Le Mali vit sous un pouvoir dont la proximité affaiblit l’intégrité de ceux qui le fréquentent. Trois ans d’exercice qui sonnent comme une punition pour le Mali. Le pays tourne à vide. Un pouvoir qui a fini de ruiner la légitimité, la crédibilité et même la créativité des femmes et des hommes, des acteurs et des collectifs qui ont, pour certains de bonne foi, voulu servir la nation à ses côtés.
C’est la révélation contenue dans le rapport de la Commission parlementaire d’enquête sur la visite du Premier ministre à Kidal. Les conclusions de la Commission d’enquête parlementaire sur la visite du Premier ministre Moussa Mara à Kidal ne sont pas seulement accablantes pour l’intéressé (Moussa Mara) ou les intéressés, elles le sont pour la Nation. Elles sont plutôt désastreuses pour l’image de notre pays. Certes le Premier ministre Moussa Mara porte l’entière responsabilité de cette visite en sa qualité de chef de l’administration, pour manque de discernement et même pour son intrusion dans un domaine, le domaine militaire qui relève exclusivement des prérogatives constitutionnelles du président de la République. Ce ne serait que justice qu’il réponde de ses actes.
De l’avis des observateurs, le document publié, même si l’on peut supposer qu’il a pu être élagué de certains de ses aspects, révèlent une situation plus dramatique et reste, en l’état, du domaine du secret-défense. Mais alors comment expliquer que pour des conflits politiques internes à la majorité présidentielle, des luttes de positionnement à la veille d’un remaniement gouvernemental, des acteurs politiques puissent étaler à la face du monde, les aspects les plus tristes, les plus inqualifiables de la gestion politique et stratégique de notre armée déjà humiliée et traumatisée par les conséquences d’une gouvernance en totale déconfiture. La honte ! Telle que dépeinte dans ce rapport, il y a fort à parier que plus personne parmi nos voisins n’aura de respect pour notre armée, si elle continue à être commandée par la même hiérarchie militaire et les mêmes autorités politiques.
Lisez la façon artisanale avec laquelle l’armée malienne a été conduite à une défaite certaine, au carnage, pire, à l’humiliation pour s’être vue enfin abandonnée par l’autorité politique légitime. Lisez pour comprendre la façon dont elle est restée aveugle dans son propre environnement géostratégique, pendant qu’on l’envoie se battre. Retenez comment aucune autorité politique n’a osé prendre la responsabilité de l’engagement de notre armée dans ce conflit stupide, alors que tout le Mali savait que toutes s’étaient réjouies des premières informations provenant du théâtre d’opération indiquant une avancée favorable aux Fama, et ce jusqu’à la tête du Conseil des ministres.
Ce document montre une armée en reconstruction détruite pour calmer l’ego des dirigeants du jour, eux-mêmes incapables d’identifier les menaces et d’avoir une capacité d’anticipation et d’organisation pour faire face à ces menaces. Au-delà de sa lettre, l’esprit de ce document révèle une armée fortement impliquée dans les affaires politiques ; une armée loin du professionnalisme souhaité, c’est-à-dire une armée républicaine, exclusivement orientée vers les «affaires militaires». Il décline également une armée de fonctionnaires militaires. Ce pouvoir a transformé notre pays en une machine d’autodestruction. Regardez des meilleurs officiers de notre pays, des meilleurs cadres du Mali, semblent avoir perdu leur âme militaire en livrant leur troupe à la mort pour faire plaisir à un pouvoir narcissique.
Mais, plus que la défaite militaire, c’est l’abandon par le pouvoir politique qui a porté le coup fatal au moral de notre armée. Dans ce cas, où est la noblesse des politiques qui ont, par leur fait, engagé l’armée ? La morale publique est perdue lorsque dans un pays, les supérieurs sont incapables d’assumer les erreurs ou les fautes de leurs subordonnés. Il faut bien le retenir, à l’attention de ceux des Maliens qui se gargarisent des titres de noblesse à tout propos, la vérité est que le fait d’être noble n’a rien à voir avec le sentiment d’être supérieur à ses semblables ; c’est le fait d’être supérieur à celui qu’on était avant, ainsi que dit le sage. C’est pourquoi faut-il encore et toujours rappeler ces mots du philosophe: «Ne vous souciez pas d’être meilleur que vos contemporains ou vos prédécesseurs, essayez d’être meilleur que vous-mêmes».
Souleymane KONE