Les assises de la première session ordinaire 2021 de la chambre criminelle du tribunal militaire de Bamako se sont ouvertes ce mercredi 10 novembre 2021, dans les locaux de ladite juridiction, sis à Dares-Salam. Au Cœur de ses assises, trois affaires impliquant plusieurs militaires seront tranchées par les juges militaires. Selon le gouvernement, l’ouverture de cette session entre dans le cadre de la lutte contre l’impunité et la préservation des droits de l’Homme au Mali.
La cérémonie solennelle d’ouverture de cette audience de la justice militaire était présidée par le président du tribunal, Noumadi KANTE ; en présence de trois membres du gouvernement, à savoir : le ministre de la Défense et des Anciens Combattant, le Colonel Sadio CAMARA ; le ministre de la Justice et des droit de l’homme, garde des sceaux, Mamadou KASSOGUE ; le ministre de la Sécurité et de la protection civile, Colonel Major Daouda Aly MOHAMMEDINE.
Outre les membres du gouvernement, cette cérémonie a réuni des autorités administratives, militaires et judiciaires nationales, parmi lesquelles le Procureur de la République près le Tribunal militaire, le magistrat colonel, Soumaïla BAGAYOKO, non moins 1er substitut du procureur près de la Cour d’Appel de Bamako ; le bâtonnier l’ordre des avocats du Mali, Me Moustapha S.M. CISSE ; le Chef d’Etat-Major Général des Armées, le Général de Brigade Oumar DIARRA, etc.
On notait également, les représentants de l’EUCAP-Sahel Mali (Mission de soutien aux capacités de sécurité intérieure maliennes) et de l’EUTM (Mission de formation de l’Union européenne au Mali) ; le Chef de la Section des Affaires Judiciaires et Pénitentiaires de la MINUSMA ; le Président de la Commission Nationale de Droit de l’Homme ; le directeur de la justice militaire, le colonel-major Issa COULIBALY, etc.
Nature des infractions
Assassinat, meurtre et viol commis dans les circonstances de lieu et de temps qui requièrent la compétence d’une cour militaire, telles sont les natures des infractions retenues contre cet officier. Cette audience ordinaire publique, marque le début des activités de ce tribunal depuis l’institution de la justice militaire dans la chaîne pénale de notre pays.
Dans son adresse à l’auguste assemblée, le représentant du ministère public, le magistrat colonel, Soumaïla BAGAYOKO, a souligné que les tribunaux militaires sont compétents pour juger les infractions de droit commun commises par les militaires et leurs complices dans le service, les casernes, quartiers, dépôts, navires et aéronefs ou autres établissements militaires, en bivouac ou en stationnement. Ainsi, que les infractions spécifiquement militaires, dans les ressorts judiciaires des cours d’appel de leur siège.
A ce titre, les Tribunaux militaires comprennent une ou plusieurs chambres de jugement, une chambre d’accusation, un ou plusieurs cabinets d’instructions, un parquet militaire. Ils sont saisis sur dénonciation auprès des parquets militaires ou civils et par les procès-verbaux de renseignements judiciaires dressés par les unités d’enquête militaires.
Pour le jugement, le tribunal militaire est composé de cinq magistrats dont un président, Conseiller de la cour d’appel qui a la police de l’audience et quatre magistrats militaires, conseillers, assisté d’un greffier.
Quête d’une justice militaire forte
Aujourd’hui plus que jamais, notre pays, selon le Procureur, a besoin d’une justice militaire forte équitable crédible, sûre et respectueuse des règles de conflit armé et principes des droits humains définis dans la convention de Genève et le statut de Rome pour accompagner les Forces Armées Malienne dans la lutte implacable contre le djihadisme, l’extrémisme violent, la criminalité transnationale organisée et le trafic en tous genre.
Dans ces conditions, a-t-il expliqué, les tribunaux militaires seraient plus dignes à juger les infractions militaires en lien avec les opérations militaires. Et toute manœuvre contraire est de nature à inquiéter les militaires et leurs familles en ce que la hiérarchie militaire a l’obligation de veiller sur le moral de la troupe.
