enseignements peuvent être tirés des actes du 31 mai dernier. C’est la première fois que la Minusma est visée par une attaque nocturne. C’est aussi une première que le contingent chinois est visé. «C’est surprenant qu’on s’en prenne aux Chinois dont le contingent est beaucoup plus une mission socio-humanitaire que militaire. Peut-être que c’est parce que ces Chinois sont appréciés par les populations pour leur aide médicale», déplore un jeune leader de Gao. «Aucune raison rationnelle ne peut expliquer l’attaque du contingent chinois, si ce n’est l’hostilité insupportable de la présence des forces étrangères au Nord du Mali. À défaut d’obtenir l’indépendance, cette nébuleuse considère toute force présente au Nord comme ennemie, car un frein pour le contrôle du Nord», souligne, pour sa part, Fousseyni Camara, un intellectuel et bloggeur de la diaspora malienne en France. «La Chine est l’une des cibles, tout simplement parce que cette mission onusienne au Mali est très floue et les groupes armés en profitent», ajoute-t-il. «Je ne pense pas que le contingent chinois ait été directement visé. L’objectif était visiblement de toucher un camp de la Minusma ; de créer la panique afin de mieux attaquer l’UNMAS qui est le service de Lutte anti-mines des Nations-Unies. Un choix qui n’est pas non plus fortuit parce que les embuscades sont la nouvelle stratégie des jihadistes depuis quelques mois», souligne un officier des Fama qui a requis l’anonymat.
Curieuse coïncidence
«Curieusement, cette recrudescence des attaques débute au moment où la Cma et la Plate-forme ont décidé de se mettre en retrait du processus de mise en œuvre de l’accord pour la paix. Cela apporte l’eau au moulin de ceux qui ont toujours défendu qu’il y a une connexion entre les supposés ex-rebelles et les réseaux mafieux et terroristes», souligne K. Camara, politologue et consultant indépendant sur les questions géopolitiques et de sécurité au Sahel. «Les groupes terroristes, Ançar Dine, Aqmi, Al Mourabitoune et le reliquat du Mujao continuent de causer énormément de dégâts ; ils visent Barkhane, la Minusma et les Fama. Ces groupes bénéficient de complicités au sein de la population et même des mouvements signataires de l’accord…», a reconnu le chef de la Minusma, Mahamat Saleh Annadif, dans une déclaration faite à la presse après l’attaque de mardi soir contre sa mission à Gao.
L’autre constat est que les terroristes reviennent aussi en force dans le centre du pays. Ainsi, un convoi de la Minusma est tombé dans une embuscade le 26 mai, à 30 km à l’ouest de Sévaré, sur l’axe Ténenkou-Sévaré. Cinq Casques bleus togolais ont été tués et un autre a été grièvement blessé. C’est la première attaque de ce genre contre les forces onusiennes dans cette zone. «L’Etat est absent sur cette partie du territoire. Et si on ne rétablit pas la puissance publique sur l’étendue de ce territoire, je pense qu’il y a problème. Je souhaite vraiment que l’accord soit mis en œuvre parce que chaque mort est un mort de trop…», avait déploré lundi dernier, Oumar Bathily, maire de la commune urbaine de Mopti, dans une émission de «Studio Tamani». «Ce qui se passe dans la région de Mopti est très inquiétant. Au moment où la paix arrive au Nord, la guerre glisse vers le Centre. Notre mission devient plus difficile car elle s’étire…», craint M. Annadif dans une interview accordée à nos confrères de Jeune Afrique.
Une responsabilité partagée
Pour des observateurs, la responsabilité de l’insécurité au Nord et au Centre est partagée entre le gouvernement, les groupes armés et la communauté internationale qui doit davantage matérialiser son soutien au Mali. Il est par exemple indispensable de renforcer la surveillance aérienne du territoire et surtout, des convois. Un moyen que le Mali n’a pas encore, puisque notre armée de l’air est en déconfiture. Cette recrudescence pose aussi le problème de la coordination des actions entre les Fama, la Minusma et Barkhane. «Ces attaques mettent à nu l’incapacité de l’Etat, de la Médiation internationale ainsi que des forces françaises et onusiennes à gérer la crise du Nord, malgré la signature de l’accord pour la paix et la réconciliation au Mali», déplore un diplomate étranger en poste à Bamako. «La nécessité de muscler le mandat de la Minusma et son extension à la lutte anti-terroriste est une évidence que seul le Conseil de sécurité de l’Onu ne semble pas voir», ajoute-t-il.
Face à la situation actuelle, «la Chine doit peser de tout son poids mondial pour faire comprendre que la dissuasion et l’interposition ne s’appliquent qu’à deux pays en guerre et non dans une lutte contre le terrorisme», conseille Fousseyni Camara. Un avis partagé par de nombreux spécialistes qui pensent qu’il va falloir être «extrêmement vigilants, car par essence, ce sont les terroristes qui mènent la danse et auront toujours un pion d’avance sur les forces qui les combattent». Cela est aujourd’hui d’une cruelle évidence !
Moussa BOLLY
(Avec XINHUA)