On mesure dès lors l’intérêt et l’importance de cette session au rôle de laquelle sont inscrits trois crimes contre l’intégrité des personnes à savoir assassinat, meurtre et viol commis dans les circonstances de lieu et de temps qui requièrent la compétence d’une cour militaire.
La précarité des moyens
Malgré son importance stratégique dans les opérations militaires, force est de constater avec le représentant du ministère public que l’efficacité de la justice miliaire est affectée par la précarité des moyens dont elle dispose qui conduit inéluctablement à une justice lourde et lente.
En dépit de cette situation, il s’est réjoui de constater que depuis deux ans maintenant, le ministère de la défense et des Anciens Combattants a toujours répondu promptement aux différentes sollicitations de l’institution. Le tribunal bénéficie également de l’accompagnement constant et multiforme de certains partenaires dont EUCAP SAHEL qui a pris en charge les travaux de réhabilitation et d’extension des bureaux de la Direction de la justice militaire et le siège du tribunal de Bamako.
Il a rappelé que dans le cadre des différentes opérations militaires, les FAMa en mission sont très souvent accusées à tort ou à raison pour des cas de violation grave des droit de l’homme, notamment, les abus sexuels sur les femmes, les tortures, etc.
Et le tout soit par vengeance ou pour outrager les autres communautés ou à cause de leur fortune, de leur religion ou de leur origine ethnique, comme ce fut le cas à Massabougou et Diabaly dans le cercle de Niono en 4è région et Doura dans le cercle de Tenankou en 5è région. En ce qui concerne les évènements de Massabougou, Sokolo ou Diabalyet Doura c’est l’Etat du Mali qui a dénoncés d’abord les faits par souci de transparence.
Une sollicitation constante
Selon lui, le ministre de la défense et des anciens combattants, le Directeur de la Justice Militaire et le Procureur près le tribunal militaire sont toujours interpellés sur les allégations de violation des droits de l’homme dans les localités suscitées. «Dans ces conditions, il y a urgence de faire accompagner les missions militaires de prévôté», a-t-il préconisé. Avant exhorter la hiérarchie militaire à vouloir prendre des dispositions pour finaliser le document élaboré par EUCAP Sahel Mali sur la prévôté et en faire une véritable doctrine d’emploi de la prévôté au profit des forces de défense.
Les militaires en mission sont très souvent accusés à tort ou à raison pour des cas de violation grave des droit de l’homme. Malgré la modicité des moyens dont ils disposent, les tribunaux de militaires de Bamako et Mopti fonctionnent, celui de Kayes n’a pas retrouvé son envol.
Plus 20 militaires jugés depuis 2020
Pour illustrer son propos, il a fait savoir à l’audience publique du Tribunal militaire de Bamako en transport à Ségou le 30 septembre 2020, 13 militaires ont été jugés. Les infractions reprochées étaient, entre autres, violation de consignes militaire, vol et complicité de vol, menace de mort, extorsion de fonds et complicité, homicide involontaire, détournement d’armes et munitions.
De même à l’audience du 25 novembre 2020 au siège de la juridiction 10 militaires ont été jugés. Dans les deux cas des peines allant de 6 mois à 4 ans d’emprisonnement ferme furent prononcées avec paiement d’amende ou de dommages-intérêts.
Point des affaires pendantes devant les tribunaux
Au passant, il a fait le point des affaires pendantes devant les tribunaux militaires de Bamako et Mopti. D’abord au Camp I de gendarmerie à Bamako, les militaires condamnés à des peines de prison sont au nombre de 7 contre 19 placés sous mandat de dépôt en attente de jugement.
Les infractions reprochées sont, entre autres : assassinat ; vol de minutions ; détention et vente illégale de stupéfiants ; vol qualifié, homicide involontaire, association de malfaiteurs ; tentative de vol qualifié et détention illégale et frauduleuse d’armes et munitions ; complicité de trafic international de drogues, Importation frauduleuse de marchandises prohibées ; coup mortel et tortures.
Au Tribunal de Mopti, on compte 17 dossiers repartis entre les 1er et 2e Cabinets d’instruction. Les infractions reprochées communes aux deux Cabinets sont notamment : désertion, insoumission, refus d’obéissance ; assassinat, torture, séquestration de personnes et complicité ; enlèvement et assassinat ; meurtre ; association de malfaiteurs ; opposition à l’autorité légitime ; complicité de désertion en temps de guerre ; viol.
Les affaires ayant fait l’objet d’ordre de poursuite sont au nombre de 15. Les infractions reprochées sont pratiquement les mêmes que celles citées plus haut. Excepté Bamako, les autres tribunaux sont dans des maisons baillées avec des besoins cruciaux en matériels et équipements de bureau. «Nous comptons beaucoup et toujours sur la solidarité des partenaires stratégiques », a-t-il plaidé.
Perspectives…
Apres cette première session, quatre autres dossiers dont celui de l’EMIA qui verra défiler à la barre toute une promotion d’Elèves Officiers d’Actives sont en état d’être jugés et seront enrôlés avant la fin de l’année. Pour cela, nous comptons sur la bonne collaboration du Procureur General près la Cour d’Appel de Bamako.
La relecture du Code de justice militaire longtemps souhaitée est en cours grâce à l’appui du Programme des Nations Unies pour le Développement (PNUD) et la Mission Multidimensionnelle Intégrée des Nations Unies pour la Stabilisation au Mali (MINUSMA) qui ont soutenu le projet par le recrutement de deux consultants, un malien un français. Le nouveau Code va certainement inverser beaucoup de difficultés qui sont à l’origine de la contreperformance des juridictions militaires. Il ne règle pas, certes, tout.
Pour une justice militaire fonctionnelle à la hauteur des attentes, le magistrat colonel BAGAYOKO, en fin connaisseur, préconise, l’instauration d’une doctrine prévôtale dans notre système judiciaire ; le rapprochement de la justice militaire des justiciables militaires par la création du double degré de juridiction ; l’allocation des lignes budgétaires à la Direction de la justice militaire pour le bon fonctionnement des tribunaux militaires.
Aussi, il s’agit de renforcer les capacités des magistrats militaires et les amener à s’approprier le statut de Rome, les instruments régionaux et nationaux ; la formation des greffiers, secrétaires de greffes et parquets ; la création d’une unité d’Officiers de police judiciaire militaire au profit des juridictions militaires.
Autres mesures préconisées, la construction d’une prison militaire et la mise à disposition de moyens roulant pour le transport des détenus ; la construction d’une bibliothèque et l’organisation des voyages d’études. «Il est regrettable de constater que les militaires ne connaissent pas le tribunal militaire. D’où des campagnes de sensibilisation pour inverser la tendance », a-t-il dénoncé.
A cela s’ajoute l’insuffisance de crédit de fonctionnement, le crédit est logé chez le Directeur. «Les moyens doivent être donnés au procureur de la république. Le commandement militaire doit être également séparé de la gestion du tribunal. La gestion des greffiers qui viennent des tribunaux civils est à revoir. Le juge d’instruction ne trouve souvent aucun greffier en voulant poser un acte. Il s’agit des difficultés que la relecture doit corriger», a continué de plaider le Procureur.
Pour sa part, le président du tribunal, Noumadi KANTE, a rappelé qu’il y a aujourd’hui trois tribunaux militaires Mali, dont un à Kayes, Bamako, et Mopti. Selon lui, l’objectif recherché est de punir à tous les niveaux. Toutefois, les débats au cours des assises sont à charge et à décharge. «Si les débats prouve que tel prévenu n’est pas coupable, rien empêche à la Cour d’acquitter l’intéressé», a-t-il rassuré.
Abdoulaye OUATTARA / Afrikinfos-Mali.com